La 43e édition du Forum économique mondial (WEF) s’ouvre mercredi à Davos. La manifestation devrait réunir quelque 2500 participants de plus de 100 pays et de 1400 organisations. Cette année, Gerhard Schwarz n’a pas prévu de participer au symposium. Mais le directeur du think tank Avenir Suisse connaît la musique: il s’est déjà rendu une vingtaine de fois dans la station grisonne pour le compte de la «NZZ», dont il dirigeait à l’époque la rubrique économique. Témoin privilégié, il porte aujourd’hui un regard mêlé d’admiration et de critique sur la grand-messe davosienne. Entretien.

Guillaume Meyer: Comment percevez-vous l’évolution du Forum depuis ses débuts en 1971?

Gerhard Schwarz: Le symposium a connu plusieurs mutations. D’une réunion à caractère confraternel et intime à ses débuts, le meeting a pris de l’ampleur et s’est globalisé. Peu à peu, les participants ont oublié l’esprit «classe de neige» qui caractérisait le forum à l’origine. C’est la raison pour laquelle le fondateur Klaus Schwab, il y a quelques années, a suggéré d’interdire le port de la cravate! Le cercle des participants a également évolué. Historiquement, il s’agit d’une rencontre entre le monde politique, économique et scientifique, mais Davos a aussi connu une importante parenthèse «show business».

Les critiques exprimées par les anti-Davos, qui y voient l’incarnation d’un impérialisme économique, ont-elles été entendues?

J’ai l’impression que Klaus Schwab a toujours cherché à amener une note critique dans l’enceinte du forum. Aussi loin que je me souvienne, il y avait des détracteurs du système parmi les invités. Les dirigeants du WEF ont également créé une manifestation parallèle, l’Open Forum, pour offrir une tribune aux mouvements qui ne pouvaient ou ne voulaient pas prendre part au symposium. Klaus Schwab et son entourage ont presque institué un système de vases communicants entre Davos et les anti-Davos. Cet aspect a d’ailleurs pris trop d’importance à mon goût ces dernières années.

Cette année, Klaus Schwab veut justement thématiser la «fatigue» suscitée par la mondialisation. Qu’en pensez-vous?

Je partage son diagnostic. Le risque d’un repli sur soi, d’un retour aux réflexes protectionnistes n’a rien d’une chimère. Mais n’exagérons pas non plus dans l’autre sens: je ne pense pas qu’il faille en faire des montagnes. La Suisse n’est certainement pas à l’abri d’un protectionnisme rampant, en particulier dans le domaine financier, mais le danger principal est autre: c’est celui de voir des «clubs» comme l’Union européenne ériger des barrières autour d’eux et édicter des règles à prendre ou à laisser. Pour la Suisse, le débat sur la mondialisation prend donc une forme un peu différente.

Y a-t-il un vrai débat entre partisans et adversaires de la mondialisation à Davos ou n’est-ce qu’un alibi?

Pour moi, les conditions d’un vrai débat ne sont pas remplies. On ne peut pas faire asseoir 30 ou 40 personnes venues du monde entier dans une salle pendant une demi-heure et s’imaginer qu’il y aura un débat de fond! J’ai le plus grand respect pour Klaus Schwab et l’institution qu’il a créée et développée, mais je ne pense pas qu’il soit légitimé à parler du WEF comme d’un foyer de la pensée non conventionnelle. Le symposium de Davos n’est qu’une gigantesque ruche où d’innombrables personnes peuvent se rencontrer et discuter. C’est là que réside son intérêt et son utilité.

Cet article est paru dans «La Liberté» du 19 janvier 2013.