Le filet de protection sociale qui permet de faire face aux conséquences financières des aléas de la vie est sans doute l’une des grandes réalisations du siècle dernier. Sa mise en place et son développement libèrent de nombreuses personnes de la dépendance à la communauté solidaire familiale ; de plus, il a considérablement facilité le changement de modes de vie au gré des préférences individuelles.

Depuis les années 1990 cependant, de nombreux symptômes de crises sont apparus. Ce qui saute aux yeux est la tendance de l’Etat-providence à s’élargir progressivement. De 1995 à 2013, le taux de prestations sociales en Suisse – le ratio des dépenses totales pour la sécurité sociale par rapport au produit intérieur brut – a augmenté de 20,3% à 24,2%. En comparaison avec d’autres nations industrielles, cela reste encore relativement modéré ; la Suisse a également tiré parti du développement économique positif de ces 20 dernières années. Néanmoins, le grand écart entre une protection sociale équilibrée de la part de l’Etat et le maintien de la responsabilité individuelle et des incitations au travail constitue un défi grandissant.

L’exemple alarmant de l’AI

C’est précisément au cours de périodes économiquement favorables que l’on risque de prendre à la légère certaines dérives, et de réaliser – lors d’une récession économique – que celles-ci constituent un réel fardeau. En témoigne la débâcle de l’assurance-invalidité. Le nombre de bénéficiaires de l’AI a littéralement explosé à partir du début des années 1990 ;  cela était en premier lieu dû à des affections ou maladies difficilement objectivables, associées à une grande marge d’appréciation. Il est indéniable que l’application laxiste de nombreux employeurs de même que de communes les a incité à orienter leurs «cas difficiles» vers l’AI. Pour les personnes concernées, cette destinée a été bien acceptée dans la plupart des cas, compte tenu des prestations généreuses et de la faible pression pour une réintégration. Après que la politique ait longuement fermé les yeux sur une explosion imminente des coûts, elle parvint à partir de 2003, grâce à plusieurs changements dans l’application, à un certain redressement (le nombre de nouveaux bénéficiaires de l’AI s’est réduit en l’espace de quelques années de plus de 40%). Mais l’AI aura encore longtemps devant elle une montagne de dettes qui se sont accumulées rapidement – et ce, bien que depuis 2011, 0,4 pour cent de TVA soient versés à l’AI, conformément aux objectifs d’assainissement financier.

Croissance du taux de prestations sociales

Croissance du taux de prestations sociales

Prévenir un changement de mentalité

Les tendances pour les prestations sociales liées aux besoins sont préoccupantes. Les coûts pour l’aide sociale – bien qu’à un niveau nettement inférieur à celui de l’AI – ont à peu près doublé depuis 2003. Le paradoxe est que le nombre de personnes pauvres en Suisse a officiellement diminué de 87 000 personnes entre 2007 et 2012, alors que celui des bénéficiaires de l’aide sociale a en revanche augmenté de 17 000. A cette image peu réjouissante s’ajoute le fait que la durée moyenne de perception de la rente de l’aide sociale, conçue comme prestation sous condition de ressources pour les personnes en difficulté, a augmenté ces dernières années de 32 à 40 mois. Même avec les prestations complémentaires et les réductions de primes d’assurance-maladie, l’évolution des coûts n’indique qu’une seule direction.

Les raisons de ces évolutions peuvent être différentes, mais il y a des signes clairs que les individus ont moins de réserves à recourir aux prestations de l’Etat en Suisse. Trouver une manière de répondre intelligemment à ce changement de mentalité est l’un des défis majeurs de l’Etat-providence. Nous devons montrer avec l’approche consistant à exiger et encourager qu’une vie aux frais de la collectivité ne doit pas être considérée comme allant de soi et ne doit pas être considérée comme enviable. Lorsque nous y parviendrons, la Suisse sera dans 20 ans encore, d’un Etat social efficace, qui bénéficie d’une large adhésion de l’opinion publique et qui soit équitable.

Retrouvez plus d’informations sur ce sujet dans notre publication «CH 1995 2035 – Tendances globales, défis nationaux, solutions libérales».