Lorsqu’Elmar Mock, co-créateur de la Swatch et fondateur de Creaholic à Bienne parle d’innovation de rupture, celle qui n’a pas encore été demandé par le public, il sait de quoi il parle! En effet, l’invention de la Swatch réalisée tout en plastique, au marketing habile et planétaire et à un prix défiant toute concurrence, a donné au monde entier une image de l’horlogerie suisse novatrice et performante. Il faut rappeler que l’industrie horlogère suisse a surmonté la crise des années 70 grâce à la Swatch qui a bloqué la menace nipponne en verrouillant le marché de masse. La conception de cette montre irréparable a permis de baisser son coût, tout en conservant la qualité.

D’autres exemples en Suisse romande ont ouvert le chemin au processus de co-création. Nespresso, la capsule à succès de Nestlé qui grâce à son invention par Eric Favre, et par la volonté de Jean-Paul Gaillard de s’adresser à un segment de marché haut de gamme, a pris un véritable tournant en se positionnant sur le marché du café. Par le biais d’incessantes innovations, Nespresso a donné aux consommateurs la possibilité d’être de parfaits connaisseurs de «Grand cru» au sein d’un Club mais aussi en diffusant ses produits dans des boutiques. L’expérience du client, le packaging et la qualité du produit a permis à Nespresso de rivaliser avec une concurrence farouche.

L’invention de la girolle, cet ustensile qui grâce à son axe central transperce le fromage de part en part et permet de le racler pour obtenir des «pétales de Tête de Moine» est l’oeuvre de Nicolas Crevoisier. Ce Jurassien a trouvé cette solution inconcevable pour la tradition fromagère a créé cet objet, protégé par l’AOC, pour éviter des licenciements dans son entreprise dans les années de crise. Ces trois inventions relativement récentes montrent des processus de créativité chez des individus ou groupe d’individus fonctionnant en dehors des chemins battus de la R&D entrepreneuriale. Ces inventions de rupture ont été produites par des personnes en rupture avec le cadre classique de gestion de l’innovation. Ceci est important pour que la Suisse puisse réussir sa «nouvelles révolution industrielle». En premier lieu, il faut définir le terme de co-création et savoir s’il existe des méthodes propres à celle-ci.

Pour l’instant, on parle de co-création lorsque les entreprises collaborent avec des tiers notamment les clients ou encore pour transformer des procédures entrepreneuriales par le biais des réseaux sociaux dans le cadre des activités clients. Ainsi «l’expérience client» devient une nécessité commerciale incontournable dans la mesure où celle-ci a évolué grâce aux techniques du Web 2.0, prévient Venkatram Ramaswamy, professeur de marketing et de commerce électronique et grand spécialiste de la co-création à la Ross School of Business de l’Université de Michigan.

Sur la question des méthodes, il en existe beaucoup mais l’une d’entre elles a été développée par Elmar Mock, et il la présente dans son denier livre et dans les ateliers qu’il tient périodiquement au Swiss Creative Center de Neuchâtel. Même si la co-création n’est pas encore une discipline universitaire, elle est déjà très présente dans les entreprises qui d’une manière ou d’une autre, ont entamé de nouveaux processus avec leurs clients et leur environnement pour créer de nouvelles formes collaboratives. Par exemple, les LivingLabs et les FabLabs sont aujourd’hui des plateformes propices à ces expériences clients. On en dénombre plus d’une vingtaine en Suisse.

Demain, on va se rapprocher plus du modèle de Wikipédia à savoir une professionnalisation des intervenants, que du «bidouillage» actuel. On peut s’attendre à l’émergence de banque d’idées, de base de données sous forme de fichier à télédécharger ou de «data mining» d’expériences. Une révolution de la collaboration industrielle est en marche sous la forme finale d’échanges à caractère gratuit. Dans cette perspective, deux éléments clés vont jouer un rôle crucial: les «creative commons» et les «mash-up». Les «creative commons», qui sont une forme contemporaine de la protection intellectuelle sans propriété, remplaceront les traditionnels brevets et faciliteront l’échange de savoir sans les frais liés à la conservation de la propriété intellectuelle actuelle. Ouvrant librement les usages tout en réservant des droits d’auteur et la technique du «mashup», qui permet d’ajouter/personnaliser les services et les produits, les «creative common» sont à la nouvelle révolution industrielle ce que furent les brevets à la première. Aujourd’hui, on a tous constaté l’usage des cartes Google sur lesquelles ont été ajoutées des informations comme par exemple les commerces ou les musées dans une ville. Demain, on verra se généraliser ce concept de «mash-up» sur toutes sortes d’objets ou de machines. La co-création va développer son champ comme l’ont fait, aux premières heures de la révolution industrielle, les inventeurs avec le droit au brevet. Les solutions sont d’un autre temps, mais les questions restent les mêmes: à qui appartient l’invention et sa production et quelle sera sa relation au consommateur?

Cet article a été publié dans «L'Agefi» du 16 août 2013.