Avenir Suisse est, comme on le sait, un authentique think tank qui produit de manière systématique quantité d’études et de rapports depuis sa création en 1999. Les travaux de ce laboratoire d’idées 100 % helvétique et libéral, se concentrent sur «les grandes tendances qui façonnent le futur du pays», essentiellement dans les domaines économiques, sociaux et politiques internes. Jusqu’au mois de juin dernier son bureau romand, installé à Genève, était incarné par le pétillant Xavier Comtesse et ce, depuis près de 15 ans. Tibère Adler lui a succédé en juin 2014. Le domaine que connaît particulièrement bien le successeur de Xavier Comtesse, c’est bien entendu celui des médias. Très vite après son brevet d’avocat, Tibère Adler décroche la direction des services juridiques et des relations sociales du groupe Edipresse avant d’entrer dans le tout premier cercle de Pierre Lamunière, comme directeur général du groupe. Son prédécesseur s’estimait «doué pour les démarrages», Adler va consolider. Après 20 ans de management d’une structure dont le premier rôle est de relayer le débat d’idées, c’est donc un cran en amont qu’il se place aujourd’hui, comme responsable d’un fournisseur d’idées (Denkfabrik).

Quelle est la place des think-tanks aujourd’hui?

Les think-tanks jouent un rôle très important dans nos sociétés et ce n’est pas un hasard si leur nombre est passé de moins de 10 en 1945 à 6681 en 2014, selon le dernier rapport des équipes du professeur Jim McGann de l’Université de Pennsylvanie. Nous sommes d’ailleurs très fiers d’être parmi les deux seuls suisses, avec le World Economic Forum, à y figurer à nouveau cette année, au rang des plus importants think-tanks d’Europe de l’Ouest. Il est également très intéressant de voir les pays émergents se doter de cet outil. Par exemple la Chine, avec 429 laboratoires d’idées, se place au second rang derrière les États-Unis qui en comptent 1830. Lors du Global Think Tank Summit qui s’est tenu à Genève début décembre, nous avons pu constater à quel point les Chinois comptent sur ces espaces de réflexion pour faire progresser leur pays. La raison en est simple. Pour continuer à recevoir des crédits de l’État, ils doivent innover en se faisant une concurrence forte. Même s’ils ne peuvent dépasser certaines limites imposées par le Parti, ils font le meilleur usage des interstices de cette compétition intellectuelle pour faire passer de vraies idées. L’Inde est quant à elle classée cinquième, devant la France, et la Russie 8e, devant le Japon et le Canada. Nous appelons bien sûr de tous nos voeux la création, à Genève, d’une structure d’accueil permanente de ce sommet annuel qui réunit les think-tanks de près de 40 États.

Quelle est la fonction essentielle d’Avenir Suisse?

Comme tous les laboratoires d’idées, nous formons un pont entre le monde de la recherche et celui de l’application pratique, qu’elle soit économique, sociale ou politique. Mais notre rôle n’est pas toujours compris à cet égard: même si nous assumons une option politique libérale, nous ne sommes pas un lobby. Nous ne représentons pas les intérêts d’un groupe partisan ou d’un secteur d’activité et nous ne faisons pas de campagnes politiques. Nous sommes une organisation qui est là pour étudier les situations qui font ou feront débat dans un futur de 5 à 10 ans et pour proposer des idées concrètes afin d’appréhender au mieux cet horizon. Notre ADN c’est la prospective et notre outil c’est l’analyse. C’est à ces conditions que nous pouvons ouvrir le débat avec des arguments sérieux.

Comment cela fonctionne -t -il?

C’est très simple, nous avons une équipe d’une douzaine de chercheurs hautement qualifiés, basée à Zurich, qui gère ses projets par thèmes et qui en diffuse les résultats, principalement sous forme d’articles, de documents de travail ou de rapports publiés. Nous organisons également des conférences et participons à de nombreux travaux et colloques relatifs à nos thématiques.

Le fait de produire le travail à Zurich signifie-t-il que tout est réalisé en allemand?

Dès mon arrivée, j’ai mis en place un processus de traduction pour arriver à 95 % de production en français. Créer des ponts, c’est aussi développer l’accès au savoir d’Avenir Suisse ici, à Genève, en l’enrichissant toujours de nos réalités romandes les plus concrètes. J’entends par là que, si nos thématiques sont nationales et les solutions proposées aussi, les spécificités locales sont toujours prises en compte, y compris dans les axes de sensibilisation et la manière de présenter les choses. D’ailleurs, il ne s’agit pas que de traduire des réalités écrites en allemand pour les francophones. Nous transmettons aussi du savoir dans l’autre sens.

Pouvez-vous nous donner un exemple?

Faisant partie de ceux qui pensent que la Genève internationale doit être toujours plus soutenue, Avenir Suisse m’a demandé d’organiser un colloque en octobre dernier à Zurich sur le thème de la contribution de la Genève internationale au pays tout entier. Nous avons tiré un compte-rendu au titre volontairement très explicite : «Le joyau méconnu de Genève». Méconnu, oui! Alors que Genève n’accueille pas moins de 176 missions diplomatiques étrangères et que plus de 20 organisations internationales y ont leur siège, cette réalité est largement ignorée en Suisse alémanique. Pour les 3000 chefs d’État et ministres et 200 000 délégués et experts qui s’y rendent chaque année, la Suisse «c’est» Genève. Or, il semble que c’était la première fois que des hauts représentants de la Genève internationale, comme Peter Maurer président du CICR, étaient invités à Zurich pour parler de ce sujet. Il aura fallu cette opération de promotion pour que de nombreux chefs d’entreprises alémaniques, et pas des moindres, se rendent ainsi compte que Genève c’est comme Davos… mais tous les jours!

Quelle est la place d’Avenir Suisse par rapport aux recherches universitaires?

Nous travaillons très régulièrement avec les milieux académiques. Mais notre but est différent. Il faut des années pour écrire une thèse et rares sont celles qui circulent dans des cercles de prises de décision. Trop peu de chercheurs font l’effort d’aller vers le public et de s’engager réellement. Nous existons pour combler une partie de ce vide, pour vulgariser, faire circuler les idées et provoquer le débat. Autrement dit : pour accélérer l’accès à un savoir fiable, approprié et utilisable.

Qui détermine les axes de recherche?

Nous disposons à cet égard d’une entière liberté. Nous avons aussi des capteurs et sommes en mesure de décider des sujets de recherche qui nous semblent les plus pertinents. Il n’y a pas de cadre rigide et exhaustif. Même si l’économique et le social dominent, rien n’interdit d’y ajouter de la sociopolitique, ce que nous avons déjà fait d’ailleurs, avec une réflexion innovante sur le système de milice politique suisse. Un document qui sortira en français au mois de juin prochain.

Quels en sont les grands axes?

Nous avons constaté que l’esprit de milice s’étiole aussi bien à l’armée qu’au parlement. La première est contournée tandis que des lobbyistes payés par leurs mandants font profession d’être élus, sans toujours représenter leurs électeurs. Même dans les communes où l’engagement est encore fort, certaines municipalités ont de la peine à recruter des candidats. Alors, afin de préserver ce lien qui nous paraît essentiel à la cohésion du pays, nous avons analysé l’hypothèse d’un service citoyen universel. Une bonne occasion d’apprendre ou de parfaire ses connaissances d’une autre langue nationale, de s’occuper des personnes âgées, etc. Nous pensons que c’est par le renforcement de la cohésion sociale que le pays restera fort.

Comment se répartissent vos propres activités?

Je n’ai pas d’agenda type mais je peux dire qu’au moins 50% de mon temps est consacré à la mise en valeur des travaux de la fondation. Avec ma petite équipe romande, nous lisons tout, nous supervisons toutes les traductions, toujours très techniques. Nous mettons en place de nouveaux outils, comme des bases de données, un nouveau site web ou notre newsletter. L’autre moitié de mon temps est consacrée à gérer une grande quantité de contacts, avec la presse, le monde économique, etc. Il m’appartient aussi de représenter Avenir Suisse à de nombreuses manifestations et conférences. Enfin, je veux également me consacrer à écrire. Je rédige en ce moment avec un collègue un document de discussion sur le thème de la démocratie directe qui paraîtra en mars 2015. Beaucoup de questions se posent: comment éviter que les initiatives soient ambigues? Comment éviter que les votations soient des sources de déstabilisation là où le vote doit être un gage de stabilité?

Cet article a été publié dans le magazine «Market» de février 2015.