Ldirective 2004/38/CE («directive citoyenneté») est devenue l’un des principaux obstacles à la conclusion de l’accord institutionnelLdirective aborde des thèmes explosifs de la politique suisse, comme la libre circulation, l’expulsion des criminels étrangers ou l’accès à l’aide sociale.

Parmi tous ces points, l’accès à l’aide sociale est sans doute l’enjeu politique le plus problématiséDeux principales craintes en particulier sont exprimées de manière récurrente :

  • Les citoyens de l’UE n’exerçant pas d’activité lucrative pourraient immigrer dans le système social suisse et ainsi s’adonner à du «tourisme social». 
  • Les citoyens de l’UE exerçant une activié lucrative pourraient accéder facilement à l’aide sociale, qui deviendrait un «self-service».

Le droit et la pratique liés à cette directive révèlent que ces craintes ne résistent pas à un test pratique. Une reprise intégrale de la directive impliquerait des adaptations mineureconcernant l’accès à l’aide sociale suisse, sans changement de paradigme.

1ère crainte: le «tourisme social» pour les citoyens de l’UE n’exerçant pas d’activité lucrative

Cette crainte doit être évacuée d’emblée : le droit européen ne permet pas à un ressortissant de l’UE de s’installer dans un pays dans le seul but de profiter de ses prestations sociales. La Directive stipule que les citoyens de l’UE n’ont pas de droit de séjour s’ils deviennent «une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil» (Art. 14(1)). 

Cette ambiguïté – qu’est-ce qu’une charge déraisonnable ? – pu être clarifiée grâce à de récents arrêts de la Cour de justice de l’UE, qui ont confirmé l’impossibilité de s’établir dans un autre Etat membre sans disposer des ressources suffisantes (C-333/13, C-67/14)De plus, la pratique d’Etats membres montre la marge de manœuvre à disposition de la Suisse. En Allemagne par exempleles citoyens de l’UE émigrant dans le pays sans y travailler n’ont aucun droit à l’aide sociale durant les cinq premières années. Aux Pays-Bas, la limite a été fixée aux deux premières années de résidence. 

La jurisprudence et les pratiques européennes montrent que la Suisse pourrait mettre en œuvre la Directive citoyenneté de manière à éviter les abus à l’aide sociale.

2è crainte: l’aide sociale comme «open bar» pour les citoyens de l’UE exerçant une activité lucrative

Pour les citoyens de l’UE venant travailler en Suisse et perdant leur emploi, il existe plusieurs cas de figure. Aucun n’implique de l’argent facile aux dépens du contribuable suisse. 

Comme c’est déjà le cas aujourd’hui, aucun droit à l’aide sociale n’est prévu par la directive en cas de perte d’emploi volontaire (démission, faute grave, etc.). En cas de perte d’emploi involontaire entre 3 et 12 mois après le début du travail, la directive prévoit six mois d’aide sociale à titre transitoire (contre zéro aujourd’hui). Ce délai écoulé, le citoyen de l’UE ne reçoit plus aucune assistance. 

Les critiques se concentrent surtout sur le droit à l’aide sociale indéfinie dans le temps pour les citoyens de l’UE ayant involontairement perdu leur emploi après au moins douze mois en Suisse. 

Ce changement par rapport à la situation actuelle est bien moins révolutionnaire qu’il n’en a l’air : il adviendrait au plus tôt 29 mois après l’arrivée du citoyen de l’UE en Suisse, soit au moins 12 mois de travail avant la perte involontaire de l’emploi, suivis par 11 mois d’indemnités chômage (jusqu’à 18 mois en fonction du temps travaillé avant), suivis par 6 mois d’aide sociale (auquel le citoyen de l’UE a déjà le droit aujourd’hui). On est loin de l’«open bar» que craignent certains opposants à la directive ! 

De plus, cette aide sociale n’est pas inconditionnelle. Le citoyen de l’UE doit rester inscrit au chômage (ORP), même s’il est arrivé en fin de droits pour les indemnités de chômage, et continuer à remplir ses obligations de chercheur d’emploi. Sinon, la personne sera considérée «économiquement inactive» et perdra son droit à l’aide sociale en devenant une «charge déraisonnable» pour les assurances sociales. 

Enfin, les critiques de la directive renchérissent que le droit à l’aide sociale des citoyens de l’UE deviendrait inconditionnel après cinq ans de résidence en SuisseCet argument est valide mais il fait omission du régime en vigueur : aujourd’hui déjà, la pratique suisse ne prévoit un retrait d’un permis C (obtenu après 5 ou 10 ans de séjour) en cas de «dépendance durable et dans une large mesure à l’aide sociale» que dans des cas exceptionnels (plusieurs années d’aide sociale continue).

Qu’est-ce qui changerait avec la directive citoyenneté ?

Une application intégrale de la directive citoyenneté – qui peut encore faire l’objet d’aménagements dans les négociations – constituerait une évolution plutôt qu’une révolution du régime migratoire suisse. Notre système est si proche de celui de l’UE que notre Tribunal fédéral utilise déjà la directive en cas de difficulté d’interprétation de l’accord sur la libre circulation des personnes (voir cet arrêt de janvier 2021).

La directive implique certes des coûts supplémentaires pour la Suissemais ils sont modestes: jusqu’à 75 millions de francs par an dans le pire des cas. Il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan de nos dépenses sociales (168 milliards de francs par an), d’autant plus que ces coûts sont largement compensés par les avantages offerts par de nouveaux accords avec l’UE (à lui seul, l’accord sur l’électricité permettrait aux consommateurs d’économiser env. 120 millions). D’où l’importance de procéder à une analyse coûts-bénéfices au niveau de l’accord institutionnel dans son ensemble, pas au niveau de ses composantes individuelles.