Mesures suspensives adoptées par quatre parlements romands (Genève, Jura, Neuchâtel, Vaud), motions ou interpellations dans sept autres : la mise en service de la 5G fait face à une fronde sans précédent. Si les interrogations suscitées par cette technologie méritent d’être écoutées, il est essentiel qu’un débat rationnel et informé se substitue à la panique ambiante. Ces réactions soulignent la nécessité pour les autorités fédérales de poursuivre une action publique prospective et basée sur les faits.

Le terme 5G désigne une nouvelle étape dans l’évolution des télécommunications mobiles, avec des performances supérieures importantes pour la numérisation de l’économie. Ce développement est souhaitable non seulement pour des innovations prometteuses – comme les réseaux électriques intelligents – mais aussi pour la simple satisfaction des besoins existants, les antennes atteignant bientôt leur capacité maximale.

La levée de boucliers dont la 5G fait pourtant l’objet est multiple. Outre les aspects sécuritaires, liés à l’intégrité des infrastructures, la technologie est attaquée sur le plan sanitaire. Ses détracteurs considèrent que les ondes électromagnétiques émises par les télécoms – les radiofréquences – nuisent déjà à la santé à un niveau inférieur aux actuels seuils limites. Ils craignent, avec la 5G, une prolifération de l’«électrosmog» et revendiquent l’abaissement de ces seuils, voire l’abandon pur et simple de cette technologie.

Riche de plusieurs centaines d’études, la recherche n’a révélé aucun effet nocif des radiofréquences sur l’humain. Le seul consensus concerne leur effet thermique – l’«effet micro-ondes» – toutefois perceptible uniquement à des niveaux de rayonnement bien supérieurs aux seuils autorisés. La controverse actuelle concerne l’éventualité d’autres effets, comme l’apparition de migraines ou de tumeurs cancéreuses, non établis par la recherche médicale.

Différentes 5G avec différents risques

Le débat est compliqué par le fait que le terme 5G amalgame en réalité plusieurs dispositifs, dont les risques pour la santé devraient être évalués séparément. Au moins trois types d’antennes doivent être distingués : (1) les antennes émettant dans des fréquences similaires à la 4G, (2) les antennes dites adaptatives et (3) les antennes à ondes millimétriques.

Les antennes 5G actuellement en cours d’installation émettent exactement dans la même gamme de fréquences que les antennes 4G et wifi actuelles. Wikimedia Commons

La première catégorie inclut la plupart des antennes en installation aujourd’hui. Dans ce cas, le passage à la 5G améliore les performances et n’entraîne strictement aucune différence de risques. Non seulement les seuils limites restent les mêmes, mais les plages de fréquences allouées aux antennes 5G sont plus basses ou quasi identiques à celles utilisées par la 4G ou les réseaux wifi.

La seconde catégorie est celle des «antennes adaptatives». A la manière de lampes-torches, celles-ci permettent de concentrer les faisceaux d’ondes vers les appareils connectés au lieu d’émettre de manière uniforme dans leur périmètre. On ne comprend donc pas pourquoi les opposants n’accueillent pas ce progrès à bras ouverts, puisqu’il permet précisément de diminuer l’électrosmog superflu.

La troisième catégorie, enfin, est celle d’antennes émettant à très haute fréquence (à des niveaux similaires aux satellites). L’impact de ces antennes à «ondes millimétriques» a encore été peu étudiée. Toutefois,  aucune n’est prévue en Suisse à ce jour, les bases légales nécessaires pour leur implantation n’existant même pas.

Les antennes comme boucs émissaires

D’un point de vue technique, force est de constater que les antennes prévues ne créent pas davantage de dangers que les antennes existantes. Pourtant, elles alimentent de nombreuses craintes, notamment en raison de l’intention des opérateurs de quasi-doubler leur nombre en Suisse ces prochaines années. Or, c’est précisément parce que les limites d’émission des antennes suisses sont dix fois plus strictes que ce que préconise l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qu’il en faut davantage pour couvrir l’ensemble du territoire. En contrepartie, ces antennes émettent moins de rayonnement et sont plus proches de nos terminaux. Ce dernier facteur est crucial, car plus nos appareils sont éloignés d’une antenne, plus leur rayonnement devient puissant afin de capter le réseau (une différence pouvant atteindre un facteur de 100 000).

Ainsi, plus d’antennes peuvent paradoxalement contribuer à une exposition au rayonnement significativement moindre. De manière générale, la recherche estime à 90% l’exposition d’un individu causée par ses propres appareils mobiles, et seulement 10% approximativement par d’autres sources. Pour réduire leur exposition, les consommateurs dont l’aversion au risque est élevée devraient se retourner contre leurs appareils plutôt que contre les antennes.

Un régulateur plus proactif

Selon une étude de la Commission européenne répliquée en Suisse, tout retard pris dans l’amélioration des infrastructures numériques nuit à la compétitivité du pays dans un contexte de concurrence internationale acharnée. C’est pourquoi il est crucial que la Confédération adopte une approche bien plus prospective dans son rôle de régulateur que ce qu’elle a fait jusqu’à maintenant et évite d’envoyer des signaux contradictoires. Ce faisant, elle renforcerait significativement les conditions-cadre pour les acteurs économiques sans affaiblir d’un iota la protection des consommateurs.

Ainsi, la conception du protocole de mesure des émissions des antennes adaptatives, encore attendu aujourd’hui, aurait dû précéder l’allocation des fréquences pour la 5G. De même, le fameux rapport de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) sur l’avenir des réseaux mobiles, attendu fin 2019, aurait gagné à être publié plus tôt. A la lumière de ces expériences, la Confédération devrait d’ores et déjà développer un processus de validation des antennes à ondes millimétriques, ceci pour ne pas poser de risque à la population dans le cas où elles seraient nocives et pour ne pas freiner l’innovation dans le cas où elles ne le seraient pas.

Outre l’importance d’anticiper les évolutions techniques, il est essentiel que la Confédération fonde son action sur des données tangibles (evidence-based policy-making). En 2015, le Conseil fédéral avait déjà adopté un plan de surveillance des rayonnements non-ionisants, qui comprennent les radiofréquences. Or, le poste créé pour le mettre en œuvre sera pourvu au plus tôt cet été ! Ces données auraient été nécessaires en amont afin de réduire les incertitudes liées à ces technologies et de mieux accompagner leur développement actuel.

Des progrès malgré les incertitudes

Si le développement technique suscite souvent des contestations dans ses premières phases, il faut du recul pour évaluer son acceptabilité. A ses débuts, la 3G avait rencontré le même accueil hostile que la 5G ; or, elle est aujourd’hui pleinement intégrée dans nos paysages et usages quotidiens.

Certes, l’impact des radiofréquences à long terme sur l’humain demeure incertain à ce jour, d’où l’importance de maintenir les seuils à leur niveau actuel. Cela dit, il ne faut pas oublier que nous vivons quotidiennement dans l’incertitude. Les opposants aiment à rappeler que les radiofréquences sont classées comme «peut-être cancérogènes» par l’OMS, sans toutefois mentionner que cette catégorie inclut également… les fougères et les cornichons. Il faudrait dans ce cas bien plus s’inquiéter des ondes issues du rayonnement du soleil, prouvées elles «cancérogènes», tout comme l’alcool, la viande rouge ou le tabac.

Pour autant, rien ne sert de troquer un refus irraisonné du changement pour une hubris technologique aveuglée. La seule certitude, c’est que personne n’en a. Le cas de l’amiante, avec des coûts de santé et d’assainissement estimés à plus de 1,5 milliard par an, devrait nous inciter à l’humilité. De la même manière, peut-être s’étonnera-t-on dans quinze ans de savoir que les usagers CFF s’arrosaient sans scrupules de radiofréquences, de la même manière que nous nous étonnons aujourd’hui de savoir que tout le monde s’enfumait à coup de cigarettes à peine quinze ans auparavant.

Mais contrairement à l’amiante et au tabac, les ondes peuvent aussi sauver des milliers de vies, comme le montrent des dispositifs d’urgence tels que le système automobile eCall. C’est pourquoi toute analyse coût-bénéfices des réseaux mobiles doit non seulement prendre en compte les éventuels coûts liés aux risques, mais aussi les retombées positives directes et indirectes sur la (qualité de) vie des individus.