Dans son édition du 9 mai 2015, le journal britannique «The Economist» a tiré à boulets rouges sur toutes les pensées économiques dominantes en Allemagne et en Suisse après la Seconde Guerre mondiale, qui jouent encore un grand rôle dans ces pays et qui ont également marqué l’auteur de ces lignes. Il est ici question de l‘«ordolibéralisme».

Le grand public connaît plutôt l’appellation «économie sociale de marché», qui recoupe en grande partie l’ordolibéralisme. Walter Eucken, Friedrich August von Hayek et le Ministre de l’Economie et Chancelier allemand Ludwig Erhard, considéré comme le père du «miracle économique», sont les grandes figures de cette école de pensée qui a toujours traité l’économie de manière interdisciplinaire.

Demander plus de pragmatisme de l’Allemagne est presque grotesque

L’ordolibéralisme énonce certains principes clairs. Parmi ceux-ci, la nécessité d’une politique de la concurrence par l’Etat (parce que les entreprises forment volontiers des cartels), l’orientation de la politique monétaire vers un but unique, la stabilité des prix, le principe de Haftung (responsabilité) et l’exigence d’une constance de la politique économique. Tout cela culmine dans la garantie d’un Etat fort, qui ne doit toutefois jamais être confondu avec un Etat grand ou étendu. Avec ce paquet de principes fondamentaux, l’Allemagne et la Suisse ne s’en sont pas mal sorties.

En quelque sorte, il est presque grotesque que des économistes, des politiciens et des journalistes de pays qui s’en sont beaucoup moins bien tirés appellent à plus de pragmatisme de la part de l’Allemagne. «Il est parfois préférable de briser les règles plutôt que de plonger dans une pauvreté respectant la loi, mais on ne pense pas ainsi à Berlin et Francfort», comme le dit la phrase de conclusion de l’article, quelque peu suffisante. Dans un contexte concret, c’est un plaidoyer assez clair pour une politique monétaire plus souple de la Banque centrale européenne et pour la relance de l’économie par des déficits et une augmentation de la dette. Et le frein à l’endettement, qui a fait ses preuves depuis plusieurs années en Suisse et que l’Allemagne introduit également à présent sous une forme moins rigide, est vu comme l’expression d’une fausse austérité.

Face à tant de foi en l’Etat, il faut à nouveau rappeler que nous n’avons pas sombré dans la crise en raison d’une fidélité trop importante aux principes libéraux, mais à cause du contraire : on a écorné le principe de responsabilité pour des motifs sociaux sur le marché immobilier américain et dans le secteur financier international sous la devise «Too big to fail» ; on a mis en œuvre aux Etats-Unis une politique monétaire sensée empêcher l’effondrement de la conjoncture – et du marché des actions –, et on a, pour ce faire, agité le spectre de la déflation ; on a créé une grande instabilité en Suisse en supprimant presque du jour au lendemain le secret bancaire pour les étrangers, mais aussi par l’acceptation de l’initiative Minder ou de celle «contre l’immigration de masse», transgressant ainsi l’idée d’une politique économique constante.

On parle de concurrence, mais l’Etat grossit toujours plus

On parle toujours plus de concurrence dans les discussions de bistrot, mais on ne veut pas en entendre trop parler dans le quotidien politique. Deux exemples sont parlants en Suisse : on en a de nouveau assez du principe du cassis de Dijon ou on cherche à diffamer, voire même à interdire, un concept tel qu’Uber, qui pourrait enfin apporter plus de concurrence dans un système sclérosé comme celui des taxis. Et l’Etat-providence se développe toujours plus, nous sommes bien loin d’un Etat allégé ; la quote-part fiscale s’élève en Suisse à près de 50%.

Ludwig Erhard s’est une fois indigné que le pragmatisme soit en réalité un euphémisme pour l’opportunisme. Et il n’a pas tort. Bien sûr, il faut prendre en compte de nouvelles connaissances, et bien sûr, nous devons rester ouverts aux nouveaux chemins pour parvenir au même objectif. Mais c’est exactement en cela que nous aide la fidélité à nos principes, à ne pas se laisser détourner par toutes les nouvelles modes scientifiques ; elle aide à éviter une politique à hue et à dia quand les gouvernements changent souvent ; et elle offre enfin au gouvernement et aux citoyens une aide à l’orientation. Nous aurions donc urgemment besoin d’une fidélité plus grande à nos principes – le pragmatisme n’est généralement qu’un prétexte pour l’indiscipline mentale.

Cet article a été publié dans l’«Aargauer Zeitung» du 15 mai 2015.
 Avec l’aimable autorisation de l’«Argauer Zeitung».