Au premier regard, on pourrait penser que le marché de l’électricité n’est pas touché par les bas prix du pétrole. Si la part de centrales fonctionnant au pétrole est certes extrêmement faible, le prix du pétrole influence directement les prix du charbon et du gaz. À leur tour, ceux-ci se répercutent sur les prix du marché de l’électricité. D’une part, la corrélation des prix entre pétrole et gaz est due à l’obligation explicite de respecter le prix imposé, qui existe avant tout du fait des contrats à long terme entre le fournisseur russe Gazprom et les acheteurs européens. Néanmoins, cette fixation du prix a constamment perdu de son importance au cours des dernières années, comme le montre la corrélation décroissante des prix depuis 2007 (cf. graphique). Aujourd’hui, de par les formules tarifaires appliquées, le lien avec le marché libre du gaz joue un grand rôle. D’autre part, le pétrole et le gaz sont dans une certaine mesure des substituts, non seulement pour la production d’électricité, mais surtout pour la production de chaleur (chauffage, chaleur industrielle). Pour cette raison, les évolutions de prix s’influencent mutuellement. Une analyse américaine pour la période de 1989 à 2005 révèle qu’une hausse persistante de 20 % des prix du pétrole engendre une hausse de 16 % des prix du gaz.

Le graphique 1 confirme cette relation étroite, du moins jusqu’à 2008. Mais ensuite, le prix du gaz en Amérique du Nord retombe à un bas niveau constant, grâce à l’offre de gaz non-conventionnel. Cet effet peut aussi se lire au travers de la modification du coefficient de corrélation entre le pétrole et le gaz, qui a chuté de 0,8 entre 1997 et 2006 à 0,2 dans la période actuelle depuis 2007 (Remarque: une valeur de +1 signifie une corrélation linéaire positive entre les objets considérés). En raison des frais de transport, ainsi que de la capacité d’exportation réduite en provenance des États-Unis, cet effet s’est jusqu’ici répercuté de manière limitée sur le marché européen. En Allemagne, le coefficient de corrélation entre le gaz naturel et le pétrole, qui était de près de 0,9 durant la période allant de 1997 à 2006, est tombé après 2007 à un niveau nettement plus bas en comparaison avec les États-Unis, à quelque 0,5. Le coefficient de corrélation entre le prix du gaz et le prix du pétrole s’élevait après 2007 à 0,4, respectivement 0,2 pour le pétrole et l’électricité. L’ évolution actuelle de prix en Europe sur le marché à terme pour 2016 donne un aperçu de ces corrélations différentes: entre janvier 2014 et janvier 2015, le prix du pétrole (Brent Crude Oil Future) a chuté d’environ 40 %, le prix libre de plus de 50 %. Dans le même laps de temps, les prix du gaz (NCC-Natural-Gas-Year-Futures) est tombé de 20 % et celui de l’électricité en Allemagne (Phelix Base Year Future) de près de 10 % à quelque 32€/MWh (alors que le prix était encore de 55€ en janvier 2012).

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Combinaison du prix du pétrole et de la force du franc

Pour les producteurs suisses d’électricité, les bas prix du pétrole, du gaz et de l’électricité ne sont cependant pas que des mauvaises nouvelles. Avec l’abandon du taux plancher et le renforcement du franc suisse, ils assistent à une érosion supplémentaire des prix. Parce que le marché suisse de l’énergie est petit et ouvert, les prix de gros sont déterminés par les marchés voisins plus larges. En hiver, la Suisse assume fréquemment les plus hauts prix de l’Italie et profite des prix allemands plus bas en été (quand la Suisse devient elle-même exportatrice). Le secteur de l’électricité en Suisse est pour plusieurs raisons particulièrement concerné par les effets de change:

      • les prix de gros suisses sont couplés à ceux des pays voisins, exprimés en euros, en raison du caractère particulièrement transfrontalier des échanges.
      • les exportations des producteurs suisses sont uniquement dirigées vers la zone euro.
      • les centrales nucléaires et hydroélectriques suisses existantes présentent surtout des coûts fixes. Pour leur fonctionnement courant, elles ne nécessitent que peu de produits intermédiaires, dont elles pourraient bénéficier grâce aux importations moins chères, en raison de la force du franc.
      • il est difficile pour les producteurs suisses de transférer leur production de valeur ajoutée à l’étranger (bon marché), car les centrales occupent des emplacements fixes et les investissements ont déjà été faits.

boersenkurse_energieunternehmen_jan15_fr_600px_72dpi_rgbPar conséquent, après l’abandon du taux plancher à la mi-janvier 2015, les exploitants de centrales doivent désormais compter avec une baisse de prix supplémentaire (calculée en francs) d’environ 13 %. Ce choc des prix s’est aussi reflété dans les cours des actions après la décision de la BNS (cf. graphique 2). L’ampleur de cette effet dépend du modèle d’affaires: l’entreprise interconnectée Alpiq, orientée vers le négoce, a perdu nettement plus de valeur que l’ensemble du marché après la décision de la Banque nationale, alors que les pertes de change de BKW, orientée vers l’approvisionnement, sont restées modérées, l’entreprise bernoise ayant bénéficié de la possibilité de facturer aux petits clients sans accès au marché des prix fondés sur les coûts pour l’approvisionnement de base.

Une transition énergétique (encore) plus chère

La baisse des prix et le franc fort ne sont pas seulement défavorables aux entreprises interconnectées et à leurs propriétaires, c’est-à-dire avant tout les cantons. Cette évolution rend également plus coûteuse la stratégique énergétique du Conseil fédéral. Celle-ci vise un soutien unilatéral aux énergies renouvelables en Suisse. Les subventions nécessaires à cela (rétribution à prix coûtant, RPC) se calculent sur la base de la différence entre le prix de revient et le prix du marché. Plus les coûts sont hauts et les prix bas, plus importantes sont les subventions nécessaires. La combinaison du pétrole à bas prix et du franc fort rend la stratégie de subventionnement étatique deux fois plus chère, car le développement des énergies renouvelables à l’intérieur du pays est déjà très cher (aussi pour l’hydroélectrique (en allemand uniquement)).

Les évolutions actuelles des prix et des taux de change illustrent d’un côté que le marché de l’électricité est tout sauf sûr pour les cantons. Plus que jamais, il leur faut tenir compte des risques encourus dans leurs stratégies de participation. Avenir Suisse a insisté sur cette nécessité dans de nombreuses publications. D’autre part, les évolutions des prix montrent clairement que la Suisse n’est pas une île sur laquelle on peut définir une stratégie énergétique nationale. Elle a plutôt besoin d’une étroite coordination avec les évolutions du marché international.

      • En premier lieu, les bas prix (de l’électricité) signifient une offre excédentaire d’énergie et de capacités de production. Dans ces conditions, il est judicieux de freiner la construction (subventionnée) de centrales supplémentaires en Suisse (en allemand uniquement), aucune situation de pénurie ne se dessinant à terme.
      • Deuxièmement, un éventuel développement des énergies renouvelables doit être conçu en lien étroit avec les évolutions du marché. Cela signifie que des incitations doivent être créées pour que les investissements et services du secteur renouvelable collent au mieux avec l’offre et la demande de marché, et donc ses prix.
      • Enfin, la stratégie énergétique ne doit pas se focaliser unilatéralement sur le développement d’énergies renouvelables en Suisse, où cela est très coûteux. C’est justement parce que les énergies renouvelables contribuent peu à la stabilité de l’approvisionnement du pays que leur développement peut connaître plus de succès dans des zones moins chères à l’étranger. Si la politique tient absolument à soutenir les énergies renouvelables, alors cela doit se faire de façon neutre du point de vue de l’emplacement et de la technologie.

Le modèle de quotas proposé par Avenir Suisse est justement conforme à ces deux dernières exigences.