L’État s’insère de différentes manières dans la vie des individus. La plus évidente est fiscale. Il prélève une partie de ce que les hommes gagnent par leur travail et une partie de chance, sur le marché ou à travers un héritage de leurs parents. C’est donc celui qui est précisément responsable de la garantie de la protection des droits de propriété qui réduit ces mêmes droits individuels. Ce paradoxe insoluble explique en quoi le libéralisme est en conflit avec l’État. Gerard Radnitzky qualifie la quote-part fiscale de quotient d’incapacité d’une société. Il s’agirait plutôt d’un quotient d’expropriation.

Le terme d’incapacité convient mieux à la seconde forme de l’intervention de l’État, à savoir la réglementation. Les prescriptions, à savoir les interdictions, et seulement ensuite les commandements, signifient toujours une perte de liberté. Il arrive que la perte de liberté de l’un signifie la protection de la liberté des autres. L’État est alors nécessaire pour assurer une coopération paisible aussi longtemps que son rôle est mesuré, aussi longtemps qu’il établit des règles et des interdictions générales, et non pas des commandements.

La troisième forme d’intervention de l’État est celle de la production de services. Elle n’est pas nécessairement perçue comme une intrusion dans la vie privée, parce qu’un service n’est pas a priori mauvais. Mais lorsque l’État finance lui-même des biens et services précis, ce sont d’autres biens et services que ceux du marché.

Il me paraît crucial de distinguer les différentes catégories d’intrusion. Un État presque sans ressources peut très bien jouer sur le clavier des réglementations et tenter d’atteindre par ce biais les objectifs qu’il vise. L’Union européenne s’inscrit parfaitement dans ce cadre.

Quelles mesures nous permettraient de réduire l’intervention de l’État? Théoriquement, la liste est longue, mais en pratique, et en tenant compte des enseignements de l’école du public choice, elle est bien plus réduite.

On pourrait essayer d’inscrire la quote-part de l’État dans la Constitution. Aux Etats-Unis, de telles tentatives sont en cours. Ce n’est pas une mauvaise approche, à mon avis, même si l’on peut craindre qu’un État amaigri puisse accroître le degré de réglementation. Il n’existe d’ailleurs pas de mesure objective de la juste taille de l’État. Dans le passé, la dîme était perçue comme confiscatoire. Aujourd’hui, les dépenses publiques et les prix relatifs ont changé. Cela ne justifie toutefois pas que 40 ou même 50% du revenu national soient aux mains de l’État.

Une autre piste pourrait consister à établir une liste des tâches de l’État, une définition de ce que l’État peut et ne peut pas, où il peut être actif et où il n’en a pas le droit. Cela réduirait son pouvoir réglementaire et son activité entrepreneuriale. Il est cependant plus aisé d’énumérer ce que ne doit pas faire l’État que d’établir une liste positive des devoirs de l’État. Il est clair que la garantie de la sécurité extérieure figurerait sur cette liste. Ainsi que la garantie de la sécurité intérieure, la mise à disposition de certaines infrastructures, l’établissement d’un ordre juridique, d’un système monétaire, la garantie de la concurrence et la garantie de l’aide sociale pour les plus démunis.

Je considère comme très sensée la «clause Sunset» pour les lois et directives. Cela suppose qu’on les traite en plusieurs étapes: après dix ans, le parlement décide ou non de les prolonger. Après 15 ans, il faut justifier leur prolongation par une discussion détaillée. Elles prennent fin définitivement après 20 ans. Le contenu de l’ancienne loi ne pourrait être préservé qu’en lançant une nouvelle directive reprenant exactement les mêmes termes.

La question est de savoir s’il est possible de limiter la production de lois et ordonnances, par exemple en limitant le nombre de lois par an ou le nombre annuel de pages produites, ou, comme au Texas, de décider que le parlement ne se réunit que tous les deux ans et pour au plus 140 jours.

On ne peut naturellement pas oublier la démocratie directe et le fédéralisme, des institutions spécifiques à la Suisse. Pour limiter l’État, le fédéralisme importe davantage que la démocratie directe. C’est un barrage crucial contre l’expansion de l’État, premièrement grâce aux mérites de la concurrence des systèmes fiscaux et réglementaires. Deuxièmement, parce que la taille est importante en soi. Les petites entités ont en général besoin d’un État moindre. Troisièmement, lors des votations, la nécessaire majorité des cantons permet de faire échouer de dangereuses propositions.

Que peuvent les libéraux pour soutenir un programme de réduction de la taille de l’État? En tant que chroniqueur, je crois à la force des idées, des arguments et des explications. Mais soyons francs, la loi de Wagner (qui veut que la taille de l’État augmente avec le bien-être) est toujours valable. Nous devons donc nous battre sur tous les fronts pour que certaines activités publiques soient à nouveau confiées à la société civile et à l’économie de marché. Peut-être de cette manière parviendrons-nous au moins à freiner la croissance de l’État!

Traduction: Emmanuel Garessus