«On devine Saint-Gingolph, on voit les rochers de Meillerie, on aperçoit Tourronde, Evian, Thonon; et plus loin encore on distingue, fumant dans l’air bleu, une fumée dorée, la pointe d’Yvoire qui s’avance loin vers le large, marquant la ligne de séparation entre le Grand Lac et le Petit Lac. Ce sont nos voisins de Savoie qui nous regardent, et nous les regardons par-dessus une ligne que l’histoire a tracée quelque part, au milieu du lac, on ne sait pas bien où, car elle ne se perçoit pas, cette frontière qui nous sépare, alors que l’eau ne pense qu’à réunir, étant lisse, largement ouverte, bellement dallée et pavée, et il semble qu’elle va retentir sous le pied. Elle est là, largement ouverte, comme une vaste place publique qui invite au rassemblement ceux qui habitent tout autour.»

Charles Ferdinand Ramuz, La Suisse romande, 1936

une métropole en devenirUne actualité

La sortie, cette année, de l’ouvrage collectif dirigé par Xavier Comtesse et Avenir Suisse, Gouvernance à géométrie variable. Perspective lémanique (2012) proposant un état des lieux et un regard prospectif sur l’avenir de la Métropole lémanique, et offrant des pistes de mise en œuvre concrètes de ses modalités de croissance et de gestion, réactualise les travaux des professeurs Claude Raffestin de l’Université de Genève et Michel Bassand de l’EPFL, qui dès les années 1980-1990, ont fait émerger le concept de Métropole lémanique. Outre cette filiation, cette publication trouve dans divers projets et décisions politiques récentes, qui tendent à matérialiser les bases du devenir de cette dernière, un écho troublant.

Ainsi la ratification par la signature, le 28 juin dernier, des autorités politiques des cantons de Genève et Vaud, et de leurs homologues français des départements de l’Ain et de Haute-Savoie, du projet d’agglomération franco-valdo-genevoise, dit du «Grand Genève», même s’il ne concerne qu’une portion du territoire d’influence du Léman, est un premier pas vers un mode de gestion partagé et l’amorce d’un projet concerté.

La création, le 9 novembre 2011, par les Cantons de Genève et de Vaud, de l’entité «Métropole lémanique», met sur pied un organisme de collaboration à l’échelle métropolitaine. Outil de valorisation et de développement de ce qui est devenu, ces dernières années, la deuxième agglomération urbaine du pays et l’un des pôles économiques les plus dynamiques d’Europe, cette entité a pour but de développer et de pérenniser l’attractivité de cette région qui, depuis les années 2000, a connu une explosion, tant démographique qu’économique, avec le développement de ses pôles de recherche universitaires.

Enfin, le «Projet de territoire suisse», initié par l’Office fédéral du développement territorial (ARE), encore soumis à l’adoption jusqu’à fin 2012 par les organismes politiques concernés, pourrait déclencher un fort développement de la Métropole lémanique par la force de ses propositions, qui prennent en compte l’entier de son territoire et de son paysage. Ce projet commun, élaboré par des représentants de la Confédération, des cantons, des villes et des communes, propose en effet d’intégrer systématiquement le paysage et ses atouts spécifiques dans les planifications durables à venir.

Ces actes et projets cristallisent ainsi dans une actualité récente le postulat énoncé depuis de nombreuses années d’une Métropole lémanique en devenir au sein d’une «Ville-Suisse» déjà décrite par Jean-Jacques Rousseau au milieu du XVIIIe siècle, mais qui se concrétise chaque jour un peu plus et a franchi, cet été, le seuil des huit millions d’habitants.

Si les préceptes énoncés par les découvreurs et porteurs du projet de Métropole lémanique ne sont pas encore tous atteints, cette actualité semble toutefois annoncer une nouvelle dynamique pour concrétiser ce qui passait il y a peu encore pour une utopie, un concept théorique ou une vision académique, et devient peu à peu une réalité économique, urbanistique et sociale, en fondant une nouvelle identité géopolitique lémanique.

Même si les écueils paraissent encore nombreux, tant en matière de gouvernance qu’en terme d’infrastructures, avant qu’une entité, telle que celle décrite et soutenue par Xavier Comtesse et Avenir Suisse, puisse voir concrètement le jour, nous sommes convaincus de son devenir, et souhaitons par cette contribution, pouvoir offrir une réflexion complémentaire et un regard spécifique sur une approche «inversée» de son futur développement, qui s’entend par la valorisation de son «centre vide», le lac.

Le Léman

Au-delà de ses évidentes qualités paysagères, la place publique dont nous parle C.F. Ramuz est le cœur de cette urbanité, que nous souhaitons remettre au centre d’une approche questionnant le futur développement de cet espace métropolitain. Un rapide regard sur l’étymologie du terme «métropole» permet d’illustrer la prédominance de cette approche par le paysage et le bien commun qu’est par nature le Léman. Ainsi, celle que l’on nomme Métropole lémanique serait la «mère des polis», notion qui désigne dans la Grèce antique une communauté de citoyens libres et autonomes.

Toutefois cette notion de polis est plus large et recouvre d’autres réalités que celle d’une simple Cité-État. En effet si la polis peut être comprise comme une entité politique, un État souverain doté de pouvoirs régaliens qui joue un rôle sur la scène internationale, elle est plus que cela. La polis est aussi une entité sociologique, une communauté d’ayants droit, libres, et autonomes, fortement organisée et structurée, mais est avant tout une entité spatiale, un site qui noue de manière insécable une ville à son territoire et à un écosystème, et intègre ainsi fortement la notion d’un rapport spécifique au paysage.

Si ces trois notions s’appliquent sans restrictions dans le cas de   la Métropole lémanique, il nous paraît important d’approfondir les aspects contextuels propres à une approche paysagère, car tout développement urbain, même s’il est généré par des processus plus globaux, se concrétise et ne s’applique in fine qu’à un territoire et une constellation spatiale spécifique. Gagnant ainsi en signification, il crée son identité propre, en symbiose avec l’élément structurant et identitaire qui le constitue.

«Centre vide», offrant les conditions d’une nouvelle urbanité propre à la nature polycentrique du développement préexistant, le Léman est le cœur du fort développement urbain présent et à venir, tout à la fois son potentiel et son enjeu principal. Son identité est par analogie son espace référant. Vide public qui lui permettra d’accepter le fort développement de la métropole qui se constitue et se consolide sur ses rives, à la manière de «Central Park» et des «falaises bâties» des bâtiments tours de Manhattan, que décrivait l’architecte et urbaniste néerlandais Rem Koolhaas dans son texte manifeste, Imaginer le néant (1985): «Central Park, vide qui a provoqué les falaises qui l’entourent maintenant.»

Cette analogie new-yorkaise nous permet de rappeler que les métropoles actuelles se sont constituées en relation étroite avec leurs territoires respectifs. Ainsi, et de façon non-exhaustive: New York ne serait pas New York sans l’eau qui l’entoure et le vide de «Central Park», qui ont produit par ces deux contraintes/opportunités, le principe même d’une ville dense se développant en hauteur. Tokyo ne serait pas Tokyo sans la structure de sa baie, et le vide-centre de son Palais impérial, qui structure, par la nécessité du contournement de ce territoire impénétrable, son urbanité spécifique et contrastée. Les descriptions pourraient se développer sans fin, pour illustrer les spécificités et opportunités que les métropoles ont su tirer de leurs territoires et paysages.

Un vide-paysage structurant

Lorsque l’on se replonge dans la Métropole lémanique, c’est paradoxalement son élément le plus spécifique et le plus structurant, le lac, qui, au final, a tendance à être quelque peu oublié dans les projets connus de planification territoriale. Offrant bien souvent une vision partielle du territoire, ils occultent le caractère insécable et identitaire du Léman. Cette mise à l’écart de l’acteur principal n’est bien entendu pas effective en ce qui concerne sa dimension touristique et l’attraction que ce paysage peut offrir.

Toutefois elle réduit bien souvent ses qualités présentes et son usage, à la seule dimension contemplative et aux activités culturelles et de loisirs, en occultant sa dimension fonctionnelle, au titre de lieu de pratiques et de liens économiques et sociaux qui, durant toute son histoire et jusqu’au début du XXe siècle, le définissait et le constituait.

C’est pourtant ce vide du lac qui a formé depuis toujours, par ces échanges et son rôle de support d’activités, l’identité commune de cette métropole. Territoire formant un tout indivisible, sans opposer deux rives, comme certains l’ont décrit, mais dans une continuité de variations topographiques et l’affirmation d’un seul et unique paysage offrant une diversité de situations et de panoramas. Faisant fi des frontières nationales, cantonales et communales qui n’ont eu cesse de changer durant son histoire, de n’importe quel lieu d’où l’on peut l’observer, il est perçu dans une unicité créant une seule et même identité. Entre ses versants, le vide du lac offre un seul et unique paysage, support d’une urbanité d’intensités et de caractères variés sur l’entier de son pourtour.

Cette forte identité, qui donne son caractère autonome au Léman, est décrite par François Alphonse Forel, scientifique pluridisciplinaire et auteur du livre Le Léman (1892-1901), qui fait le constat à son propos d’un vide au caractère autonome, en définissant ce qu’il appelle «l’individualisme du lac»: «Un lac est un individu géographique en lui-même; il a sa vie propre et indépendante de toute action humaine; ses relations avec les cités des hommes, transitoires et passagères en comparaison de la durée bien supérieure du lac, sont d’importance accessoire.» Le constat de son caractère permanent et de son statut autonome, conforte Forel à propos de sa toponymie et de l’appellation la plus ancienne: le «Léman». Et comme pour un individu, il décide de lui consacrer une «monographie» en trois volumes.

Cette acceptation d’une autonomie identitaire semble dégager aujourd’hui une piste importante pour une réflexion urbaine sur la Métropole lémanique. Si l’on considère cette dernière comme une force et un vecteur de développement social et économique, elle ne peut que réunir le paysage urbain sur son pourtour et au final guider son développement commun.

Cette approche dépassera alors la difficulté  de  certains, à considérer son aire d’influence comme un tout, en assumant l’entier de son territoire y compris la France voisine de la rive sud, bien souvent exclue des diagrammes, discours et postulats, qui en parlant de «croissant» ou «d’arc» lémanique, occultent une partie de son territoire, alors que son contexte géophysique est, au-delà des limites et des frontières géopolitiques, identique. Selon nous, la lecture de la reconnaissance d’une identité lémanique considérant le lac comme le cœur de cet espace métropolitain est la seule perspective réaliste de gestion et de croissance d’une métropole qui, si elle est polycentrique, est par nature un tout indivisible réuni dans un même paysage.

Le vide, générateur d’une urbanité métropolitaine

Si l’on inverse le regard et l’on observe cette urbanité depuis le vide du lac, les limites géopolitiques et les frontières économiques qui chaque jour voient passer leur flot de frontaliers sont absentes, car totalement artificielles du point de vue des identités paysagères présentes. C’est le vide du lac qui se détache de ces conflits d’intérêts, et embrasse tous les territoires qui le bordent, sans distinctions pour des parties plus ou moins denses, plus ou moins urbaines, plus ou moins paysagères. Tout au long de l’histoire de cette région, le Léman n’a eu de cesse de réunir, comme le rappel l’historien Paul Guichonnet dans son ouvrage Nature et histoire du Léman (1994): «Traversée par le Rhône, qui va des glaciers valaisans à la Méditerranée, la nappe liquide est un trait d’union entre les espaces et les cultures qui convergent vers ses bords. Au cours des siècles, elle a lié beaucoup plus que séparé les hommes qui peuplent densément son pourtour.»

Aujourd’hui, l’urbanité qui compose cet espace métropolitain est constituée d’un réseau d’intensités variées, n’opposant plus les centres et leurs périphéries dans une dualité stérile, mais proposant à la manière de la «Ville-Suisse» de J-J.Rousseau, des quartiers qui par leurs diverses qualités, densités, et identités, sont constitutifs d’une métropole contemporaine, avec pour espace référant en son centre, le lac. Le vide agit alors à la manière de la «Place publique» de C.F.Ramuz, du «Central Park» de R.Koolhaas, ou plus précisément comme un «Centre vide». Cette notion tirée de l’Empire des signes (1970) de Roland Barthes, décrivant à propos du Palais impérial de Tokyo, la notion de «centre-ville, centre vide»: «[…] le centre de nos villes est toujours plein: lieu marqué, c’est en lui que se rassemblent et se condensent les valeurs de la civilisation […] La ville dont je parle (Tokyo) présente ce paradoxe précieux: elle possède bien un centre, mais ce dernier est vide. Toute la ville tourne autour d’un lieu à la fois interdit et indifférent, demeure masquée sous la verdure […] L’une des villes les plus puissantes de la modernité est donc construite autour d’un anneau opaque de murailles, d’eaux, de toits et d’arbres, dont le centre lui-même n’est plus qu’une idée évaporée, subsistant là non pour irradier quelque pouvoir, mais pour donner à tout le mouvement urbain l’appui de son vide central […]». Ce qu’on appelle dans les villes: le «centre ville», est ici par analogie, le «centre vide» du lac, offrant sa respiration à la future urbanité lémanique.

Le lac «centre vide», opportunité de développement

Désenclavant ses territoires, en rééquilibrant l’attractivité de ses deux rives dans l’unicité d’une vision métropolitaine, mettant en relation l’entier de son périmètre, la question d’une valorisation du développement d’un réseau dense et efficient de transports publics lacustres sur le Léman offre des pistes et des perspectives permettant d’élaborer d’autres scénarios territoriaux de développement urbains, en complément de ceux actuellement proposés pour le Grand Genève ou le Projet d’agglomération Lausanne Morges. Ce futur réseau valorisera ainsi la notion d’un territoire et d’un espace culturel lémanique composite, mais indivisible et insécable, défini depuis la nuit des temps, par cet «individu identitaire», qu’est le lac.

Pour illustrer ce propos, il est intéressant de revenir sur les changements advenus récemment au sein de la CGN. En mai 2012, les trois cantons, Vaud, Genève et Valais, ont pris la majorité du capital-actions de la Compagnie générale de navigation sur le Léman. Une holding la chapeautera désormais en deux sociétés distinctes: CGN SA, dédiée à l’exploitation, et CGN Belle-Epoque SA, vouée à la conservation et au maintien des bateaux historiques.

Cette restructuration est propice au développement d’une nouvelle stratégie de valorisation du transport lacustre en complément aux autres modes de transports publics. Déjà amorcée avec le réseau NaviMobilité qui avec cent traversées quotidiennes a transporté en 2011 plus de 1,6 million de passagers, cette stratégie doit être renforcée et développée.

L’alternative d’une nouvelle offre de connexions croisées entre les polarités des deux rives, mettrait le vide du lac au cœur d’un vaste projet de transports publics lacustres, au profit de nouvelles pistes de développements de territoires urbains interconnectés sur l’entier de l’espace lémanique. Projet d’infrastructure à haut potentiel, il se doit de réunir les acteurs des communautés riveraines, pour élaborer un concept de valorisation de l’espace lacustre comme lieu d’un transport public, efficient, écologique et durable. Ce développement viendrait en complément d’autres offres existantes, et de divers projets, pour certains en phase de concrétisation, dont notamment et de manière non-exhaustive: le nouveau réseau RER vaudois; la mise en œuvre du réseau CEVA et son raccordement au réseau régional des départements français voisins; la 3ème voie CFF entre les gares de Genève et Lausanne; et enfin la possible réactivation et transformation de la ligne du Tonkin, permettant de connecter les réseaux RER vaudois et valaisans avec le réseau CEVA, dans une boucle lémanique qui mettrait en complète interaction son périmètre.

Ces projets pourraient trouver dans le développement de ces nouvelles liaisons lacustres, une synergie bienvenue, et un réseau dense de connexions offrant un maillage territorial fin, générant une forte synergie des différentes offres de transports publics. Cette interface lémanique mettrait alors en relation l’entier de son territoire d’influence, et permettrait ainsi le développement de nouvelles polarités urbaines.

Si la mise en œuvre de ce potentiel lacustre pourrait être la clé d’un rééquilibrage de l’urbanisation lémanique et la «découverte» de nouveaux territoires à programmer, la grande question reste de savoir comment travailler cette urbanité multiple et polycentrique, qui forme un tissu hétérogène mêlant constamment ville et paysage, dans des intensités très diverses autour d’un espace identitaire commun.

Les moyens et outils usuels de planification, comme les «masterplans» ou les plans directeurs ne nous paraissant plus être adaptés aux constellations présentes, et à la durée, des processus hautement complexes en jeux. Il est donc nécessaire de proposer d’autres approches et modes opératoires.

Encore une fois il paraît opportun de revenir au «Léman», et d’utiliser l’analogie proposée par F.A.Forel, le considérant, comme une île en inversant les notions de plein et de vide: «L’individualité du lac, partie de l’hydrosphère, séparée de la mer au milieu du continent, est analogue à celle d’une île partie de la lithosphère, séparée des terres continentales au milieu de l’océan». Cette analogie nous permet un parallèle, toute proportion d’échelle gardée, avec la démarche mise en œuvre à Nantes, depuis le début des années 2000, pour le développement de «l’Île de Nantes», qui pourrait être une alternative et nous enseigner une autre approche du futur développement de notre «Île Lémanique», sous la forme d’un outil de planification ouvert.

Mise sur pieds par l’architecte, urbaniste et paysagiste Alexandre Chemetoff et son équipe, le projet de transformation et de développement du territoire de «l’Île de Nantes», se fonde depuis maintenant plus de dix ans, sur une démarche basée autour d’un outil: le «Plan-guide». Élaboré sur la base de deux plans: celui d’un état des lieux récurrent, et celui du projet en devenir, qui évoluent tout deux continuellement; réadaptés, modifiés et réédités tous les trois mois, ce processus est décrit par A. Chemetoff interviewé par Sébastien Marot dans son ouvrage, Visites (2009): «[…] c’est pour cela que notre manière de procéder se fonde sur deux plans: celui de l’état des lieux et celui du projet en devenir.. Tous les trois mois, on produit ce plan nouveau, le Plan-guide. Mais on fait aussi ce constat: plus on avance dans le projet, plus on avance dans la connaissance de l’état des lieux. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, il n’y a pas au départ un état des lieux qui serait donné comme une chose connue une fois pour toutes et un projet qui se développerait à partir de là. L’état des lieux évolue avec le projet. Et plus on avance dans l’expérience du projet, de différents projets, plus on a une connaissance fine du terrain. Le projet de ce point de vue-là, est aussi un outil de connaissance.»

Cette démarche de planification autour d’un «Plan-guide» en continuelle transformation et adaptation, en lieu et place des outils classiques de planification, offre pour nous le potentiel d’une approche flexible et non hiérarchique, rendant possible le développement d’un projet hautement complexe comme la Métropole lémanique. Approche ouverte à la manière d’un hypertexte, elle apparaît comme le moyen d’intégrer l’entier des contextes présents au travers de cette double stratégie qui fusionne un état des lieux et un ensemble de projets, tous deux en perpétuelle interaction et changement. Abordant la planification par «le faire» du projet, elle est la seule à même d’offrir une alternative concrète à la complexité extrême des différents modes de gestion de ses acteurs: Confédération, cantons, communes côté suisse; État, régions, départements, cantons, communautés de communes et communes du côté français.

Manifeste pour une urbanité lémanique par le vide

S’inscrivant dans la démarche initiée par l’Office fédéral du développement territorial, cette approche qui met le lac au centre du territoire d’action de sa future urbanité, prend place dans le «Projet de territoire Suisse», en partageant l’objectif d’assurer une occupation territoriale plus rationnelle, et en assumant l’acceptation de son identité polycentrique de Métropole Lémanique.

La reconnaissance de l’unicité de ce paysage, et de sa capacité à être son identité et son vecteur de développement par la valorisation de son «centre vide», est pour nous le seul moyen d’agir dans le contexte présent d’une urbanité lémanique contemporaine, composée de substances urbaines des plus denses aux plus diffuses, et qui mêle en permanence paysage urbanisé et ville paysagée.

Cette dilution du monde urbain n’a en effet pas cessé de progresser au point que le fameux couple bien distinct: ville et paysage, plein urbain et vide paysager, s’est entremêlé jusqu’à l’insaisissabilité et l’imperceptibilité de l’un et de l’autre. On parlera alors d’«Hyperville» comme André Corboz, ou de «Suburbanisme» comme S.Marot, mais dans le cas présent d’une ubiquité complète de la ville et du paysage. Souvent décriée comme non-urbaine et «autre» que la ville, cette évolution est pourtant bien réelle et se laisse facilement constater et appréhender quotidiennement dans l’espace métropolitain lémanique, pour constituer in fine le vrai contexte de la ville contemporaine.

Il est selon nous, temps d’accepter cette réalité et de «faire avec» la situation actuelle. Nous proposons donc de changer radicalement le point de vue et d’examiner le développement urbain depuis le paysage, et par conséquent de créer les outils adéquats pour une approche inversée de l’urbanisation impliquant et utilisant la notion de vide en valorisant dans le cas présent le cœur de cette métropole en devenir, le «centre vide» identitaire que nous offre le Léman.

Cette approche urbaine par le vide, passe donc implicitement par la valorisation du potentiel d’interconnexions du périmètre lémanique, et la mise en œuvre sur l’espace lacustre d’un nouveau réseau de transports publics, efficient et durable permettant de garantir son développement et d’offrir une nouvelle perception de son territoire.

Cette stratégie, associée à une démarche de projet ouverte et spécifique s’inspirant d’un «Plan-guide» en mêlant constamment dans une ubiquité assumée et revendiquée: état des lieux et projet, vide et urbanité, ville et paysage, donnera à la Métropole lémanique le cadre prospectif et raisonné de son émergence autour de la vaste «place publique» lémanique décrite par C.F.Ramuz.


Cet article a paru dans l'édition de la Cité du 24 août au 7 septembre 2012. 
Avec l'aimable autorisation de La Cité et des auteurs.
Pour en savoir plus sur ce sujet: Xavier Comtesse et al., Gouvernances à géométrie variable. Perspective lémanique, ed. Avenir Suisse et Éditions du Tricorne, Genève, 2012.