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La Suisse est un petit pays. Alors que, mesurée par son produit intérieur brut, elle fait toujours partie des 20 plus grands pays du monde et qu’elle occupe la 93ème place en termes de population, 131 pays la dépassent en termes de surface (2009). S’ajoute à cela le fait qu’une partie importante de cette surface (25 %) est inhabitable. Il n’est donc pas étonnant que l’aménagement du territoire et l’utilisation du sol occupent une place importante dans le débat politique.

600 km² de nouvelles surfaces d’habitat et d’infrastructure

Depuis 2012, pas moins de quatre votations populaires ont abordé, directement (initiative sur les résidences secondaires et révision de la LAT) ou indirectement (initiative «contre l’immigration de masse» et initiative Ecopop), cette thématique. Elles concernaient d’une part l’étalement urbain, soit la construction excessive, qui paraît souvent agir de manière incontrôlée, hors des centres ou des noyaux d’habitation déjà existants, et d’autre part l’utilisation grandissante des terrains, qui est imputée à la croissance démographique et plus particulièrement à l’immigration. Cette affirmation n’est certes fondamentalement pas fausse, mais notre graphique de politique économique montre clairement que l’on peut réagir différemment à une telle croissance démographique, que l’on peut gérer le sol avec parcimonie ou en le gaspillant.

Durant la période observée (1985-2009) pour l’ensemble de la Suisse, la surface d’habitat et d’infrastructure a augmenté plus fortement que la population au niveau national, et cela, de près de 600 km2, passant de 2500 km2 à 3100 km2. Ceci représente une augmentation de 23 %, atteignant une part des surfaces d’habitat et d’infrastructure par rapport à la superficie totale du pays de 7,46 %. Le résultat de cette croissance disproportionnée est une augmentation de la surface moyenne d’habitat et d’infrastructure par personne de 387 m2 à 407 m2. Sous l’appellation «surfaces d’habitat et d’infrastructure» est compris en Suisse tout ce qui n’est pas de la forêt, de l’eau ou de la roche (environ 57 % de la superficie totale) ou des surfaces agricoles (36 %). Ainsi, les surfaces d’habitat et d’infrastructure ne comprennent pas seulement les habitations, les zones industrielles et commerciales et les bâtiments publics, mais aussi les zones de circulation, les installations de traitement de l’eau, les décharges, les chantiers et les espaces verts (parcs, jardins, cimetières, parcours de golf et autres installations sportives). L’inclusion des espaces verts peut irriter, mais elle n’influence que peu les résultats.

Une utilisation mesurée

Il existe toutefois des différences notables en termes de besoins de surface entre les cantons. Tous les cantons qui se trouvent sur ou près de la bissectrice n’ont pratiquement pas vu leur surface d’habitat et d’infrastructure par habitant augmenter depuis 25 ans et ont donc fait un usage relativement économe de leur territoire. Parmi eux se trouvent certains cantons (ZH, VD, AG et VS) qui, en raison de leur taille ou de la croissance de leur population en chiffres absolus, ont exploité une grande proportion de surface d’habitat et d’infrastructure nouvelle (exprimée par les cercles). On peut aussi supposer que ce fort besoin de surface fut une incitation à ne pas exagérer la réalisation de nouvelles infrastructures. Les cantons qui se situent clairement dans la moitié supérieure à la bissectrice, comme Schwyz ou Zoug, se sont comportés de manière encore plus exemplaire. La croissance relativement forte de leur population (40 % et plus) aurait pu être une motivation à faire preuve de retenue dans l’expansion de la surface d’habitat et d’infrastructure. Le canton de Genève, cependant, a réduit le besoin de surface par habitant de la population résidente malgré une croissance presque moitié aussi rapide que celle de Schwyz.

Enfin, toute une série de cantons (situés sous la bissectrice) présente une croissance plus que proportionnelle de la surface d’habitat et d’infrastructure. Bien que la population individuelle de ces cantons n’ait augmenté que de 10 % ou moins, ceux-ci ont fortement étendu leur surface d’habitat et d’infrastructure, Berne de près de 20 %, Appenzell Rhodes-Intérieures et Uri encore plus. La valeur la plus aberrante est celle montrée par le Jura, qui a augmenté sa surface d’habitat et d’infrastructure de plus d’un tiers, sans que sa population ne croisse significativement. Ainsi, la surface d’habitat et d’infrastructure par habitant a augmenté d’environ 189 m2 pour atteindre 817 m2, soit plus du double de la moyenne suisse. L’exemple de Bâle-Ville est tout aussi frappant, car il est le seul à avoir rétréci. Cependant, la surface d’habitat et d’infrastructure étant minime, cela a mené à plus de surface par habitant.

La modération par les transports

On serait tenté de considérer les cantons situés au-dessus de la bissectrice comme des exemples de bonne densification. À l’exception de Genève cependant, aucune densification n’a eu lieu pour les habitations et les bâtiments publics, et les zones industrielles et commerciales ont aussi été étendues. La croissance inférieure à la moyenne des surfaces d’habitat et d’infrastructure dans ces cantons est exclusivement due à l’augmentation moins que proportionnelle des zones de circulation et à la diminution des surfaces particulières (décharges, zones de chantier, etc.). On peut s’en réjouir, mais ce n’est pas suffisant au regard de la préservation du paysage et de la nature.

Le graphique donne aussi une indication de l’énorme étalement urbain qui a eu lieu ces derniers 25 ans. Les cantons du tiers droit du graphique, dans lesquels la croissance de la surface d’habitat et d’infrastructure a été la plus forte relativement, sont avant tout des cantons ruraux. Genève et Bâle n’ont en revanche que peu grandi. On est donc encore loin d’une politique d’aménagement du territoire suivant la devise «densifier plutôt que s’étaler» (densifier étant considéré ici au sens strict et large du terme). Le fait que certains cantons y parviennent au moins partiellement devrait toutefois constituer une incitation et un exemple pour les autres.

Cet article a été publié dans la «Neue Zürcher Zeitung» du 28.02.2015.
Avec l’aimable autorisation de la «Neue Zürcher Zeitung».