Une structure d’accueil permanente pour think tanks internationaux en visite verra-t-elle le jour dans la Cité de Calvin? C’est le vœu de Tibère Adler, directeur romand d’Avenir Suisse, suite à l’expérience concluante du Global Think Tank Summit à Genève début décembre.

Genève vient d’accueillir, du 4 au 6 décembre 2014, le Global Think Tank Summit, une rencontre des plus importants «laboratoires d’idées» du monde entier. Aux côtés de réputés think tanks anglais (Chatham House), américain (Brookings) ou européen (Bruegel) se sont présentés de nombreux think tanks asiatiques (Chine, Japon, Inde, Pakistan, Bangladesh), australiens, arabes et africains. Avenir Suisse était de la partie, et est l’un des deux seuls think tanks suisses (avec le WEF – World Economic Forum) à figurer dans le ranking des plus importants laboratoires d’idées d’Europe de l’Ouest, contenu dans le rapport (2013 Global Go To Think Tank Report) établi annuellement par l’institut spécialisé TTCSP du professeur Jim McGann, de l’Université de Pennsylvanie.

Le Sommet a permis de constater l’incroyable diversité des think tanks, parmi lesquels se côtoient des instituts établis avec de grands moyens et des petites structures luttant pour leur survie; des établissements financés par l’État, de l’argent public, des fonds privés ou une combinaison de tout cela; des instituts généralistes ou alors spécialisés en certaines thématiques, telle que le développement durable ou les relations internationales; des instituts affichant leur indépendance politique complète, ou alors au contraire leur affinité élective, voire statutaire, avec un parti ou un courant politique.

Tous les think tanks présents veulent établir des passerelles entre le monde académique et le monde politique. Les Universités privilégient la recherche et l’enseignement et n’ont ni les moyens, ni souvent l’envie, d’intervenir dans le champ du débat politique ou économique. Quant au monde politique au sens large (gouvernements, administrations, partis politiques), il est trop occupé par la gestion à court terme ou trop limité par des considérations tactiques (électorales) pour pouvoir étudier et afficher des opinions nouvelles dans tous les domaines. Entre ces deux univers, les think tanks se donnent comme mission la recherche d’idées nouvelles, voire disruptives sur le long terme.

Encore faut-il que ces idées, par hypothèse excellentes, trouvent un écho dans le débat public et influencent les réglementations à venir. Pari difficile, dans un monde de communication hypertrophié, où la lutte pour capter l’attention du public et des décideurs est plus féroce que jamais: sur ce point, les think tanks sont en « concurrence » avec les médias, les lobbys, les partis politiques, les publicitaires et les citoyens eux-mêmes (par les réseaux sociaux). À titre d’exemple, plus d’un tiers des rapports mis en ligne par la Banque mondiale (pas un think tank, mais néanmoins un grand producteur d’études économiques) ne sont jamais téléchargés, même pas une seule fois. Pas de lecteurs, pas d’impact: la leçon d’humilité peut être cruelle. Quelle que soit la qualité de leurs recherches, les think tanks doivent donc consacrer une partie toujours plus grande de leur temps et de leurs ressources à la communication et à la dissémination de leurs idées. Le défi de la vulgarisation et de la réduction de la complexité est immense.

Le choix de Genève comme catalyseur d’une rencontre de think tanks mondiaux n’est pas anodin. Une fois de plus, ce fut l’occasion de constater que si la Suisse n’est (de loin) pas au centre des préoccupations du monde, toutes les préoccupations du monde s’expriment et se rencontrent à Genève (donc, en Suisse; car c’est une évidence pour tous ces laboratoires d’idées que «Genève est la Suisse», et inversement). Que ce soit en matière de santé, de désarmement, de paix, de commerce international ou de gouvernance d’Internet, tous les acteurs sont déjà à Genève, présents par les missions diplomatiques de près de 170 pays, les organisations internationales, de très nombreuses ONG (organisations non gouvernementales). Y adjoindre les think tanks, avec leur capacité de générer de nouvelles idées, ne peut qu’enrichir la fertilité de ces réseaux. Les Universités de la région lémanique ont l’opportunité formidable d’y jouer un rôle-clé, ce que le Graduate Institute (IHEID) a bien compris, en accueillant les think tanks en sa Maison de la paix. La Confédération suisse, le canton de Genève et la Fondation pour Genève se sont également engagés pour que ce Sommet ait lieu dans la ville de l’ONU et de Calvin (finalement sans grève des transports publics, mais chaque participant étranger a dû être surpris de voir figurer l’hypothèse comme possible dans le programme: une grève en Suisse???). Reste à voir si l’essai marqué avec le Global Think Tank Summit pourra être durablement transformé, par la mise en place d’une structure d’accueil permanente pour think tanks internationaux en visite (au sein de l’Organisation météorologique mondiale) et la capacité de renouveler l’invitation aux laboratoires d’idées de se réunir à Genève. Ce serait un atout supplémentaire pour augmenter la capacité de la Suisse à réunir, en terrain neutre et sans agenda caché, les cerveaux du monde entier, afin qu’ils partagent aujourd’hui les idées de demain.

Cet article a paru dans Le Temps le 15 décembre 2014.
Avec l'aimable autorisation du Temps.