Les défenseurs de l’initiative monnaie pleine attendent de la réforme de l’ordre monétaire à laquelle ils aspirent un allègement pour les contribuables et pour l’économie réelle ainsi que des «francs authentiques sur nos comptes». La BNS voit cela totalement différemment : lors de la dernière assemblée générale, Thomas Jordan mettait en garde contre le fait que, avec l’adoption de l’initiative, le système financier suisse serait exposé à de nombreuses inconnues en raison d’un manque d’expérience, car cela nécessiterait une refonte totale du système monétaire actuel sans accroître la stabilité du système financier et sans engendrer d’autres avantages certains. Comme nous l’avons déjà indiqué dans notre précédent blog, un système de monnaie pleine supprimerait certes les risques de liquidité et de solvabilité, dans la mesure où il force quasiment les banques commerciales à couvrir intégralement leurs comptes courants. La «création de monnaie scripturale à partir de rien» réprouvée par les partisans de la monnaie pleine peut déjà être pilotée aujourd’hui par les réserves minimales de la BNS, si celle-ci le décide. La Banque centrale européenne, qui rétribue même les banques lorsqu’elles étendent les crédits à l’économie, démontre en ce moment que la création de crédit du système bancaire privé a une certaine influence sur l’évolution conjoncturelle.

Depuis la crise financière, un certain nombre de mesures ont été prises pour renforcer la stabilité financière. D’une part, les grandes banques en particulier ont réduit de manière substantielle leurs bilans (Deleveraging). D’autre part, plusieurs dispositions et mesures ont été prises dans le cadre de Bâle III et «Too big to fail» pour renforcer la base de fonds propres des banques, pour réduire les risques de liquidité et de solvabilité et faciliter l’assainissement, respectivement la liquidation de banques. Ce processus se poursuit pas à pas. Des mesures spécifiques (p. ex. Net Stable Funding Relation) se prolongeront encore jusqu’à 2019.

Une réforme de la monnaie pleine serait une expérience dont l’issue serait des plus incertaines. (Image : Fotolia/Peshkov)

Une réforme de la monnaie pleine serait une expérience dont l’issue serait des plus incertaines. (Image : Fotolia/Peshkov)

L’incertitude serait assurée

La monnaie pleine ne serait pas non plus une solution pour de nombreux autres problèmes du système bancaire et financier :

Inflation (ou déflation) des biens et des services. Dans un système de monnaie pleine, les opérations de paiements et les prêts sont séparés institutionnellement. Le texte de l’initiative ne précise pas quels composants de la masse monétaire (M1, M2, M3) tomberaient sous le nouveau régime, et quelle devrait être l’épaisseur «du mur de séparation» entre les «banques de virement» et les «banques de crédit résiduel» (voir Baumberger, Walser/2014). Si la monnaie pleine est définie au sens étroit, l’effet demeure faible. Avec un mur épais – et seulement quelques opérations de crédit autorisées – nous en viendrions à ladite rupture structurelle. En outre, les règles permettant de contrôler la masse monétaire restent non définies : à quel taux d’intérêt et comment ? par la pleine masse monétaire ou les dépôts à terme ? par un taux de change, mais alors lequel et comment ?

Fluctuations du taux de change et des avoirs. Il est à craindre que l’annonce d’une réforme de la monnaie pleine risque à elle seule d’avoir des répercussions négatives sur le cours du franc. Les différentes étapes sur la voie de la monnaie pleine – à savoir, la préparation à la transition, la phase qui suit immédiatement et la nouvelle normalité, ne se feront pas sans friction et sans tension. Les acteurs du marché financier et monétaire réagiront certainement à cette rupture du système – qui aura pour conséquence des incertitudes et des tensions sur les marchés des capitaux.

Crises des finances publiques. Le premier article du texte de l’initiative est révélateur : «La Confédération garantit l’approvisionnement de l’économie en argent et en services financiers. Pour ce faire, elle peut déroger au principe de la liberté économique». En réalité, ce qui importe aux initiants est la suppression du système bancaire capitaliste – les produits financiers devraient être soumis à autorisation, les opérations de négoce pour compte propre limitées et des délais de conservation minimaux pour les placements financiers seraient fixés. L’approvisionnement de l’économie en crédits serait organisé de facto à la manière d’une économie planifiée. Les règles de la comptabilité en partie double resteraient valables dans le régime de monnaie pleine. Puisque la monnaie pleine se trouve du côté du passif de la BNS, une nécessaire contrepartie est obligatoire à l’actif. En laissant de côté l’idée d’un actif fictif (p. ex. une économie forte ou de la bonne volonté), et comme il ne peut pas exister de papier-monnaie libre de dettes, ne reste que la monnaie liée aux marchandises, soit le troc. Qu’une banque centrale puisse encore être indépendante selon la vision de l’initiative monnaie pleine, qui la lie si directement au budget d’Etat et aux dettes publiques, est plus que douteux. En regardant l’histoire, l’optimisme n’est pas de mise : à chaque fois que la politique a eu un accès direct à la planche à billets, les crises financières de l’Etat n’étaient pas loin.

Une idée grotesque d’un bout à l’autre

Non seulement l’initiative monnaie pleine n’atteindrait pas l’objectif autoproclamé d’un système monétaire et financier à l’épreuve des crises, mais la BNS perdrait également son indépendance. Il serait grotesque, que la Suisse, en tant que place financière importante, subisse une telle thérapie de choc. La citation suivant est attribuée à Lénine : «pour détruire la société bourgeoise, il faut dévaster ses finances». Il avait bien compris cette relation.

Lisez également le deuxième article sur ce sujet : La monnaie pleine n’apporte pas non plus de la stabilité