Nul ne sait si les accords de libre-échange entre les USA et l’UE deviendront une réalité et, si oui, sous quelle forme. Au sortir du Brexit, les chances pour un TTIP n’ont pas augmenté, car l’UE perd avec la Grande-Bretagne un peu de sa «special relationship» avec les USA. En outre, on ne sait pas non plus sous quelles conditions la Suisse, comme Etat tiers, pourrait s’amarrer à un nouveau traité de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis. En l’état actuel, le débat suisse sur le TTIP ressemble à un combat de l’ombre.

De tous côtés l’on râle

Malgré cela, un mouvement suisse hostile au TTIP s’agite en coulisses, avec pour but de faire peur aux présumés fanatiques de la croissance et apôtres de la globalisation. L’alliance mobilise les forces et attitudes les plus diverses : les écologistes critiques (mots-clés : maïs transgénique, viande aux hormones) et les insatisfaits du capitalisme (mot-clé : pouvoir des entreprises) sont rejoints une fois de plus par les agriculteurs (mot-clé : auto-approvisionnement). En 2006, ces derniers ont sabordé un possible accord de libre-échange avec les USA avant même les négociations proprement dites. Ils craignent une fois de plus la fin du protectionnisme suisse rigide envers le secteur agricole, puisqu’un libre-échange avec les USA ne peut être obtenu sans une ouverture de l’agriculture.

A team of dockworkers at work on a container ship in Rotterdam

Des dockers sur un navire porte-conteneurs à Rotterdam. (Wikimedia Commons)

Dans l’incertitude autour du TTIP, une chose est sûre : la Suisse tire profit de la globalisation, dont elle a saisi les opportunités comme peu d’autres pays. La belle prospérité de la population suisse provient bien plus du commerce extérieur et des capitaux étrangers que beaucoup ne veulent l’admettre. Nous exportons plus de la moitié de notre valeur ajoutée afin de pouvoir consommer des biens et services en provenance de l’étranger. Un écart de perception s’est creusé entre la réalité économique et une vision domestique, qui souffre de surestimation ou se perd dans des critiques de détails.

La Suisse ne peut pas rester de marbre lorsque ses deux partenaires économiques les plus importants cherchent à intensifier leurs relations commerciales. Le risque que les producteurs suisses se retrouvent à la traîne dans l’accès au marché par rapport à leurs concurrents européens et américains affecte notre prospérité. Ce constat n’est pas un alarmisme excessif. Certes, le risque n’affecte pas principalement les rendements de capital, puisque le capital est mobile et cherche de meilleures opportunités d’investissement dès lors qu’une place est moins performante. Il affecte surtout le secteur du travail : nos salaires, nos emplois et les opportunités de carrières de la prochaine génération. Le pouvoir d’achat international élevé de nos salaires en francs suisses en pâtirait également. Des salaires élevés ne peuvent être payés qu’avec une productivité élevée, et quiconque prétend le contraire pratique le vaudou économique. Les moteurs de la productivité sont les entreprises exportatrices, car elles sont exposées à la concurrence mondiale. Ces entreprises ne peuvent pas survivre dans le pays des hauts salaires si elles cessent d’optimiser leurx coûts. Les en empêcher nuit à l’ensemble de la population.

Les agriculteurs comme force de veto

Il est choquant que les agriculteurs veuillent à nouveau intervenir comme force de veto, avec la conscience d’agir au détriment des entreprises exportatrices, qui vont en subir les dommages – et avec elles, tout le reste de l’économie également. Or, selon une estimation grossière, l’agriculture ne contribue au mieux que pour 0,5 % de la valeur ajoutée. S’agissant des coûts de la politique agricole, on pense toujours d’abord aux 3,7 milliards de francs de subventions et d’aides directes. En tant que pays riche, nous pourrions à vrai dire nous les permettre. Mais les véritables coûts de la politique agricole résident dans le fait qu’ils gâchent l’opportunité pour le pays de s’intégrer mieux encore à une économie mondiale toujours plus interconnectée (et qui continuera sur cette voie, quelles que soient les critiques). La Suisse est devenue riche grâce à l’ouverture et au libre échange. Elle ne pourra maintenir sa prospérité sur la durée que si elle continue à valoriser ces principes à l’avenir.

Cet article est paru en version originale allemande dans le «Tages-Anzeiger» du 4 juillet 2016. Avec l’aimable autorisation de la rédaction.