Le choc que la Banque nationale suisse (BNS) a provoqué, en Suisse comme à l’étranger, par la suppression du taux plancher du franc suisse face à l’euro aura dans un premier temps un impact négatif. L’expérience a cependant montré que les effets seront positifs sur tous les domaines de l’économie suisse à moyen terme. Le plus grand danger est que les milieux économiques et les partenaires sociaux demandent du soutien. Mais, si la pression vers un changement structurel ou l’augmentation de la productivité, qui provient de la force du franc, devait être atténuée, voire éliminée, on laisserait passer une grande opportunité. Au lieu de cela, on devrait plutôt considérer ce choc comme une occasion d’entreprendre des réformes qui s’imposent depuis longtemps vers plus de concurrence, moins d’influence de l’État, moins d’obstacles réglementaires et moins de bureaucratie.

La décision de jeudi dernier fera encore longtemps l’objet de discussions animées. Le moment a-t-il été bien choisi, n’aurions-nous pas du attendre? N’y aurait-il pas eu des étapes intermédiaires moins douloureuses, telles qu’un abaissement de la limite inférieure ou un arrimage à un panier de devises? A-t-on le droit d’affirmer jusqu’à la dernière minute que le taux plancher sera maintenu, puis décider d’un seul coup de laisser le taux de change fluctuer? Il est clair que tout le monde devait s’attendre à ce que la politique d’arrimage du franc à l’euro soit abandonnée à un moment donné, car dès le début, cette politique n’a pas été conçue pour durer. Seul le timing était incertain.

Ainsi, on vivait avec l’espoir, pas vraiment fondé, que la Banque nationale continuerait longtemps de la sorte et qu’elle ne troublerait pas une situation devenue très confortable avec le temps, à laquelle on s’était habitué, et encore moins qu’elle y mettrait la pagaille. Le retour d’une politique interventionniste à un monde de libre marché est toujours douloureux. C’est pourquoi des mesures telles que l’introduction d’un taux de change minimum, en son temps, devraient être fixées uniquement en cas d’urgence et de manière temporaire. Le confort auquel de telles interventions sur le marché conduisent souvent n’est en effet jamais bénéfique pour la compétitivité d’un pays. En outre, elles conduisent presque toujours à exercer une pression politique sur les autorités compétentes, les poussant à poursuivre leur ingérence dans le marché.Par conséquent, un aspect de la sortie de l’arrimage à l’euro est particulièrement précieux, à savoir que le directoire a démontré une grande indépendance politique par son intervention. Dans les années 1970, on s’est accordé à reconnaître qu’en matière de politique monétaire, une banque centrale indépendante constitue le meilleur garant de conditions monétaires stables à long terme. La BNS n’a pas eu besoin de l’approbation des autres banquiers centraux, que ce soit la BCE ou la Fed, pour prendre sa décision. Elle a au contraire joué une sorte de rôle de pionnier comme en 1973 déjà. Bien sûr, des concertations ont eu lieu, mais la décision a été indépendante. La BNS ne s’est pas non plus concertée avec le Conseil fédéral, mais l’a informé quelques heures avant d’annoncer publiquement sa décision. C’est ainsi que cela devrait être, et une conseillère fédérale n’a pas à se croire habilitée à citer le taux juste et acceptable lors d’une interview.

Le directoire a avant tout démontré son indépendance face à l’opinion publique. Des experts avaient certainement esquissé depuis longtemps déjà des scénarios de sortie et ils ont soutenu la position appliquée aujourd’hui, une fin effroyable valant mieux qu’un effroi sans fin. Mais la grande majorité des représentants des diverses industries et la plupart des opinions publiées soutenaient que nous ne devrions pas procéder à un brusque changement de cap. Dans une telle situation, nager à contre-courant demande de la force de caractère et de l’indépendance non seulement institutionnelle, mais aussi mentale. On doit reconnaître que la BNS en a fait preuve.

Cependant, la BNS ne pouvait évidemment pas se libérer de l’une de ses dépendances, à savoir sa dépendance par rapport aux marchés financiers mondiaux. Elle a certes acquis de l’autonomie en n’étant plus contrainte d’ intervenir presque mécaniquement sur le marché des changes lorsque le franc menace de se renforcer. Mais plus de liberté ne rend pas la vie plus facile. À cet égard, la tâche de la banque centrale est maintenant beaucoup plus complexe qu’auparavant, car elle doit sans cesse réfléchir en fonction de quelles monnaies elle souhaite agir et si elle doit ou non soutenir les cours. Même pour la BNS, plus d’indépendance signifie aussi plus de responsabilités. Gerhard Schwarz est directeur d’Avenir Suisse.

Cet article a été publié dans Le Temps du 26.01.2015.
L'original en allemand a paru dans l’Aargauer Zeitung du 22.01.2015 sous le titre «Gelebte 
Unabhängigkeit der Schweizer Nationalbank».