Une évidence incontestable fondée sur des données ou une liste de propositions ne sauraient être aussi efficaces qu’une bonne histoire. Il nous faudrait un récit libéral au coeur duquel se trouve l’idée de progrès.

En politique, les citoyens n’évoluent pas sur un «marché des idées», mais plutôt sur un «marché des histoires». Ce sont les récits – ce que l’on appelle le «storytelling» – qui permettent de rendre la politique plus accessible émotionnellement. Une évidence incontestable fondée sur des données ou une liste de propositions ne sauraient être aussi efficaces qu’une bonne histoire.

Ce qui fait partie du bagage professionnel en politique aux États-Unis – avec la «Nouvelle frontière» de John F. Kennedy ou la «Grande société» de Lyndon B. Johnson – et dans de nombreux États européens n’en est qu’à ses balbutiements en Suisse. Les partis n’ont pas encore pris conscience de l’importance du récit en politique et manquent d’argent. Que ce soit le système de milice, la fierté de l’amateurisme, la politique à temps partiel ou la structure bottom-up, tout barre la route à des récits professionnels. Le consensus et la concordance y contribuent aussi: un gouvernement composé de tous les partis est contraint de se baser quasi uniquement sur l’objectivité, les faits et les compromis.

Ainsi, on oublie que les partis ont besoin de récits pour expliquer leurs intentions. Les histoires interprètent le passé dans le but de définir, dans le présent, les trajectoires à emprunter vers l’avenir. Elles se caractérisent par une sélection consciente: pertinentes, elles doivent offrir un sens et une orientation. Les mythes nationaux en font souvent partie.

En Suisse, les partis ne se disputent pas la vision hégémonique de l’histoire. L’UDC est le seul d’entre eux qui se sert régulièrement des mythes nationaux. Il entretient le récit né après la Seconde Guerre mondiale d’une Suisse résistante qui cultive sa singularité au mépris de son entourage, et dans laquelle tout va bien tant que les influences de l’étranger restent minimes.

Il est intéressant de noter qu’à l’heure actuelle, les autres partis ainsi que le Conseil fédéral n’ont toujours pas pu ou voulu opposer un autre récit à celui de l’UDC. Le rôle du Conseil fédéral étant de rechercher le consensus, il lui est évidemment difficile de façonner un nouveau récit. Cependant, même les partis manquent visiblement d’aptitudes narratives. Le PS ayant perdu sa vision d’avenir, il paraît étrangement attaché au présent et s’exerce toujours plus aux manoeuvres tactiques. Même le PDC peine à transmettre la signification de la chrétienté à l’heure actuelle, mais également ce que représente le parti. Et le PLR? Lui non plus ne paraît pas avoir de récit explicite à proposer. C’est d’ailleurs surprenant, étant donné qu’aucun autre parti ne réunit aussi bien les exigences pour le faire: après 166 ans en tant qu’État fédéral, la Suisse se porte à merveille, et le seul parti qui a toujours participé au façonnage du pays est le PLR.

Pareil récit, synonyme d’histoire de la Suisse, pourrait être un événement. Si l’on parvenait à rassembler le passé et l’avenir, le récit en deviendrait plus crédible. En outre, se concentrer sur l’idée de progrès reviendrait à rejeter la tendance au maintien du statu quo et donc à ouvrir de nouvelles perspectives pour l’avenir. Un récit libéral offrirait beaucoup à une population en manque de repères.

Cet article a été publié dans «Schweizer Monat» en été 2014. 

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