Quatre angles différents nous permettent d’avoir une vision nuancée de la discussion qui ne prend souvent pas tous les aspects en compte.

Aspect technique

Une centrale nucléaire (les centrales nucléaires produisent en moyenne 38% de l’énergie en Suisse) fournit de l’énergie en ruban (aussi appelée charge de base), c’est-à-dire qu’elle couvre principalement la demande d’énergie qui reste constante à toute heure, indépendamment de la saison, des variations journalières ou du temps. Cela s’explique par les caractéristiques techniques et physiques d’une centrale : elle peut rapidement être séparée ou rattachée au réseau, mais nécessite une longue phase de préparation ou de suivi, pour produire de l’électricité ou cesser d’en produire. Une centrale nucléaire à l’arrêt ne peut pas être remise rapidement à plein régime face à des besoins immédiats en énergie et si elle est en service, elle ne peut que faiblement augmenter sa performance. Par ailleurs, l’arrêt d’une centrale ne se fait pas par une simple pression sur l’interrupteur. Le refroidissement des barres de combustible doit se poursuivre et rester sous surveillance.

Outre les centrales nucléaires, les centrales au fil de l’eau fournissent également du courant en ruban. Pour ce type d’installations, le temps joue un rôle important : elles doivent être éteintes lorsque le volume d’eau est fortement réduit, par exemple en période de sécheresse. En revanche, les centrales de pompage-turbinage peuvent fournir rapidement de l’énergie en cas de besoin. Il en va de même pour les centrales hydroélectriques. Mais pour ces dernières, l’eau déjà utilisée en cas d’excédent énergétique ne peut pas être à nouveau pompée dans le lac artificiel.

Les énergies renouvelables doivent être analysées sous un autre angle : les centrales photovoltaïques et les parcs éoliens fournissent des quantités différentes d’énergie selon l’heure de la journée et la météo. Il est en partie possible de couvrir le pic de demande de midi avec ces sources d’énergie car c’est à cette heure que le soleil est le plus fort. Par contre, du courant ne peut être produit en cas de manque de lumière. L’alimentation du réseau électrique à travers des ressources renouvelables peut donc varier et cela doit être anticipé par les fournisseurs, afin de garantir la stabilité du réseau en tout temps. L’alimentation et la consommation d’énergie doivent toujours être en équilibre, afin d’éviter un «blackout».

Des options de stockage d’énergie permettant de rendre la consommation d’énergie plus indépendante de la production au niveau temporel sont actuellement testées. Cependant, une application à de grandes surfaces n’est pas encore efficace. Par conséquent, à l’heure actuelle, l’énergie en ruban est indispensable pour un approvisionnement énergétique stable. Un abandon du nucléaire doit être compensé par des sources d’énergie qui permettent une production tout aussi stable.

Luftaufnahme vom AKW Gösgen. (ETH-Bibliothek Zürich, Bildarchiv, Jules Vogt)

Arrêter tout de suite ou générer des marges contributives ? Vue du ciel de la centrale de Gösgen (bibliothèque de l’EPF Zurich, archives images, Jules Vogt)

Aspect écologique

Une sortie du nucléaire signifierait qu’il faudrait importer de l’électricité (on estime la quantité à environ 9000 GWh par année), si l’on n’investit pas massivement dans la construction d’installations de substitution au niveau domestique. Heureusement, il existe en Europe depuis plusieurs années déjà assez de centrales (il y en a même qui sont provisoirement fermées) et la Suisse est fortement intégrée dans le réseau européen d’électricité. En principe, il serait possible d’importer plus d’électricité, à condition que le réseau soit davantage développé. Cependant, il est pratiquement impossible de savoir de quelle manière l’électricité importée est produite. En raison du parc de centrales nucléaires conséquent de nos pays voisins, l’Allemagne et la France, nous pouvons partir du principe qu’une grande partie de l’électricité importée sera de l’«électricité grise », produite grâce à de l’énergie venant de l’atome, du gaz ou du charbon. Les besoins supplémentaires d’énergie à court terme seront vraisemblablement assurés par la production d’énergie venant du gaz ou du charbon de l’étranger, si elle ne peut pas être couverte par la production indigène.

Selon toute probabilité, en cas d’arrêt rapide des centrales nucléaires, la consommation d’électricité suisse deviendra plus gourmande en CO2. Cela ne correspond pas aux objectifs climatiques suisses et globaux. Une hausse des importations de courant venant de la France diminuerait les émissions de CO2, mais reviendrait simplement à déplacer les risques d’accident liés à l’énergie atomique chez notre voisin.

Evaluation des risques

L’évaluation des risques se concentre sur la possibilité d’un éventuel accident nucléaire avec des dommages importants. Pour analyser l’énergie atomique, les variables pertinentes sont la probabilité de réalisation et le niveau des dommages attendus en cas d’accident. Les systèmes de sécurité redondants baissent la probabilité d’occurrence d’un accident, mais comme dans l’aviation, ils ne peuvent pas la réduire à zéro.

Au niveau psychologique, l’être humain ne gère pas bien des risques extrêmement limités, ce qui représente un problème central. Si ces risques sont également associés à des dommages matériels inimaginables, une évaluation basée sur des données scientifiques ne peut qu’échouer. Cet aspect psychologique amène à ce que les risques liés à l’énergie atomique soient fondamentalement surestimés, par rapport à une analyse rationnelle. C’est pourquoi le positionnement pour ou contre l’énergie nucléaire, est plutôt une question de croyance qu’une question scientifique ou économique.

Aspect économique

Vu le niveau extrêmement bas des prix de gros de l’électricité en Europe, il n’est pas rentable de produire de l’électricité dans des centrales nucléaires en Suisse aujourd’hui. Dans beaucoup de cas, les recettes ne couvrent pas les coûts de revient (coûts de production d’une centrale nucléaire). Cependant, aucune économie ne pourra être réalisée à travers un arrêt rapide des centrales. Au contraire, il faudra compter sur des coûts supplémentaire immenses – la «marge contributive» est ici le mot clé.

Lorsqu’une centrale fonctionne et est raccordée au réseau, elle génère nécessairement des recettes. Ces revenus (marges contributives) aident à couvrir les coûts fixes, qui représentent la plus grande partie des coûts totaux des centrales par rapport aux coûts variables (c’est-à-dire les coûts en fonction de la quantité d’énergie produite). L’amortissement des investissements (construction des installations ainsi que les dépenses pour augmenter le niveau de sécurité), une grande partie des coûts pour le personnel, ainsi que les coûts liés au démantèlement et au stockage final font partie des coûts fixes.

Par conséquent, si la durée de fonctionnement des centrales est raccourcie, la marge contributive sera plus petite qu’initialement prévu. Les investissements ne pourront pas être complètement amortis, les fonds pour le démantèlement des installations et le stockage des déchets ne pourront pas être constitués comme prévu. C’est ainsi que des coûts initialement non planifiés, qui devront être couverts d’une manière ou d’une autre, apparaissent. Comme les propriétaires des centrales sont en grande partie en main publique, les contribuables pourraient passer à la caisse au final.

La sécurité des investissements est un autre point important d’un point de vue économique. Des initiatives populaires ainsi que des revendications politiques, parfois extrêmes, mènent à de plus en plus d’insécurité pour les investisseurs, en particulier lors de la construction d’infrastructures sur le long terme. Cette situation est nuisible à la bonne réputation de la Suisse comme pôle économique à long terme.

Bilan

Au-delà de la question de croyance au sujet des risques, les coûts d’un arrêt prématuré du nucléaire suisse sont élevés, pas nécessaires au niveau économique et critiquable au niveau écologique.