Le projet «Prévoyance 2020» sera présenté «avant la pause d’été», confirme la porte-parole d’Alain Berset, Nicole Lamon. C’est le plus gros chantier du chef du Département de l’intérieur puisqu’il concerne à la fois l’avenir de l’AVS et celui du 2e pilier. L’objectif est de garantir aux retraités un niveau de vie décent, correspondant à environ 60% de leur dernier salaire. Parallèlement, la réforme doit assurer un financement durable des retraites. Subtile mécanique, aussi admirée à l’étranger que les montres suisses – et tout aussi fragile. Elle promet d’être secouée dans le débat politique qui s’amorce. Jeudi, le groupe de réflexion Avenir Suisse, d’inspiration libérale, présentait une étude intitulée «Un deuxième pilier vacillant». Son auteur, Jérôme Cosandey, y affirme que les actifs «subventionnent» aujourd’hui les rentiers à hauteur d’un milliard de francs par an environ. Pour lui, on n’échappera pas à une baisse du taux de conversion (celui par lequel on multiplie le capital accumulé pour obtenir la rente annuelle). En clair, cela veut dire qu’il faudra cotiser plus pour maintenir le niveau des rentes. «Nous risquons de devoir payer un prix plus élevé», disait vendredi Colette Nova, vice-directrice de l’Office fédéral des assurances sociales. Mais le peuple l’avait refusé (73% de non) il y a trois ans.

Un gâteau convoité

De son côté, «Temps présent» épinglait il y a dix jours les gérants de fortune, assureurs et consultants qui prélèvent chaque année la coquette sommede 5,7 milliards de francs (en y incluant les frais administratifs des caisses) sur le gâteau du 2e pilier. Tandis qu’il cristallise les critiques de tous bords, l’Union syndicale, en embuscade, propose avec son initiative AVSplus de relever de 10% toutes les rentes vieillesse, ce qui se ferait probablement au détriment de la prévoyance professionnelle. Le 2e pilier est-il à bout de souffle? Faut-il l’assainir en abaissant le taux de conversion, même si c’est politiquement explosif? Nous ouvrons le débat avec Jérôme Cosandey, auteur de l’étude d’Avenir Suisse, et Aldo Ferrari, membre du comité directeur du syndicat Unia.

Jean-Claude Péclet: Un pilier vacillant?

Jérôme Cosandey: «Globalement, le système suisse reste un des plus enviés au monde, mais le 2e pilier souffre d’un début de sclérose. Le taux de conversion du capital accumulé en rente, fixé par la loi, ne correspond plus à l’espérance de vie actuelle. De plus, le rendement des marchés n’atteint plus le niveau nécessaire pour payer les rentes aujourd’hui garanties. Et quand il baisse, les actifs sont seuls à en supporter le risque. Il en résulte un transfert annuel de l’ordre d’un milliard de francs des actifs vers les rentiers.»

Aldo Ferrari: «Pas du tout. De 2003 à 2012, la performance moyenne des capitaux a été de 3,9% avec un taux d’inflation en baisse. L’an dernier, le rendement moyen de la fortune des caisses a dépassé 7%, alors que seul 1,5% a été distribué aux affiliés. La différence? Elle a permis aux caisses de droit privé de remonter leur taux de couverture au bon niveau atteint avant la crise du début des années 2000. J’éprouve un sentiment étrange quand des défenseurs du capital affirment que le «troisième cotisant» de la prévoyance professionnelle (ndlr: soit justement le capital placé dans les marchés, les deux autres étant les salariés et les employeurs) ne parvient plus à jouer son rôle! Si c’était vraiment le cas, alors il faudrait supprimer le 2e pilier et tout transférer à l’AVS. Je ne le crois pas et ne le souhaite pas.»

Que faire? 

Cosandey: «Introduire plus de souplesse. Plus de quatre assurés sur cinq cotisent à des caisses dites «enveloppantes» (ndlr: couvrant plus que le minimum obligatoire). Celles-ci peuvent, avec la loi actuelle, décomposer la rente vieillesse en une part fixe répondant aux exigences minimales et une part variant selon la performance des marchés. Une telle solution décrisperait le débat politique autour du taux de conversion jugé «correct». Une autre piste nous vient du Liechtenstein, qui laisse le conseil de fondation de chaque caisse déterminer le taux de conversion qu’elle juge adéquat. Bien que la loi ne fixe pas de minimum, on n’y a observé aucune course à la baisse des taux ni aucune trace de «dumping social». Quelle que soit la solution retenue, je plaide pour qu’elle reste décentralisée.»

Ferrari: «Pas grand-chose, le système fonctionne. Si on le bricole en disant aux gens qu’ils paieront plus pour recevoir peut-être moins, ils perdront toute confiance. Affirmer que les actifs paient aujourd’hui pour les rentiers est réducteur. Quand l’inflation moyenne – non compensée dans le 2e pilier – était de 2,3% par an entre 1985 et 2000, qui en a fait les frais? Les rentiers, on l’oublie un peu vite. La prévoyance professionnelle n’a de sens que si elle est collective et solidaire sur le long terme, soit plusieurs décennies.»

Le taux de conversion?

Cosandey: «Il a été réduit progressivement de 7,2% à 6,8% entre 2005 et 2014. A mon avis, un taux réaliste devrait se situer entre 5,6% et 6,2%. Si le Conseil fédéral suit cette voie et ne veut pas connaître le même échec devant le peuple qu’en 2010, il faudra qu’il propose dans la loi des mesures compensatoires pour la génération transitoire, qui sera la plus durement touchée par la baisse du taux. On pourrait imaginer que les assurés à un an de la retraite ne subissent aucune perte, et que les tranches suivantes en assument 10%, puis 20%, etc.»

Ferrari: «Il n’y a pas de raison de le baisseren dessous de 6,8%. Le Conseil fédéral a un bon outil pour adapter le 2e pilier aux aléas de la conjoncture: la rémunération minimale servie aux affiliés, qu’il revoit tous les deux ans au moins. Elle est passée de 4% en 2002 à 1,5% en 2012, pour tenir compte de la baisse des rendements et de l’inflation. C’est efficace. Pensons aussi aux assurés qui ont le minimum LPP: un sur deux prend son capital à la retraite, la plupart d’entre eux sont dans des compagnies d’assurances. Si on baisse le taux de conversion, ils seront encore plus nombreux à retirer leur capital, augmentant ainsi le risque de finir aux prestations complémentaires ou à l’aide sociale.»

Caisses gaspilleuses?

Cosandey: «Ceux qui prétendent qu’il suffit de tailler dans le gras des frais administratifs, de consultants ou de gestion de fortune jettent de la poudre aux yeux du peuple. La moitié des frais administratifs sont liés aux seules obligations légales découlant de la création d’une entité juridique. Certes, il y a encore trop de caisses de pension en Suisse: on en compte environ 2300, alors que 85% des avoirs sont gérés par 10% d’entre elles. Mais même en réduisant leur nombre à 300, on peut espérer économiser quelque 400 millions de francs par an. On exige plus de transparence? J’approuve. Mais j’observe que la haute commission de surveillance des caisses, créée en 2012, et l’initiative Minder acceptée par le peuple suisse génèrent toutes deux des frais supplémentaires.»

Ferrari: «Depuis 2013, les caisses doivent indiquer dans leurs comptes les frais de gestion de fortune, y compris indirects, et mentionner les placements non transparents. Elles sont ainsi mieux à même de connaître leurs coûts réels et de négocier avec les gérants de fortune. De plus, les rétrocessions sont réduites suite au récent arrêt du Tribunal fédéral. Il est difficile de chiffrer le potentiel d’économies qui en découle, mais il est réel, et clairement dans l’intérêt des assurés. Quantaux assureurs qui gèrent les risques pour les caisses en empochant une part des bénéfices, des économies sont certainement encore possibles.»

Cet article a été publié par «Le Matin Dimanche» le 09 juin 2013.