Druck

Il y a 20 ans, différents leaders économiques et professeurs ont présenté un «agenda politico-économique pour la Suisse» avec le «Livre blanc». Ils souhaitaient donner à ce pays léthargique et à faible croissance un «nouvel élan politique» pour le préparer aux défis de la globalisation et de la société de l’information (dont l’arrivée était imminente). Mais ces revendications ne trouvèrent pas grâce auprès de tous. Au contraire, les auteurs du livre entamèrent une traversée du désert sous la clameur médiatique. Il n’en demeure pas moins que certaines des réformes proposées furent mises en œuvre dans les années qui suivirent – et le pays a jusqu’aujourd’hui connu une croissance considérable. La Suisse est-elle désormais une économie de marché qui fonctionne? Malheureusement pas vraiment. Les faits vont dans un tout autre sens, comme le révèle l’analyse de domaines très différents.

  1. La quote-part fiscale s’élève à près de 50% : plus le pouvoir d’achat est ponctionné, plus il y a de réglementations, moins les individus ont de marge de décision. En 1965, les Suisses versaient 12% de leur revenu aux impôts. Aujourd’hui, c’est près de 27%. Mais la «quote-part fiscale étendue», que l’on obtient après avoir ajouté les prélèvements obligatoires pour la sécurité sociale aux impôts à proprement parler, représente près de 48% du produit national net (déduction faite des amortissements).
  2. La redistribution par les assurances sociales est massive : l’introduction du frein à l’endettement au niveau fédéral (l’une des propositions du Livre blanc, d’ailleurs) a permis d’éviter, au moins de prime abord, les hausses d’impôts. C’est pourquoi les assurances sociales sont devenues un nouveau terrain pour la redistribution. Rien qu’en 2014, les besoins de refinancement des caisses de pension publiques représentaient 44 milliards de francs, soit 69 000 CHF par assuré. Bien que les différences régionales soient grandes – on redistribue massivement au détriment des générations futures.
  3. La bureaucratie est une branche en pleine croissance : les entreprises ne sont pas les seules à devoir supporter une part toujours plus grande de tâches administratives pour la gestion des réglementations. Il existe des évolutions comparables dans le domaine de la santé, de la formation et des biens de consommations. Le fait par exemple que le principe du Cassis de Dijon soit périodiquement remis en discussion va à l’encontre des intérêts des ménages les plus pauvres.
  4. La formation des prix est rarement libre : l’idée de base d’une économie de marché tient au fait que l’offre et la demande se trouvent sur un marché libre. Dans de nombreux domaines, les marchés sont barricadés et une libre formation des prix n’est guère possible. Un exemple-type est le couplage des loyers au taux hypothécaire – un cas unique en Europe. Les loyers des nouveaux appartements sont ainsi artificiellement élevés, ceux des anciens baux artificiellement bas. La conséquence de ceci est que les personnes plus âgées renoncent à quitter leur logement souvent trop grand, alors que les ménages jeunes et mobiles sont laissés pour compte.

Des pans de plus en plus larges de la population s’indignent face à «trop de marché». La réalité, comme on le voit, est tout autre. Les choix de marché découlent, comme le veut la célèbre formule d’Adam Ferguson, «by human action, not by human design». Les marchés ne sont donc rien d’autre que des liens entre des êtres humains agissant indépendamment. La sagesse des fonctionnaires ou autres «autorités de surveillance» est-elle plus grande que l’intelligence collective des participants aux marchés ? La faible proportion de marchés réels au sein de l’économie dans son ensemble laisse conclure que beaucoup de gens semblent le croire.

Cet article est un résumé du texte «Wo bitte diktiert der Markt?», paru dans le «Schweizer Monat» de juin 2015. Retrouvez la version complète en PDF en cliquant sur ce lien (seulement en allemand).