Durant l’été 1977, Steve Jobs commença à commercialiser l’Apple II conçu par Steve Wozniak et une équipe de «hippies» californiens, alors que le monde entier continuait de travailler sur de grosses machines IBM enfermées dans d’immenses salles réfrigérés avec du matériel cher et encombrant.

L’époque, dans les milieux informatiques, était au costume/cravate si bien que la venue sur le marché de barbus/chevelus avec leur drôle d’engin appelé «ordinateur» paraissait être une monstre farce! Quelques décennies plus tard, il faut donc bien reconnaître que personne n’avait un instant soupçonné que la miniaturisation, la baisse des coûts et la simplification de l’usage des ordinateurs allaient gagner une telle ampleur et bouleverser pareillement le monde économique et social. On peut juste constater qu’en l’espace d’à peine une décennie, ce qui nous a amené au milieu des années 80, les ordinateurs étaient devenus financièrement abordables, plus petits et plus légers, portables, faciles d’usage. L’arrivée d’Internet à partir de 1993 apportera une décentralisation en liant chaque partie du monde au tout. La création de contenu était devenue l’affaire de tous. On a alors parlé de «Desktop Publishing» dès lors que l’on a pu associer à l’ordinateur personnel une imprimante de qualité et de surcroît bon marché. Le terme de Desktop va nous intéresse ici tout comme celui d’imprimante. En effet, aujourd’hui dans le domaine industriel, on assiste à une révolution du même ordre qui éveille des similitudes, des convergences et des évolutions parallèles. Il faut juste noter que Steve Jobs et Steve Wozniak, les deux fondateurs d’Apple s’étaient rencontrés au «Home Brew Computer Club» début 1975, un club pour amateurs d’informatique et d’électronique. Steve Wozniak conçoit l’Apple durant l’été de la même année puis les deux Steve le présentèrent plus tard au Club. Ce genre de lieu a joué un rôle essentiel dans l’évolution de la micro-informatique et plus tard d’internet. Ce phénomène est toujours d’actualité, puisque des lieux comme les TechShops, les FabLabs ou les Centres Créatifs rassemblent les Makers (amateurs industriels). Ainsi donc le «Desktop Manufacturing» est en train de suivre le même cheminement que celui du «Desktop Publishing» il y a plus de 20 ans.

Faisons-en la démonstration. D’abord, la première condition concerne la miniaturisation. Il est clair que la machine-outil dans l’industrie est la plupart du temps volumineuse et donc incompatible avec le fait de pouvoir la poser sur la table de ma cuisine. Puis, se pose la question des commandes numériques. Presque toutes les machines-outils sont aujourd’hui à commande numérique, mais très peu d’entre elles sont gérables depuis un téléphone mobile ou un Laptop. De plus, les commandes numériques restent compliquées et plusieurs mois d’apprentissage sont nécessaires pour les maîtriser. Il n’existe pas vraiment de machine-outil de type «Plug & Play» et son prix demeure très élevé. Par conséquent, elle n’est pas accessible aux Makers et aux particuliers. L’industrie nécessite de lourds investissements et des gens hautement qualifiés pour leur fonctionnement. Il va en être tout autrement avec le «Desktop Manufacturing» car les mêmes machines sont moins chères, plus maniables et plus petites. Si l’on prend l’exemple des imprimantes 3D, elles ont été inventées à la fin des années 80 et sont restées longtemps chères et encombrantes, difficiles à manipuler. Depuis peu, on trouve des modèles à moins de 1000 francs plus donc à un prix modique et facile à diriger depuis son laptop. Bref, c’est révolutionnaire. Le marché a bondi depuis deux ans et tout particulièrement depuis le premier semestre 2013 à plus d’un milliard de chiffres d’affaires. On assiste à l’envol d’une nouvelle révolution industrielle basé sur la baisse des coûts d’investissements, de la baisse des coûts et de la simplification de son usage.

Mais l’élément le plus surprenant à venir avec les premières applications est la possibilité nouvelle offerte par la fabrication additive. Il s’agit d’un total changement d’approche. On est passé de l’approche par soustraction de la matière à celle dite additive, par addition successive de couches de matière. En principe, avec les deux méthodes le résultat final est plus ou moins similaire, si je réalise par exemple une coque protectrice en plastique pour mon iPhone. Mais cela n’est plus vrai pour la conception d’une pièce plus complexe avec des rivets. Alors que la méthode soustractive demande de prévoir des techniques d’assemblage pour mettre ensemble plusieurs pièces, la méthode dite additive est réalisée pour la pièce en une seule fois. C’est d’ailleurs cette dernière méthode qui est utilisée pour fabriquer ce genres de pièces dans l’aérospatial. Dès lors que de nouvelles méthodes de fabrication s’opèrent des champs immenses à l’innovation industrielle s’ouvrent en repoussant les frontières du possible. Un peu comme le «Desktop Publishing» a ouvert la voie au traitement de texte, à la publication en Do It Yourself sur Amazon, au blog sur Internet, à l’album de photo d’Instagram ou à Wikipédia, le «Desktop Manufacturing» va nous conduire dans le domaine de la matière, des atomes et donc de la production. Si le «Desktop Publishing» nous a conduits au monde des bytes, aux signifiés et donc aux services, il y a deux décennies à peine, alors on peut s’attendre aux nombreuses opportunités offertes par le «Desktop Manufacturing».

Cet article a été publié dans «L’Agefi» du 14 août 2013.