Le directeur romand du «think tank» patronal Avenir Suisse conçoit et distille les idées. Portrait d’un extrémiste de l’innovation.

Sans conteste, l’homme est enjoué. Chaleureux mais point trop n’en faut; l’oeil scrutateur, il semble chercher à évaluer rapidement son interlocuteur avant de se raconter généreusement et d’exceller dans l’art de la formule. «Visionnaire», le qualifient certains. Il faut qu’il invente, crée, monte et bâtisse, mais une fois l’affaire en route, il se retire «pour ne pas étouffer les autres, avec des idées surgissant toutes les cinq minutes», précise-t-il. Dans son parcours, seul Avenir Suisse pourrait avoir eu raison de sa volatilité puisqu’il y demeure depuis onze ans. La trajectoire du directeur romand d’Avenir Suisse, think tank qui vise à influencer la politique économique du pays dans une perspective libérale, est ponctuée d’emballements successifs pour des projets qu’il lance. Tout de go, il se plaît à raconter qu’une fois, son fils l’a apostrophé sur les rebonds de sa carrière: «j’espère pour toi que tu trouveras ta voie?». Un début de carrière d’entrepreneur à Genève avant de se distinguer dans la diplomatie scientifique aux Etats- Unis, des études de mathématiques et d’économétrie pour la caution scientifique, Xavier Comtesse a le profil idoine pour incarner la direction romande du premier think tank de Suisse, fondé en 1999. Enthousiaste né, Xavier Comtesse est galvanisé par l’innovation. «C’est le moteur», déclare-t-il enjoué. L’engouement du directeur romand pour la nouveauté ne tarit pas, même si celle-ci ne l’est plus tout à fait. En mai 2010, il se fait apologue de Facebook dans l’AGEFI. Il qualifie le réseau social de «liberté non organisée, sans ligne directrice et sans chef d’orchestre». Se voulant didactique, il explique que cela met en cause les modèles antérieurs, d’où la peur qu’il peut engendrer. Entre les lignes, on lit surtout l’exaltation de Xavier Comtesse pour le potentiel «bottom-up» du réseau, en d’autres termes, la valorisation de l’entreprise individuelle. En effet, il ne cache pas son libéralisme convaincu. « Ma passion est de comprendre comment la responsabilité des gens s’accroît avec les siècles», ce qu’il résume par le terme d’«empowerment», qu’il peine à traduire.

Serial thinker

La capacité de production d’Avenir Suisse est large: des articles quasiment quotidiens, un rapport de recherche mensuel, sans compter les livres. Xavier Comtesse pratique toutes les formes de communication: entre billets d’opinion, interviews, débats, conférences, il multiplie les tribunes. Mais pour Alain Jeannet, rédacteur en chef de L’Hebdo, c’est «surtout comme orateur qu’il se distingue». Et c’est peut-être cette qualité qui lui vaut d’être passé maître dans la constitution de réseaux. Après ses études de mathématiques, jeune homme, il entreprend une thèse en économétrie qu’il abandonne.

«Plutôt anar ou, mieux, tendance situationniste», il s’investit sur différents fronts et affaires dont il se dit le détonateur, avant de monter Concept Moderne, une start-up d’informatique. Domaine dans lequel, il finit par mener à bien un doctorat. De projets en rebonds, son épouse qui «voulait le voir changer», répond pour lui à une offre d’emploi de la Confédération. Xavier Comtesse se retrouve à Berne, «au coeur du pouvoir. Petit pouvoir.» Il est conseiller personnel du secrétaire d’Etat à la science, engagé pour «construire des passerelles entre les institutions académiques et les entreprises». Ces deux mondes, dans les années 1990, «ne se parlaient pas». A titre d’exemple, il mentionne la proposition d’une firme du tabac qui, en 1992, a offert cinq millions à l’université de Lausanne pour monter une chaire de cinéma. Le refus de l’académie était, selon lui, «une aberration qui ne se reproduirait pas aujourd’hui». Le rédacteur en chef de L’Hebdo, reconnaît dans ce registre, la capacité de Xavier Comtesse à «nourrir des idées qui, sur le moment, semblent révolutionnaires, mais qui finissent par devenir des évidences».

La révélation made in USA

Après trois ans à Berne, c’est la traversée de l’Atlantique; le Romand se voit offrir en 1995 un poste de conseiller scientifique à l’ambassade de Suisse à Washington. Il est aux Etats-Unis «pour comprendre la politique scientifique et technologique, ce qui marche bien chez eux». Ce qui ne marche pas ne l’intéresse pas? Il élude la question. Aux Etats-Unis, il découvre la culture des think tanks. Son intérêt ce sont les relations entre la science et les entreprises. Alors, être « among [parmi] les scientifiques» lui semble plus cohérent, il demande sa mutation vers Boston, pôle d’excellence. Non sans d’âpres négociations, le «visionnaire» fonde en 2000, la première Swiss House (aujourd’hui Swissnex, cinq sont établies dans le monde). La maison de la science et de la technologie vise à favoriser la mise en relation des entreprises. Dans un «cadre esthétiquement soigné», les sociétés helvétiques peuvent s’y présenter et montrer leurs produits tout en bénéficiant de l’échange de compétences et de savoir-faire. La maison suisse est financée à moitié par la Confédération, à moitié par les grandes entreprises. L’intérêt de ces dernières est d’avoir un aperçu sur les idées nouvelles. Pour les petites qui s’y profilent, le service est gratuit. «C’est la classe!» s’autocongratule le promoteur du concept.

La marque des marques

A ce moment, «avec déjà un pied dans le futur», il entretient un intense échange avec Thomas Held, sociologue qui a fait ses armes dans le management zurichois. Tout deux ex-soixante-huitards, devenus chantres du libéralisme, le tandem est idéal. M. Held demande à son acolyte de rentrer afin de partager la nouvelle aventure d’un think tank helvétique. De «doer», Xavier Comtesse devient «thinker».

Au tournant du millénaire, une quinzaine de grosses pointures de l’économie, telles que Crédit Suisse, UBS ou Nestlé ont engagé Thomas Held afin de fonder «Avenir Suisse», un think tank pour les questions économiques et sociales. «La Suisse n’a alors pas cette tradition», précise Xavier Comtesse. Dans la présentation qu’elle fait d’elle-même, la boîte à idées dit concentrer ses intérêts sur le développement au niveau économique, politique et social. Résolument tournée vers le futur helvétique, elle a pour but la production d’idées et la participation au débat par le biais d’études qu’elle chapeaute avant de donner des conférences.

L’expérience est, dans un premier temps, limitée à trois ans. Dès 2004, la fondation se voit accorder une confiance lui permettant de poursuivre ses activités sans borne temporelle. Le cercle des bailleurs de fonds est alors amplement élargi à près de cent cinquante individus et entreprises. Différentes formes de contrats engagent les entreprises pour plusieurs années sur un montant – qu’elles ne révèlent pas – évalué en fonction de leur taille. Le budget annuel de la fondation se situe «entre quatre millions et quatre millions et demi», mais selon son site les revenus, eux, sont de cinq millions annuels. Avec cela, l’organisation se déclare, néanmoins, une fondation «totalement indépendante, mais pas neutre». En effet, la perspective assurément libérale diffusée par des travaux articulent les valeurs telles que l’innovation, la productivité, la compétitivité ou la flexibilité. Elle est certainement gage de la confiance aveugle et généreuse des entreprises. Certaines d’entre elles déclarent que les publications du think tank ne sont pas diffusées à l’interne, voire prennent trois jours pour répondre sur l’utilité de contribuer au financement de la boîte à idées. En revanche, des grandes banques au chocolat, toutes disent cet effort financier nécessaire et leurs arguments reprennent à l’identique ceux des objectifs que se fixent la fondation.

Conçue comme une «force de proposition», Avenir Suisse se défend d’être un groupe de pression. A la différence d’un lobby, «nous ne cherchons pas à changer des virgules de la loi», explique Xavier Comtesse. En outre, l’organisation tient à se démarquer nettement d’Economie Suisse, faîtière des entreprises suisses – qui, de son côté, fait de même en déclarant n’avoir «rien à voir avec le think tank ». Certes, les deux entités patronales ne collaborent pas directement, mais les positions sont largement partagées. Lancé sur la question des licenciements et de la fermeture de Merck Serono, par exemple, Xavier Comtesse déplore que la biotech n’ait pas marché, mais il répond que «c’est normal. C’est dommage pour les gens qui sont dedans, mais on ne peut pas pleurer toute la journée. C’est normal que des métiers se créent et que d’autres disparaissent». Il ajoute que la Suisse s’en sort bien mieux que les autres pays. Pourtant, «sa classe moyenne, difficile à cerner, n’a jamais été aussi négative face au futur et c’est le vrai problème. Le gros chantier à venir se situe à ce niveau.» Cependant, la grande affaire du directeur romand, c’est surtout la métropole lémanique. Une carte géographique de la région figure en bonne place sur l’une des tables de son épuré bureau genevois. Il a beaucoup écrit sur cette thématique qu’il envisage sous les angles de l’immobilier, de la mobilité, de l’économie ou du politique. Dans cette perspective, il se fait théoricien du gouverner la gouvernance, luttant contre la politique de clocher, autant que contre celle des masterplan.

Dernier round?

Ainsi, proche de la retraite, Xavier Comtesse quittera Avenir Suisse, mais non sans poursuivre un nouvel objectif avec, dernière trouvaille en date, un Creative Center à Neuchâtel. Quand ils ne se gaussent pas de ses prétentions à être le penseur du futur de l’arc lémanique, quelques détracteurs de Xavier Comtesse se cachent derrière l’anonymat pour estimer que son influence est exagérée, voire nulle. «Les politiques ne se réfèrent pas à ses travaux parce qu’ils sont dénués de pragmatisme», affirment certains. Des admirateurs trouvent, au contraire, le personnage stimulant: «Ce sont souvent des formules, mais elles bousculent l’ordre des choses.» D’autres refusent d’être interrogés; une personne déclare «ne pas vouloir tirer sur l’ambulance», estimant l’homme en fin de carrière d’influence. Cette dernière appréciation est énoncée sans compter avec les capacités de rebond du passionné de l’innovation. Son Swiss Creative Center de Neuchâtel est une plateforme d’échange d’idées autant qu’un atelier de création. En une journée, «à partir d’une idée folle, un prototype 3D est créé», s’enchante Geneviève Morand, fondatrice de Rezonance. Pour elle, Xavier Comtesse est «l’âme du laboratoire d’idées, mais il veut offrir des opportunités et laisser de la place aux jeunes».

Cet article est paru dans «Le Courrier» du 27 août 2012.