«La plus grande installation solaire de Wetzikon brise les frontères de l’imagination», selon un titre euphorique du «Tages Anzeiger». En trois ans et quatre mois, ce projet d’avenir a produit 100 000 kWh de courant. «Combien de temps faut-il à la centrale de Leibstadt pour y parvenir?» demandait récemment le professeur Lino Guzzella. La plupart des experts connaissaient la réponse: cinq minutes.

«Le tournant énergétique est-il réaliste?», tel était le thème d’un débat avec Lino Guzzella, le nouveau recteur de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ). Son brillant exposé a pris la forme d’un appel au réalisme adressé aux scientifiques. L’orateur s’est révélé profondément sceptique à l’égard de la société à 2000 watts prêchée par plusieurs professeurs, y compris de l’ETHZ. Il a rappelé que la Suisse avait vécu à ce niveau de consommation énergétique jusqu’en 1950. La société était essentiellement «agraire et peu émancipée». La technique, de la machine à laver à l’aspirateur, a libéré les femmes avant tout d’un travail pénible. Les Suisses ont aujourd’hui besoin du triple de courant. Cinq milliards d’hommes vivent encore à l’heure de cette société agraire, a constaté Lino Guzzella. «Ils veulent se hisser à notre niveau et ils en ont parfaitement le droit.» Car «sans énergie, la vie est assez minable».

La consommation électrique croît à un rythme annuel de 3 % depuis soixante ans. Globalement, cette tendance devrait certainement se maintenir: «Je n’ai jamais vu une prévision de consommation d’énergie qui n’ait pas été dépassée par la réalité». Mais est-ce que la production d’énergie peut couvrir ce besoin croissant sans risque ni pour l’homme ni pour l’environnement? 95 % du courant helvétique, a montré Lino Guzzella, provient des énergies nucléaire et hydraulique, seulement 5 % des énergies renouvelables – dont l’essentiel à partir des usines d’incinération des déchets. Sur un graphique, la contribution du solaire est à peine visible.

Les prochaines décennies n’apporteront pas de modification majeure à la situation, a-t-il montré dans son analyse des options possibles. La géothermie, «de loin intéressante mais de près risquée» nécessite des investissements extrêmement hasardeux. Personne ne peut les supporter. Le succès de forages allant jusqu’à cinq kilomètres de profondeur est très incertain. C’est pourtant un exercice indispensable pour atteindre la température nécessaire de 150 degrés. En Allemagne, l’énergie photovoltaïque est un gouffre financier qui a déjà enfoui 100 Mrd EUR – «Incroyable comme la fortune des contribuables peut se déplacer». De plus, les Allemands se battent maintenant avec le problème d’installations solaires qui produisent 75 à 80 % du courant durant l’été: «Sur le plan des besoins, c’est l’inverse qui prévaut- la demande de courant est faible l’été, mais forte l’hiver». Le problème ne peut se résoudre avec le stockage. L’usine de stockage par pompage de Linth-Limmern ne peut actuellement remplacer la centrale de Gösgen que pendant 37 heures. «Pour couvrir le besoin saisonnier, il faudrait 100 installations similaires». L’énergie éolienne pourrait «au moins être visible sur un graphique» avec une part de 2 % de la production mondiale. Mais les problèmes liés à l’expansion de tels investissements et leur exploitation sont sous-estimés.

«Est-ce déjà la fin du tournant énergétique?», ont demandé le directeur Gerhard Schwarz et l’expert en énergie Urs Meister à l’orateur. «Fukushima est aussi une réalité», a expliqué Lino Guzzella. Personne ne peut l’éviter dans les discussions, même si la sécurité des centrales suisses est largement supérieure. Il a également ajouté qu’aux «États-Unis le gaz non-conventionnel représentait un dixième du prix du pétrole» et qu’il existait d’énormes gisements de charbon, «bon marché et favorablement distribué»: «Avec le charbon, nous avons encore pour 1000 ans d’énergie – tous ne parlent que de photovoltaïque, mais le monde brûle du charbon». Jusqu’à ce qu’une nouvelle forme d’énergie apporte une contribution significative, il faudra au moins 50 ans; on ne peut rien y faire: «On ne le changera pas du jour au lendemain».

Le recteur de l’ETHZ a plaidé pour un accroissement de l’effort de recherche et développement, mais aussi pour que «la société ait davantage conscience des bienfaits de la science et de la technique». En tant qu’expert, il apporte une contribution essentiellle à la seule statégie vraiment sensée, la réduction de moitié de la consommation d’énergie à l’aide de machines et appareils plus efficients: «Je peux facilement vous proposer une voiture qui brûle 3,35 litres aux cent kilomtres au lieu des 6,7 litres de moyenne, mais elle roulera moins vite et accélérera plus lentement que les voitures actuelles. Il faudra bien renoncer à quelque chose».