Idea concept with row of light bulbs and glowing bulb

Le Conseil fédéral a décidé de l’ouverture totale du marché suisse de l’électricité à partir de début 2018. Dès lors, les petits clients dont la consommation de courant se chiffre à moins de 100 000 kWh par an pourront eux aussi choisir librement leur fournisseur. La procédure de consultation a été lancée il y a quelques semaines, et déjà, des associations environnementales, tout comme des politiciens de gauche et de droite se sont exprimés de manière critique par rapport à l’ouverture complète du marché suisse du courant. Face aux prix, actuellement bas, du commerce de gros européen, ils craignent une augmentation des importations de courant sale, ce qui représenterait un danger pour la transition énergétique et/ou pourrait faire de la concurrence à l’énergie hydraulique nationale. Le fait d’accepter une ouverture complète du marché est ainsi conditionné par l’introduction de mesures d’accompagnement, dont notamment une taxe sur le courant «sale» importé.

Il faut dire que la politique climatique européenne, essentiellement basée sur la taxation des émissions de CO2, n’a guère d’effets. Actuellement, des certificats d’émission sont négociés au prix de 6 euros par tonne de CO2. Mais pour que ces certificats réduisent vraiment les émissions de CO2, il faudrait que leur prix soit fixé à un niveau suffisamment élevé pour que les coûts (variables) des centrales à charbon deviennent supérieurs à ceux des centrales à gaz (Fuel-Switch) – ou qu’à moyen terme, ils rendent d’autres énergies renouvelables plus compétitives. En faisant une simulation, on s’aperçoit qu’en tenant compte des prix actuels du charbon et du gaz sur les marchés à terme pour 2015, les coûts variables d’une centrale à houille sont seulement supérieurs à ceux d’une centrale à gaz moderne quand le prix du CO2 atteint 57 euros. Mais au vu de la faiblesse économique de l’Europe et de la crise en Ukraine, une politique climatique plus stricte en termes de certificats d’émission de CO2 semble pour l’instant peu réaliste: les prix du commerce de gros d’électricité pourraient presque doubler et la dépendance au gaz russe serait plus importante. Ainsi, en se basant sur le pragmatisme de la politique climatique européenne et la situation actuelle sur les marchées internationaux de gaz et de charbon, une augmentation des coûts des centrales à énergie fossile, et donc des prix élevés sur le marché de l’électricité est illusoire.

Prix plus faibles pour du courant «propre»

Les détracteurs de la libéralisation du marché de l’électricité partent du principe que les prix peu élevés sur les marchés européens de l’électricité conduisent à une hausse des importations, ce qui a automatiquement pour conséquence de faire augmenter la quantité de charbon dans le mix d’électricité des consommateurs. En bref, ils pensent que l’ouverture du marché rendrait les consommateurs plus sensibles aux prix et les pousserait à choisir le fournisseur le moins cher à l’étranger, à savoir une centrale à charbon. Selon ce scénario, la consommation élevée d’électricité provenant du charbon finirait par supplanter l’offre de courant «propre», mais plus coûteux, des fournisseurs suisses. Ceci est faux: les coûts marginaux des centrales hydrauliques et nucléaires étant très bas, ces dernières produisent du courant pratiquement à chaque niveau (positif) de prix. Chaque mégawattheure produit en plus génère une marge sur les coûts fixes élevés de ces centrales. Des prix de gros plus faibles ne réduisent donc pas les incitations à la production, mais seulement cette marge brute. Si l’ouverture du marché devait réellement amener les consommateurs à acheter davantage de courant de l’étranger, les producteurs suisses exporteraient simplement leur électricité. La libéralisation totale n’a d’influence ni sur la production nationale, ni sur les importations. Cependant, les fournisseurs (et donc les producteurs) suisses seraient forcés d’adapter leur prix par rapport aux prix du commerce de gros (européen) et donc de fournir leur courant à des prix plus bas à tous les consommateurs finaux en Suisse. Grâce à la libéralisation, les consommateurs suisses bénéficieraient de prix plus bas pour le courant «propre» produit en Suisse.

On peut en conclure qu’une libéralisation totale n’a pas d’influence sur les flux commerciaux. La nécessité d’importer continuera à être dictée par la disponibilité technique des centrales nucléaires et hydrauliques: en été, quand la production des centrales hydrauliques et à son maximum, la Suisse exporte. En hiver, elle dépend par contre des importations qui se basent sur le mix de production européen. Une taxation du courant importé, souhaitée par certains, ne changerait pas fondamentalement la donne. Le seul changement serait le niveau des prix sur le marché suisse. Une surtaxe déguisée en impôt d’incitation aurait pour conséquence une hausse des prix de gros, ce qui apporterait des rentes aux centrales nationales. De plus, une surtaxe sur les importations entraverait l’efficacité du marché, et aurait des effets pervers sur les incitations à la production et à l’investissement.

Les incitations à l’investissement ne font pas partie de la libéralisation

Bien sûr, cette argumentation a jusqu’à maintenant été statique: c’est-à-dire qu’elle considère seulement les incitations pour les centrales déjà existantes. On pourrait donc rétorquer que le pragmatisme de la politique climatique de l’UE, couplé à des prix bas dans le commerce de l’électricité de gros, détruit les incitations à investir dans de nouvelles centrales d’énergies renouvelables. À l’avenir, les importations de courant «sale» supplanteraient la production de courant «propre» au niveau national. Bien que l’argument soit valable, il n’a aucun rapport avec la libéralisation formelle du marché du courant, mais plutôt avec les prix bas du commerce de gros. Un petit jeu mental illustre cette relation: même sans libération du marché suisse de l’électricité, les prix bas du marché de gros européen finiront par supplanter les incitations à l’investissement en Suisse. Supposons qu’un monopoliste suisse puisse fixer le prix final pour les consommateurs arbitrairement. Dans ce cas, il demandera toujours le prix du monopole. Mais même dans ce cas, il aurait intérêt à maintenir ses coûts le plus bas possible pour maximiser ses bénéfices (en faisant abstraction des inefficacités dues au monopole). S’il peut choisir entre un investissement cher et une importation bon marché de l’étranger, il va choisir la deuxième option. En conclusion: c’est toujours le prix de gros qui détermine les incitations aux investissements au niveau national. Si la politique tient à promouvoir une production nationale de courant «propre», il faut un instrument de promotion, et ceci indépendamment du degré de libéralisation. Au niveau national, les impôts d’incitation sur la production et l’importation ne s’y prêtent pas car ils entravent la compétition, le commerce et les incitations à la production, les rendant inefficaces (voir plus haut). Les impôts d’incitation perçus auprès des consommateurs au lieu des producteurs, respectivement les importateurs (voir l’article «Lenkungssteuer und Quotenmodell sind nahe Verwandte», seulement en allemand) posent moins de problèmes, et mènent à un résultat comparable à celui du modèle de quotas qu’Avenir Suisse proposait comme alternative à la rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC, voir avenir points de vue «Réformer la RPC»).

Les émissions de CO2 dépendent de l’Union européenne

Les objectifs concernant le renforcement des énergies renouvelables fixés au niveau national ne changent pas les émissions de CO2, et cela, pas seulement parce que les émissions suisses de CO2 ne sont que marginales dans le contexte européen. Si la Suisse produit plus de courant «propre», ses besoins en importations baissent, et  les exportations de ses voisins européens diminuent respectivement. Si leurs centrales à charbon produisent moins, leurs besoins en certificats d’émissions de CO2 sont également plus faibles. Leur prix chutant, les émissions deviennent plus attractives ailleurs. La quantité totale du CO2 émis en Europe est finalement déterminée par des limitations du système d’échange de quotas d’émission. Moins d’importations suisses ne changent pas les émissions. La Suisse aurait donc tout à y gagner, si elle arrêtait d’agir comme si elle était une île en termes de politique climatique.