Cela a surpris plus d’un observateur quand le président a parlé en terme élogieux des technologies d’impression 3D, qui ont selon lui «le potentiel de révolutionner la façon dont nous fabriquons presque tout». Citant l’exemple d’un ancien entrepôt désaffecté dans l’Ohio, transformé en atelier de fabrication innovant, il a annoncé le lancement d’autres nouveaux centres de fabrication similaires, qui deviendront partenaires des départements de la Défense et de l’Energie pour créer des bassins d’emplois high-tech. «Et je demande au Congrès d’aider à créer un réseau d’une quinzaine de ces centres et de garantir que la prochaine révolution industrielle sera ‹Made in America›, a-t-II déclaré.»

De quoi parlait-il: de la prochaine révolution industrielle? Vraiment? En faisant référence aux «makers» («les faiseurs») comme étant les porteurs d’une véritable révolution industrielle en marche, Obama fait allusion à ce mouvement international de passionnés de fabrication «bricolée», de programmation ouverte, d’électronique Arduino, de design et d’impression 3D. Ce mouvement de créatifs, le professeur Richard Florida l’a désigné par le terme de «classe créative». Cette classe prétend réinventer la production de biens et la consommation. Elle veut personnaliser la fabrication des objets courants, défier l’obsolescence programmée, arrêter les délocalisations, réindustrialiser les métropoles occidentales, relancer l’artisanat et le goût d’entreprendre.

Brainstormer le futur

Le livre phare de ce mouvement est: «Makers: la nouvelle révolution industrielle», de Chris Anderson, l’ancien rédacteur en chef de Wired, revue culte de San Francisco. Selon ce dernier, ce mouvement a vraiment pris aux Etats-Unis, et plus particulièrement dans la Bay Area, il y a sept ans avec l’arrivée des premières imprimantes 3-D «bon marché». Dans ce livre, les exemples sont nombreux où l’on perçoit la poussée technologique des gens ordinaires vers un redéploiement industriel. Ainsi il est fascinant de voir que, par exemple, l’industrie des drones a été d’abord) l’affaire de ces gentils bricoleurs faiseurs de prouesses technologiques. Soutenu par «Make Magazine» édité par Dale Dougherty, l’autre gourou du mouvement des «makers», la communauté grandit de jour en jour non seulement en nombre, mais surtout en projets souvent payés par des sites Internet de financement populaire et participatif comme Kickstarter ou wemakeit.ch en Suisse. Plus de capital risque, plus de Business Angels ou de programmes étatiques de financement des start-ups, non, ce sont des projets financés par la communauté elle-même. On est passé de l’ère des start-ups à celle des net-ups pour laquelle les réseaux sont plus importants que tout. Pour animer toutes ces énergies, des lieux ont été créés afin, d’une part, de mettre à disposition des machines pour que les gens puissent créer et, d’autre part, pour réunir ces créatifs pour échanger leurs expériences. Et surtout pour penser et «brainstormer» le futur. Ces lieux portent différents noms et répondent à différentes spécificités, mais ils ont tous comme vocation d’être les avant-gardes d’un milieu industriel en devenir. Que se soient les TechShops, les FabLabs, les HackerSpaces ou les centres créatifs, ils sont désormais plusieurs centaines à être actifs aujourd’hui dans le monde. Chaque ville qui se veut un peu compétitive, possède déjà ou est en train de construire de telles plateformes.

La Suisse n’échappe pas à la règle (voir l’encart ci-dessous sur le «Swiss Creative Center» de Neuchâtel). Qu’en sera-t-il demain? L’état un peu aventureux de cette première vague de «faiseurs» ne nous dit pas tout sur l’avenir industriel de nos sociétés. En effet, certains ont encore du mal à croire qu’une bande d’amateurs puisse bousculer l’establishment. Mais souvenons-nous, c’était aussi le cas dans les années septante lorsque de jeunes barbus inventèrent Apple, Microsoft, etc. et commencèrent à révolutionner l’informatique tout en créant la puissante Silicon Valley. Et pourtant l’avenir se lit d’ores et déjà le long de trois axes de réflexions:

  1. D’abord, on va pouvoir imprimer en grand nombre des objets en 3-D aussi facilement que l’on a pu imprimer des textes, des photos ou toutes sortes d’images.
  2. Ensuite, on va pouvoir s’échanger ces objets sur de très grandes distances en temps réel et sans coût de transport. Envoyer par mail ou télécharger des plans ou des algorithmes qui seront l’expression de processus d’impression 3D ne coûte en effet pratiquement rien et sera instantané. En clair, si je veux avoir de nouvelles assiettes pour mon ménage, alors je vais chercher dans une banque de données sur Internet pour choisir les pièces que j’aime et les imprimer à la maison.
  3. Demain, une autre fonctionnalité va perturber la réalité industrielle, c’est la capacité de faire circuler des machines via le réseau Internet. En fait, toute machine peut être représentée par un ensemble de procédures, dont je peux tirer les algorithmes sous-jacents ainsi une machine est en fin de compte qu’un fichier d’algorithme à télécharger à volonté avant de la reconstruire à l’aide d’une imprimante 3D et de quelques matériaux électroniques à usage simplifié. Simple en principe. Peut-être quand même pas pour tout le monde. Mais on peut supposer qu’autour des centres créatifs une compétence participative s’organisera afin de partager ces nouveaux outils et surtout ces nouvelles machines.

L’enjeu est donc bien, comme le disait, en ce début d’année Obama, de maîtriser le changement vers l’industrie utilisant les technologies «additives» et non plus seulement «soustractive». C’est un changement complet de paradigme pour toute notre société: imprimer/fabriquer en 3D c’est l’affaire d’empiler des couches de matériaux les uns sur les autres… pas de couper!

Le Swiss Creative Center

Lorsqu’un pays comme la Suisse caracole en tête des classements internationaux en matière d’innovation, on doit se poser naturellement la question de comment se maintenir à un tel niveau de performance. La réponse est simple: améliorer les processus de créativité, source première de l’innovation. En s’engageant sur le terrain de l’innovation de rupture, Neuchâtel se dote du premier centre de ce type en Suisse où les créatifs issus d’horizons différents travaillent avec les industriels et commerçants au sein d’une dream team emmenée par Ehnar Mock, co-inventeur de la Swatch, l’ethnologue Jacques Hainard ou le designer Xavier Perrenoud entre autres. C’est le pari que le Canton de Neuchâtel, sous l’impulsion de la Chambre Neuchâteloise du Commerce et de l’Industrie, vient de lancer avec le Swiss Creative Center: le profiler comme centre disposant d’une sorte d’accélérateur à la créativité, en assemblant matériels (grâce au Fablab) et compétences (à l’aide d’un Thinklab). La créativité de rupture est sans doute pour demain, ce petit plus qui maintiendra la Suisse en tête des pays les plus innovants au monde.

Cet article a été publié dans «Affaires Publiques» 2/2013.