Dans son discours annuel sur «l’État de l’Union» prononcé le 12 février dernier, le président américain Barack Obama a surpris plus d’un observateur en traitant en termes élogieux les technologies d’impression 3D. Citant l’exemple d’un ancien entrepôt désaffecté dans l’Ohio transformé en premier laboratoire pour l’innovation de la fabrication du futur où les employés maîtrisent l’impression 3D qui a «le potentiel de révolutionner la manière dont nous fabriquons pratiquement tout.» Il a annoncé dans la foulée le lancement d’autres nouveaux centres créatifs de fabrication similaires qui seront soutenus par le département de la défense, de l’énergie et du commerce pour créer des nouveaux bassins d’emplois high-tech. «Et je demande au Congrès d’aider à créer un réseau d’une quinzaine de ces centres et de garantir que la prochaine révolution en matière de production soit menée en Amérique. Si nous voulons fabriquer les meilleurs produits, nous devons également investir dans les meilleures idées.» a-t-il déclaré.

C’est tout de même exceptionnel que le président du pays qui est économiquement, technologiquement et militairement le plus puissant du monde, annonce simplement l’arrivée prochaine d’une révolution industrielle. Cela mérite que l’on s’y attarde et que l’on évalue sérieusement son propos. C’est pourquoi nous vous proposons d’abord une série de six articles qui feront le point à la fois sur les avancées technologiques et sur les perspectives à moyen et long terme pour l’industrie de la machine-outil suisse. Rappelons en passant que la Suisse est l’un des pays les plus industrialisés au monde et qu’un tel enjeu est vital pour notre avenir.

Nous allons aborder cette «nouvelle» révolution en analysant une à une les différentes facettes en traitant systématiquement les thématiques suivantes: l’impression 3D, l’additive manufacturing, le desktop manufacturing, les Makers, la co-création puis dans un deuxième temps des questions comme: le crowdsourcing, le crowdfunding, le design thinking, les réseaux sociaux des consommActeurs et les net-ups.

Tout d’abord, nous allons rappeler dans quel contexte ces enjeux ont lieu. Historiquement, l’industrie usine la matière première en la forgeant, la pressant, la décolletant, la perçant, la limant, etc. à l’aide de machines-outils. En somme, l’industrie soustrait de la matière à la matière pour obtenir des pièces, des éléments, des objets, des outils, puis par assemblage des machines et des systèmes. Désormais, la «nouvelle» révolution industrielle va consister à additionner de la matière à la matière pour obtenir les mêmes éléments jusqu’ici trop complexes ou impossibles à réaliser par soustraction comme par exemple des pièces contenant des cavités entièrement closes. Pour schématiser cette révolution, on passe donc de l’ère de la soustraction à celle de l’addition. Pourtant ce n’est pas seulement un changement de forme, mais bien de fond car les techniques, méthodes, approches, savoirs et inventions vont prendre une toute nouvelle orientation.

C’est du même ordre que le passage du mode analogique en numérique pour l’audio, la photo ou la vidéo. Au début, on a eu tendance à banaliser ce changement de procédé pour transporter et stocker des données mais bien vite on a vu apparaître de nouveaux formats (MP3), de nouveaux appareils (iPod) puis de nouvelles applications (YouTube et la radio digitale) et d’un coup, on doit faire face à un nouveau monde où par exemple, les anciens «majors» de la musique sont remplacés par Apple, YouTube ou Radio Paradise!

Voilà à quoi on peut s’attendre à moyen terme mais pour l’heure, nous devons juste réfléchir à ce bouleversement et décider sur les moyens stratégiques à mettre en place pour faire face à cet enjeu. Aujourd’hui, l’apparition récente d’un appareil bon marché, facile d’usage et aux normes FFF (Fused Filament Fabrication) comme l’imprimante 3D va nous permettre de changer la donne. Elle utilise des filaments plastiques qu’elle superpose couche par couche pour reproduire n’importe quelle forme 3D.

Elle est accessible à tout un chacun et s’est vendue par milliers de par le monde. On devrait s’attendre à ce que le nombre de ventes atteigne le million d’ici deux ans. Aujourd’hui, ce sont les ingénieurs, les designers, les créatifs qui s’en emparent dans de nouveaux lieux appelés FabLab, TechShop ou Creative Center, mais également des secteurs comme l’aéronautique, l’automobile, la téléphonie ou la médecine, ont déjà franchi le pas. L’enjeu pour l’essentiel se situe dans la multiplication de ces centres de fabrication additive. Le Président Obama l’a bien compris en proposant la création de 15 centres aux États-Unis, sauf qu’il en faudrait un dans chaque ville américaine et donc des centaines voire des milliers, pour pouvoir réellement faire la différence.

En Suisse, plusieurs centres existent depuis quelques années, dont les précurseurs se trouvent à Neuchâtel et Lucerne. Conçus autour du concept de FabLab, ils expérimentent de manière encore confidentielle avec des entreprises locales, la conception d’objets additifs. Là aussi, le Parlement mais aussi le gouvernement suisse à travers la CTI (Commission pour la Technologie et l’Innovation) n’ont pas encore pris conscience de ce bouleversement. Pour l’heure, la seule proposition en cours est la création de parcs d’innovation dont le concept est de prendre en compte les mètres carrés plutôt que l’intelligence au carré. Cette concentration de petits lieux informels ou plus officiels permettant de mieux maîtriser cette fabrication additive devrait faire l’objet des priorités de nos politiciens car il est impératif de ne pas rater le prochain tournant économique.

Cet article est paru dans «L'Agefi» du 31 juillet 2013.