Les tentatives pour augmenter la durée des congés payés pour tous ont la vie dure en Suisse. L’initiative pour six semaines de vacances obligatoires a été balayée par le peuple en 2012. Plus récemment, l’idée d’un congé paternité de deux semaines n’a même pas passé la rampe du Conseil national.

Pourtant, il existe un domaine où, sans négociation ni votation populaire, obtenir sept semaines de congé payé – supplémentaire par an –  ne pose aucune difficulté. C’est le domaine de l’AVS. En effet, l’espérance de vie augmente en moyenne d’environ sept semaines par an depuis 1981. Alors que l’âge d’assujettissement à l’AVS et celui de la retraite sont inchangés depuis, ces gains d’espérance de vie correspondent à sept semaines de rentes en plus par an qui tombent du ciel.

25% de rentes en plus

Depuis 1997, l’année de la dernière révision de l’AVS, les rentes totales des hommes entre leur départ à la retraite et leur décès ont augmenté de 25%. C’est 25% de rentes réelles, après déduction de l’inflation. Pour les femmes, le bilan est plus modeste et ne se chiffre qu’à 2%, car l’âge de leur retraite a été augmenté de 62 à 64 ans durant cette période.

En soi, l’augmentation de la durée de la retraite n’a rien de contestable pour autant que le financement de ces années de rentes supplémentaires soit assuré. Cela devrait être le cas dans le 2e pilier, où chacun accumule son propre capital retraite. Malheureusement, le taux de conversion aujourd’hui en vigueur se base encore sur l’espérance de vie telle qu’on la mesurait à la fin des années 1980 et sur des rendements de 4% et plus. Des financements croisés entre actifs et retraités de plusieurs milliards de francs en sont la conséquence. Le financement de l’AVS n’est plus pérenne non plus. En 2015, le déficit du 1er pilier se chiffrait à 558 millions de francs. Sans réforme, c’est un déficit de 50 milliards de francs qui s’accumulera d’ici à 2030, selon les projections de l’Office fédéral des assurances sociales. Dans un tel contexte, est-il toujours justifié que les gains d’espérance de vie mènent automatiquement à une augmentation de la durée de la retraite?

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Sans une réforme de la prévoyance vieillesse, une espérance de vie plus élevée signifie des rentes sur une durée plus longue. (Image: Fotolia)

La plus longue retraite du monde

Le Danemark a donné une réponse à cette question. Pour assurer un financement stable de la prévoyance vieillesse, l’âge de la retraite sera graduellement rehaussé à 67 ans jusqu’en 2027 et sera dès lors couplé à l’espérance de vie. Si cette dernière augmente, l’âge de la retraite sera ajusté en conséquence.

Détail piquant : la durée moyenne de la retraite au Danemark sera ainsi limitée à 14,5 années. En Suisse, par comparaison, le retraité moyen profite de 21 années de rentes. C’est simple, la Suisse est avec le Japon, champion du monde de la durée de la retraite : 17 pays de l’OCDE ont défini l’âge de la retraite à 67 voire 68 ans, quand bien même l’espérance de vie dans ces pays est plus faible que la nôtre. 15 autres pays de l’OCDE connaissent, comme nous, l’âge de la retraite à 65 ans. Mais hormis au Japon, les gens de ces pays vivent souvent six à huit ans de moins que les Suisses. Figer la durée de la retraite en Suisse en la calquant sur l’espérance de vie n’est peut-être pas pour tous une perspective mirobolante – les années d’espérance de vie gagnées seront des années passées au travail –mais la figer au niveau d’un champion du monde aurait toutefois une certaine légitimité.

Deux tiers, un tiers

Un bon compromis suisse consisterait à couper la poire en deux, ou plutôt en trois. Pour simplifier, on passe aujourd’hui 40 ans dans le monde du travail, et 20 ans à la retraite. Pourquoi ne pas répartir les années d’espérance de vie gagnées selon ce schéma ? Certes, chacun devrait ainsi prendre sa retraite environ un mois plus tard que ses collègues plus vieux d’un an. Malgré ce départ plus tardif, qui contribuerait grandement à l’assainissement financier de la prévoyance, chacun pourrait toutefois bénéficier de trois semaines de plus à la retraite. Cette approche est suivie par exemple par l’Allemagne, où l’âge de la retraite augmente d’un mois par an jusqu’en 2024, puis de deux mois par an jusqu’en 2031.

Au vu des défis financiers de notre prévoyance ainsi que de notre espérance de vie déjà très élevée en comparaison internationale, il est légitime de se demander comment redistribuer les gains d’espérance de vie dans notre société. Et le temps est surtout venu de remettre en question cet acquis automatique de sept semaines de congé payé supplémentaire par an aux dépens des générations futures.

Cet article est paru le 20 juillet 2016 dans la revue Prévoyance Professionnelle Suisse.