L’économiste de la santé Stefan Felder propose de limiter les soins à partir de 85 ans. Cette proposition, qui a choqué, a-t-elle un sens ? Eclairage.

«Générations» : Cette proposition choque une majorité de gens… le comprenez-vous ?

Dario Spini : Oui, car le droit à la santé est un droit humain, et toute discrimination basée sur un critère administratif, aussi arbitraire que l’âge, est contraire à ce droit.

Une telle initiative est-elle imaginable en Suisse ?

Oui. C’est tout à fait possible en raison de la logique de réduction des coûts au sein du système de santé.

Feriez-vous campagne contre ?

Je ne suis pas un leader politique, mais je m’exprime dans les médias, lorsque j’ai quelque chose à dire.

Quelle serait, selon vous, une alternative pour baisser les coûts de la santé ?

Pour économiser, il n’y a pas qu’une seule réponse possible. Des mesures peuvent être prises dans la gestion du monde hospitalier et du système de santé, sur l’ensemble des prestations. Il faut travailler sur l’évaluation clinique individuelle, en fonction de la santé et de l’autonomie de la personne, et non de l’âge. Il faudrait généraliser les mesures comme les directives anticipées, la prévention et mieux former les cliniciens au contact avec les familles et les patients, bien souvent beaucoup plus sages qu’on ne le pense. Je ne crois pas que la solution vienne du technologique, mais plutôt de l’approche clinique et humaine.

A titre personnel, quelle serait votre réaction si vous étiez confronté à un tel cas ?

Si l’on me dit : «Vous êtes trop vieux pour avoir ce traitement», alors que ma sante ́est encore bonne, cela me paraîtrait totalement arbitraire. Je serais évidemment fâché ! On ne peut pas dire qu’un âge donné ́correspond à ̀une situation donnée.

«Générations» : Comprenez-vous que ces propositions choquent la population ?

Jérôme Cosandey : Tout le monde est vite d’accord pour limiter, en général, les prestations, par exemple pour un centenaire par rapport à une personne de 5o ans. Mais, lorsque cela nous touche personnellement, aucune médecine n’est trop chère. Ce pavé jeté dans la mare nous rappelle qu’une telle restriction peut aussi nous concerner, d’où le choc.

Ne va-t-on pas vers une ségrégation pure et simple des seniors ?

C’est pour cela que je n’encourage pas une telle limite d’âge, car l’âge, selon notre année de naissance, ne dit rien de notre état biologique. Une personne plus jeune peut souffrir de plusieurs pathologies et n’avoir plus que quelques mois à vivre, alors qu’une autre, beaucoup plus âgée, peut être en meilleure forme.

N’y a-t-il pas une alternative pour couvrir les coûts de la santé ?

Oui, par exemple en quantifiant le bénéfice d’un traitement ou d’un médicament avant de le mettre sur le marché. Pour une année de vie supplémentaire de qualité, combien peut-on imaginer dépenser? Ou en informant mieux le patient sur les effets secondaires d’un traitement. Nombreux renoncent alors à une ultime chimio et préfèrent les soins palliatifs. Les directives anticipées, lorsqu’on est en bonne santé, représentent aussi une solution.

Seriez-vous prêt à renoncer aux soins vers 80 ans, vous-même ?

Je n’aimerais pas devoir y renoncer pour des questions financières, mais j’aimerais qu’on m’informe clairement de ce que serait ma vie avec ou sans un traitement.

M.B.

L’entretien a été publié le 31 mars 2017 dans le Magazine «Générations». Reproduit avec l’aimable autorisation de la rédaction.