Le Temps: Comment s’imaginer le fonctionnement de votre idée d’action cumulus»?

Gerhard Schwarz: L’approche à court terme des investisseurs dérange le public. Les patrons d’entreprise se plaignent aussi d’une approche boursière de leur fonction, de l’observation perpétuelle du cours de leurs actions à la publication trimestrielle de leurs résultats en passant par les «road shows» pour investisseurs. La volatilité à court terme est également problématique. Les entreprises ayant un actionnaire fort, par exemple les sociétés familiales, enregistrent une meilleure performance. L’idée de l’action cumulus consiste à réorienter l’approche sur le long terme. Les industriels du XIXe siècle n’avaient pas d’objectif financier à court terme, mais portaient un regard sur dix ou vingt ans. Le management était souvent lui-même l’investisseur. Aujourd’hui, le schéma est inversé. Le management réfléchit à moyen terme et l’actionnaire à très court terme. Cette perspective à long terme peut provenir d’un actionnaire majoritaire ou d’une action cumulus. Les détenteurs d’une action cumulus s’engageraient à trois ans ou davantage et obtiendraient une prime sous forme d’un droit de souscription, ou d’un dividende préférentiel, ou encore des droits de vote accrus, à l’image des anciennes actions nominatives liées. Les intérêts sont alors mieux alignés sur l’esprit entrepreneurial à long terme. L’identification avec l’entreprise peut venir d’une nouvelle forme d’action. L’action cumulus est peut-être mon idée préférée au sein des 44 nouvelles propositions de notre ouvrage.

Que se passe-t-il avec l’action cumulus si la société présente une perte et doit réduire son dividende?

L’action cumulus est ainsi imaginée qu’elle réduit l’incitation à la vente. Si je reste actionnaire trois ans, j’obtiens un droit de souscription pour une action, par exemple. Et si les affaires vont mal, je peux vendre l’action, mais je dois renoncer à mon droit de souscription. Le prix de la sortie devient une sorte de coût d’opportunité.

Mais pour l’entreprise, ce droit de souscription n’est-il pas un coût?

Il existe effectivement un effet de dilution, une redistribution de l’investisseur à court terme vers l’actionnaire à long terme.

Est-ce que les droits de vote seraient identiques?

C’est un cas de figure possible, mais nous pourrions aussi imaginer le cas où l’actionnaire qui garde ses actions trois ou cinq ans a fait ses preuves de loyauté et dispose de droits supplémentaires. Nous voulons lancer ce type de débat.

Aujourd’hui, chaque groupe d’intérêt défend à l’extrême ses intérêts particuliers au détriment d’une approche globale de la société, ce qui engendre tous les eismes» (écologisme, féminisme.). Existe-t-il des solutions adaptées à la Suisse face à ce phénomène?

C’est un aspect clé du modèle suisse. La coopération entre individus au sein de la commune, puis du canton et, finalement, de la Confédération reste l’atout suprême du système suisse. Les conflits idéologiques entre partis qui se déroulent au plan fédéral sont stériles, et à mille lieues de la collaboration de représentants des différents partis au plan local. Malgré la globalisation et une Europe toujours plus centralisée, c’est la force de la Suisse. Elle s’exprime par le fait qu’une grande partie des impôts soit levée au plan communal. C’est ainsi qu’on lutte contre ces «ismes» et qu’on obtient un compromis.

Cet article est paru dans «Le Temps» du 19 janvier 2013.