Les citoyens et les exécutifs communaux considèrent souvent avec scepticisme les réformes menées au niveau communal – en particulier lorsqu’elles sont initiées par le canton. Le concept d’autonomie communale » est ainsi souvent évoqué. Mais c’est justement l’entêtement à se cramponner à une vision juridique trop étroite de l’autonomie qui, à long terme, finit par saper l’autonomie communale, la fourniture des prestations publiques risquant alors de perdre son caractère de proximité avec les citoyens.Avenir Suisse Grafik Gesamtranking Gemeindestrukturpolitik Lukas Rühli

L’autonomie communale constitue l’un des fondements de la réussite du modèle helvétique. Conjuguée à la démocratie directe, l’autonomie communale permet de fournir des prestations à la fois proches des citoyens et adaptées à leurs besoins. Elle contribue aussi en partie à la relative sobriété de l’appareil étatique. Pourtant, elle est souvent mal comprise et interprétée comme une très forte indépendance par rapport aux instances publiques suprêmes, et parfois même comme la garantie de leur survie. Or, dans la réalité, la première justification de l’autonomie communale ne réside pas dans son indépendance juridique, mais plutôt dans une autonomie d’action et de décision liées à une position de force interne.

Le quatrième monitoring cantonal d’Avenir Suisse analyse, dans une première partie, les structures communales, le développement de la collaboration intercommunale, la capacité financière et administrative des communes ainsi que la répartition des tâches entre cantons et communes. L’étude arrive à la conclusion qu’aujourd’hui déjà, la «véritable » autonomie communale est nettement plus restreinte que ne le laisserait supposer une lecture superficielle des indicateurs, par exemple pour ce qui est du rapport entre les dépenses du canton et celles des communes. A l’échelle de la Suisse, près d’un quart des dépenses communales dépend de transferts entre le canton et les communes (et inversement), transferts dont ces dernières ne peuvent généralement pas disposer librement. De plus, dans la plupart des cantons, un important gouffre sépare les compétences financières des compétences réglementaires. Même pour les tâches classiques incombant aux communes, celles-ci se retrouvent souvent dans la position d’un organe d’exécution.

Perte de démocratie

La centralisation des tâches et des compétences décisionnelles n’est pourtant pas le seul facteur à remettre en cause la proximité des prestations avec les citoyens: la collaboration intercommunale prend aussi une importance croissante. On peut toujours argumenter en faveur de la collaboration intercommunale en avançant que c’est justement dans la préservation de la proximité avec les citoyens qu’elle présente un avantage sur les fusions de communes. Cette proximité n’est mise à mal que dans les domaines où cela s’impose véritablement pour des économies d’échelle. Ce faisant, on oublie que le transfert d’une tâche vers la collaboration intercommunale s’accompagne la plupart du temps d’une perte du droit de regard de la population au titre de la démocratie directe, ce qui porte finalement davantage atteinte à la proximité des prestations avec les citoyens que la réalisation de la tâche concernée par une commune fusionnée. Cette problématique se révèle au grand jour dans les groupements de communes ne disposant ni du droit d’initiative, ni du droit de référendum, et dont l’organe ayant pouvoir décisionnel est constitué d’une assemblée de délégués composée d’experts. Par essence, ces comités tendent à élaborer des solutions parfaites, spécifiques au domaine concerné, dans lesquelles l’efficacité financière n’est que secondaire.

Tout comme leur transfert vers des groupements de communes, la centralisation des tâches ont les mêmes causes: premièrement, la croissance démographique et la plus grande mobilité accentuent le décalage entre les structures spatiales institutionnelles et les espaces fonctionnels; deuxièmement, le monde – pour parler de façon globale – devient de plus en plus complexe, renforçant ainsi les exigences posées à la Confédération, aux cantons et aux citoyens. Ce déplacement des compétences s’explique enfin par le fait que de nombreuses tâches qui, autrefois, pouvaient être menées à bien au niveau local requièrent aujourd’hui plutôt une approche régionale. Un paysage communal qui esquive ces défis et refuse les réformes dans une volonté de maintenir une autonomie mal comprise relève déjà aujourd’hui davantage, dans maints endroits, du mythe que de la réalité et il s’affaiblira d’autant plus dans son ensemble sur le long terme.

Pas de droit au statu quo

Il faut pourtant veiller à ce que les cantons assument eux aussi leurs obligations. C’est en effet à eux qu’incombe l’organisation interne et la responsabilité d’un paysage communal viable, avec les incitations et conditions-cadre que cela implique. L’étude d’Avenir Suisse a donc comparé les efforts des différents cantons en la matière. Dans le domaine partiel «Contrôle des finances et transparence », l’examen portait notamment sur les rapports cantonaux sur l’état des finances des communes, ainsi que sur la mise en oeuvre du MCH2. L’effet incitatif, sur les structures communales, des systèmes intercommunaux de péréquation financière a également été analysé. Bien que, suite aux multiples révisions, cette péréquation financière, ne constitue plus un avantage explicite que pour les communes peu peuplées d’une minorité de cantons, elle contribue toujours, dans de nombreux cantons, à maintenir les structures communales – et ce du seul fait de l’ampleur des versements à des communes à faible capacité financière. Aucune révision ne s’est pratiquement soldée par une baisse des transferts totaux, et nombreuses ont même été les révisions qui se sont traduites par une augmentation de ces transferts. L’explication est évidente: dans presque tous les cantons, la très nette majorité des communes est bénéficiaire de la péréquation. Ces communes rejettent les révisions de la péréquation financière susceptibles de les défavoriser, mais elles le font souvent en invoquant le principe de l’autonomie communale», qu’elles interprètent ici comme un droit au statu quo, indépendamment de son bien-fondé économique. Pour ce qui est des outils administratifs et financiers mis en oeuvre par les cantons pour promouvoir les fusions de communes, il convient de souligner que, jusqu’ici, on n’est guère parvenu à optimiser les structures communales sans l’appui des cantons. Les mesures de politique communale ne sont donc pas une atteinte indue à l’autonomie communale, mais visent plutôt à corriger des incitations négatives au niveau individuel et institutionnel. Une intervention plus active des cantons ne peut toutefois réussir, et n’est souhaitable en termes de souveraineté des citoyens, que si la population est disposée à abonder dans ce sens.

Soleure, numéro un

En totalisant les classements partiels, c’est le canton de Soleure qui arrive en tête, avec un bon score dans les quatre domaines sectoriels – devant les cantons d’Argovie, de Fribourg et de Berne. Néanmoins, davantage que le classement des cantons qui dépend fortement de leurs résultats dans les sousdomaines «Collaboration intercommunale» et «Encouragement des fusions», dont l’importance n’est pas la même pour tous les cantons, c’est surtout le constat suivant qu’il faut retenir: le droit au traitement efficace et professionnel de tâches toujours plus complexes n’est pas compatible avec le droit à leur prise en charge par de mini-unités institutionnelles conservant leur autonomie. D’autres réformes seront nécessaires, que ce soit en matière de démocratisation de la collaboration intercommunale ou en matière de fusions de communes. Plus on se montre ouvert à ces évolutions et plus l’on aura de chance de voir le niveau communal continuer, à l’avenir, à tenir un rôle clé dans la structure tripartite de l’Etat suisse.

Cet article est paru dans «gestions et services publics» en juin 2012.