La métropole lémanique est depuis peu sous une pression démographique forte. Résultat d’une évolution réjouissante de son économie, de sa capacité d’innovation et de ses conditions-cadres, ses habitants subissent pourtant le contrecoup de cette performance en devant assumer des difficultés en termes de trafic et de logement. Par Guillaume Pictet et Xavier Comtesse

La caractéristique première de toute vision est sa capacité de se raconter. Les Anglo-Saxons parlent de story telling. Dans le cas lémanique, à l’opposé des grands «récits» modernes liés aux métropoles, il n’y a pas de lecture simple, voire simpliste, de la région. Bilbao et son Musée Guggenheim, Bâle la chimiste, Lyon l’industrielle, Zurich la financière, etc. sont autant de récits faciles à comprendre.

Mais l’Arc lémanique se distingue par sa polyvalence, son polycentrisme, sa polydiversité: private banking, hedge fund, trading, horlogerie, biotechnologie, micromécanique, organisations internationales, sièges internationaux des grandes entreprises, associations sportives, centres de recherche et de formation, écoles privées, santé, etc. Aucun domaine ne semble dominer, tous contribuent à l’essor de la métropole. C’est un bilan positif mais difficile à raconter. Comment dès lors faire émerger une identité porteuse d’une histoire commune qui se propagerait au-delà du territoire? Sans doute le concept de région plurielle devrait être mis en avant, même si le pluriel n’exprime aucune singularité.

Prenons l’exemple, pour illustrer cette difficulté, du domaine de la santé pris au sens large. Pendant la période 2000-2008, l’Arc lémanique, selon les données récentes du BAK Basel, a été la région métropolitaine du monde qui a connu la plus forte croissance de la contribution des sciences de la vie au PIB régional. Apparue comme secondaire, cette donnée qui mesure pourtant l’accélération du domaine de la santé montre bel et bien le changement profond de la structure économique de la région. Fortement médiatisées, les implantations des hedge funds, des traders en matières premières, des multinationales, voire des start-up de l’EPFL, ont masqué l’autre réalité du terrain: la croissance exponentielle du domaine de la santé due au dynamisme de la multitude d’acteurs et à la capacité d’innovation de ceux-ci. Ce terreau confère à la région une force additionnelle, représentée notamment par plus de 750 entreprises de la medtech et de la biotech implantées dans la région comme Merck Serono, Novartis, Medtronic, Debiopharm, Kery Bio-Pharma, Biocartis, Novipart, Gen-KyoTex, Preglem, Endosense, Ferring, Stryker, Synthes Raron, Addex Pharmaceutical, etc.

De plus, la région est particulièrement bien lotie avec sa recherche universitaire, ses hôpitaux universitaires, son réseau de médecine traditionnelle, ses cliniques privées, sans compter le facteur de proximité des organisations internationales comme l’OMS. En outre, de nouveaux champs s’ouvrent, tels que le centre de recherche de Nestlé qui, avec ses «alicaments», fait de la convergence entre le secteur de la nutrition et celui de la santé une force nouvelle. Toutes ces industries et centres de recherche implantés dans la région facilitent les interactions, les synergies et alimentent l’innovation. La croissance de ce secteur affiche plus de 10% par an et occupe une main-d’œuvre de qualité au sein de la population active de la région.

En un mot, ce qui frappe avec cette énumération, c’est la diversité des compétences ou, à l’inverse, l’absence d’une compétence unique qui serait en quelque sorte la «unique selling proposal» régionale. Comment dès lors faire de cette réalité – la polyvalence – notre force? De plus, si on observe la composition des nouveaux migrants nouvellement installés dans la métropole lémanique, on s’aperçoit qu’à hauteur de plus de 50% ces derniers sont des travailleurs à forte valeur ajoutée: universitaires, chercheurs, médecins, ingénieurs, financiers de haut vol, etc.

Dès lors, la vision s’éclaire. Nous sommes un territoire d’affluence. Les affluents convergeant vers l’excellence et la haute valeur ajoutée.

Il nous reste à mettre en perspective la recherche de solutions pour le logement et le trafic dans cet environnement international hautement compétitif afin que nous puissions prévoir, en toute confiance, la poursuite de notre croissance vers la qualité sans devoir faire face aux appels à la décroissance, à des attitudes négatives, au refus de l’étranger et au repli sur soi. L’enjeu est de taille, osons simplement construire la 3e voie ferroviaire entre Lausanne et Genève, le CEVA, dans l’idée de le prolonger sur le réseau français avec la réouverture de la ligne du Tonkin au sud du lac, la traversée de la Rade, le contournement autoroutier de Lausanne, et bien sûr du logement notamment en construisant la ville en ville pour éviter le mitage du territoire et de concentrer nos efforts dans une vision polycentrique de la région.

Ces efforts sont plus que nécessaires aujourd’hui pour le bien-être des habitants et une meilleure qualité de vie, mais ils ne sont pas suffisants sans la perspective de la vision d’affluence. Ainsi, le territoire a des ambitions qui s’expriment par l’originalité de son modèle fait de polyvalence, de polycentrisme et de polydiversité économique. Ayons maintenant le courage d’assumer notre force d’affluence dans le monde.

Cet article est paru dans «Le Temps» du 24 juin 2011.