C’est au niveau de la créativité que se joue désormais l’avenir de l’innovation en Suisse, et non par la création de «mètres carrés» supplémentaires pour de nouveaux parcs technologiques, affirme Xavier Comtesse d’Avenir Suisse.

Le 9 novembre dernier, le Conseil fédéral, par la voix de Didier Burkhalter, annonçait sa volonté de créer à terme un parc d’innovation national en mettant à disposition des terrains de la Confédération. Une annonce précédée le 24 octobre par le conseiller d’Etat fribourgeois Beat Vonlanthen de transformer 55 000 m2 de l’ancienne brasserie Cardinal en parc technologique et d’innovation. Il semblerait donc que le principal enjeu de l’innovation en Suisse soit réduit au «mètre carré» disponible!

Ces projets n’ont rien de visionnaire puisqu’il existe déjà près de 40 parcs technologiques et scientifiques en Suisse, dont les deux plus importants sont celui de l’ETHZ à Zurich et de l’EPFL à Ecublens. Cela nous permet d’affirmer que l’implantation de ce concept des années 1990 a très bien marché. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la Suisse se classe dans les premières nations au monde en ce qui concerne l’innovation. Le problème est donc ailleurs.

Dans une étude parue déjà en 2009, Avenir Suisse avait identifié comme nouveau défi celui de la «qualité» des projets innovants et en aucun cas la question de la quantité, de l’argent ou encore moins la mise à disposition de «mètres carrés».

Revenons quelques instants sur ces conclusions. L’étude montrait que sous la pression du transfert technologique, des prix à l’innovation, du coaching, des cours entrepreneuriaux et autres, bon nombre de jeunes scientifiques, ou simplement des innovateurs avaient été incités à se lancer dans l’aventure des «start-up» sans avoir pris le temps d’avoir un projet solide, bien pensé en termes de design, de commercialisation ou de réponse aux changements sociétaux. En d’autres termes, le cheminement linéaire classique se faisait à partir d’une idée originale, suivi de l’installation dans un parc technologique de la start-up avec recherche de fonds, sans savoir grosso modo si le client allait suivre. C’est exactement cette démarche linéaire qu’il faut briser.

Comment procéder? En premier lieu, il est bon de se souvenir que le processus d’innovation n’est pas linéaire – c’est-à-dire allant de l’idée au marché. L’installation d’un processus inter­actif est primordial. Dans cette perspective, il s’avère nécessaire de faire remonter les usagers potentiels dans la chaîne de la valeur de l’innovation, ainsi que le font les living labs ou encore les fablabs.

De plus, il est essentiel ­d’associer, dès la génèse d’une idée, des compétences diverses allant du design à la commercialisation, des réseaux sociaux à la sociologie, du story telling à la communication, etc. Pour ce faire, il est souhaitable d’avoir des lieux, des plateformes pour l’échange de compétences. Et de fait ces lieux émergent depuis quelques années; ils portent tantôt le nom de think tank tantôt celui de centre créatif. «La Muse» à Genève, l’ECAL/EPFL à Lausanne, le «Swiss Creative Center» à Neuchâtel sont de tels lieux d’expérimentation.

Ces nouvelles structures sont la forme publique de ce que les grandes entreprises ont déjà mis sur pied ces dernières années. Le «Invent Center» de HP à Meyrin ou le «Think Tank» de Cartier à La Chaux-de-Fonds sont en quelque sorte des précurseurs de ce mouvement. Toutes ces plateformes répondent, avec leurs spécificités propres, à la question d’améliorer la qualité des projets innovants soit en faisant appel en priorité aux réseaux sociaux (La Muse), soit au client (Invent Center), soit au design (ECAL/EPFL) soit encore aux créatifs (Swiss Creative Center).

C’est donc bien au niveau de la créativité – comme source première de l’innovation – que se joue désormais l’avenir de l’innovation en Suisse. La politique politicienne en matière d’innovation devrait se rendre sur le terrain plutôt que de dupliquer de vieilles recettes qui certes fonctionnent bien mais qui répondaient à un besoin spécifique aujourd’hui largement couvert.

Mais pour demain, de nouvelles énergies doivent être initiées et canalisées dans des lieux qui feront la différence pour notre avenir dans un monde de plus en plus globalisé et hautement compétitif. L’argent étatique va se faire rare, et il serait judicieux de le mettre là où les forces et les synergies se regroupent au sein d’approches innovantes afin de maintenir la capacité d’innovation du pays.

Cet article est paru dans «Le Temps» du 22 novembre 2011 (p. 13).