1. Le niveau absolu d’imposition n’est pas moins élevé en Suisse que dans d’autres pays comparables

Pour beaucoup la Suisse est synonyme de paradis fiscal. Mais, mis à part les quelques riches étrangers imposés au forfait et des entreprises au bénéfice de régimes fiscaux spéciaux, dans la grande majorité des communes suisses la charge fiscale n’est pas particulièrement faible. Si l’on fait les calculs comme il faut (par exemple en intégra t dans cette charge les primes pour l’assurance-maladie obligatoire), la Suisse se retrouve avec une quote-part de 42 % du produit intérieur brut (PIB) dans la moyenne des pays d’Europe continentale.

2. Pendant les dernières décennies, le niveau d’imposition global a augmenté

En Suisse, il n’y a eu ni érosion de l’Etat social, ni « révolution néolibérale », bien au contraire : la quote-part fiscale a crû de plus de 12 points de pourcentage depuis 1965 – suivant un développement similaire à celui des pays du nord de l’Europe. Chez nous comme ailleurs, l’augmentation reflète surtout l’élargissement du système des retraites et l’augmentation des coûts de la santé.

3. Notre système fiscal est peu progressif

Ce n’est pas seulement la charge fiscale moyenne qui détermine l’impact que peuvent avoir les impôts sur la création de richesse. Une imposition très progressive, avec des taux marginaux prohibitifs pour les hauts revenus, provoque une substitution du travail avec des activités non imposables (loisirs, productio  domestique, évasion fiscale). Cette substitution est d’autant plus dommageable qu’elle décourage les individus de s’engager là où ils seraient le plus utiles pour la société. Selon plusieurs études, la Suisse aurait un des systèmes fiscaux les plus « plats » de tous les pays de l’OCDE. Ce fait, aussi surprenant que méconnu du grand public, mérite une explication. Les très faibles disparités salariales dans notre pays (les plus basses du monde en ce qui concerne les salaires horaires,inférieures même à celles des pays scandinaves) y sont pour beaucoup. En effet, grâce à cette distribution égalitaire des revenus du travail les besoins budgétaires de l’Etat peuvent encore être satisfaits de façon à ne pas trop modifier le comportement des classes les plus productives. Par ailleurs, une faible progressivité de l’impôt n’implique pas une faible redistribution des richesses. En Suisse, celle-ci ne se fait pas par le biais de l’impôt mais plutôt par celui des prestations. Par exemple, bien que les primes de l’assur ncemaladie obligatoire ne dépendent pas du revenu, les réductions de primes sont accordées uniquement à ceux qui ne dépassent pas un certain seuil de richesse. Ainsi on évite d’entretenir une machine à redistribuer qui enlèverait l’argent d’une poche du contribuable pour le remettre dans l’autre. En contrepartie on risque un cumul de tarifications toutes dépendantes du revenu. Comme l’a montré une publication récente d’Avenir Suisse, les prélèvements implicites peuvent atteindre dans certaines villes jusqu’à 90 % du deuxièmerevenu. Ceci entrave la participation des femmes au marché du travail et constitue un obstacle considérable à l’ascension sociale.

4. La part de l’impôt sur le revenu est encore très importante en Suisse

Contrairement à la France, où l’impôt sur le revenu (l’IRPP) ne représente plus que 6 % du total des prélèvements obligatoires, la Suisse est restée fidèle à cet impôt direct. Un bon tiers des revenus fiscaux engrangés par l’ensemble des collectivités publiques en découle. Néanmoins, la par  des impôts indirects est en constante progression: de 9 % en 1995, au moment de l’introduction de la TVA, elle a passé à près de 13 % aujourd’hui. De plus en plus de réformes sociales, telle la récente révision de l’AI ou les propositions de réforme de l’AVS, prévoient un financement par la TVA. Ce faisant on évite de renforcer la progressivité du système fiscal, car le taux de TVA est égal pour tous. C’est bien pour l’emploi, mais moins pour la justice fiscale. C’est aussi pour cette raison qu’Avenir Suisse a proposé d’engager dans 44 Idées pour la Suisse une réflexion à très long terme sur un impôt progressif sur la consommation. Celui-ci cumulerait les avantages de la TVA sans contourner les exigences de justice fiscale.

5. Caractéristique fondamentale : le fédéralisme fiscal

Tout système fiscal national n’est qu’un reflet des institutions du pays. Conséquence directe du fédéralisme, la part des entités sous-nationales aux recettes fiscales totales se monte en Suisse à presque 40 %. Les cantons peuvent fi er les taux de plus de la moitié des impôts qu’ils prélèvent, les communes même 60 %. Une concurrence fiscale si intense sur un territoire aussi restreint est unique au monde. Le fédéralisme fiscal (et la concurrence qui l’accompagne) représente sans doute la contribution la plus originale du système tributaire suisse. Mais comment l’évaluer ? De nombreux économistes de la fiscalité se sont penchés sur cette question. Leur conclusion est claire : l’Etat, quand il est mis au régime fiscal fédéral, garde plus facilement sa ligne et a plus recours au financement des tâches publiques par des prélèvements spécifiques et non par l’impôt.

Au final, le système fiscal suisse semble mieux à même de régler les conflits incontournables entre les objectifs partiellement antinomiques d’équité et d’efficacité inhérents à une bonne imposition. Il démontre une capacité à redistribuer les richesses sans trop entraver la création de richesse. De ce point de vue, le fédéralisme fiscal représente sans aucun doute une particularit  et, en même temps, un des grands atouts de la Suisse. Il mérite d’être bien défendu.

Cet article est paru dans «La Politique» en avril 2013.