Mi-février, le Conseil fédéral a publié un état des lieux de plus sur la politique des médias. Il souhaite ainsi mettre en place une stratégie pour les «médias de demain». Or ce rapport en réponse à un postulat n’est en rien futuriste, si ce n’est qu’il repousse à très longtemps une réforme attendue.

Les premières lignes du rapport donnent le ton : «Ces dernières années, l’utilisation s’est tournée, en particulier chez les jeunes, vers les offres en ligne et les réseaux sociaux au détriment des médias traditionnels». On dirait que Facebook et compagnie viennent de voir le jour. On est loin du compte.

Ainsi, le Reuters Institute interroge régulièrement des personnes dans différents pays sur leur consommation médiatique. Déjà en 2016, plus de 60 % des 18/24 ans indiquaient s’informer majoritairement sur les réseaux sociaux ou sur des plateformes en ligne, et étaient près de 80 % l’année dernière. Le paysage médiatique s’est radicalement transformé au cours des deux dernières décennies.

En revanche, la politique des médias suisse est restée bloquée au XXe siècle. En 2022, la distribution postale de journaux et de magazines était subventionnée à hauteur de plus de 120 millions de francs : d’une part par une contribution fédérale, d’autre part par une sous-couverture des coûts de la part de la Poste. Une part encore plus importante de l’aide aux médias est versée à la SSR. Celle-ci est alimentée chaque année à hauteur de 1,2 milliard de francs par la redevance radio et télévision.

La politique médiatique est fortement ancrée dans le passé. (Adobe Stock)

C’est ainsi que l’aide aux médias actuelle se décline en instruments autrefois conçus pour la radio, la TV et les journaux. Une politique médiatique aussi vieillissante n’est pas sans un certain lot de problèmes. D’abord, la distorsion de concurrence résultant des médias traditionnels qui sont subventionnés et ainsi favorisés par rapport aux autres. Ensuite, l’argent public est utilisé pour maintenir artificiellement en vie des technologies et des structures obsolètes. Enfin, ce soutien a des effets indésirables en matière de politique sociale : comme les personnes âgées consomment davantage de médias traditionnels, elles profitent davantage des subventions que les jeunes.

Même le Conseil fédéral admet dans son rapport que cette situation est insatisfaisante. Mais les solutions proposées ne sont pas convaincantes. La plupart d’entre elles sont un réchauffé du paquet de mesures qui a été rejeté par les urnes il y a deux ans. Ce rapport s’apparente à un lot de subventions quelque peu insensées. D’une part, parce que le Conseil fédéral se limite à un état des lieux dépourvu de recommandations. D’autre part, il renonce explicitement (et pas vraiment dans l’esprit du mandat formulé dans le postulat) à élaborer une stratégie à long terme, pour laquelle une modification de la Constitution serait nécessaire.

Mais sans une telle stratégie, il est peu probable qu’une adaptation de la Constitution ne voit le jour. Or c’est justement une telle adaptation qui est inévitable. L’article constitutionnel en question se concentre aujourd’hui sur la radio et la télévision : il n’est pas neutre technologiquement. Il ne laisse donc aucune marge de manœuvre à la Confédération pour une politique des médias tournée vers l’avenir. C’est ce que montre le dernier rapport avec son lot de subventions : celui-ci peut certes être mis en œuvre au niveau de la loi, mais il manque de cohérence. Seule une modification de la Constitution permettrait de réformer la politique suisse des médias dans son ensemble. Une telle réforme devrait logiquement s’accompagner d’une refonte de la redevance pour la radio et la télévision – la politique des médias sans la SSR est comme Hamlet sans le prince.

A quoi devrait ressembler la politique des médias de demain ? D’une part, les deux professeurs suisses Peter Hettich et Mark Schelker ont proposé en 2016 un soutien ex-post ciblé et indépendant des plateformes. D’autre part, Avenir Suisse a esquissé il y a deux ans comment la SSR pourrait, dans le cadre d’une nouvelle politique des médias, évoluer vers un Public Content Provider neutre technologiquement et en matière de concurrence ; les grandes lignes de ce modèle avaient déjà été développées par Avenir Suisse en 2014.

A l’époque, les bouleversements numériques n’en étaient qu’à leurs débuts. Dix ans plus tard, nous sommes en plein dedans, mais dans la Berne fédérale, on semble toujours avoir tout le temps du monde. Comme de nouvelles concessions de radio et de télévision viennent d’être attribuées, le Conseil fédéral écrit dans son rapport sur une réforme fondamentale : «Un horizon temporel postérieur à 2034 serait judicieux à cet égard.» Mais laisser s’écouler encore dix ans n’est pas du tout judicieux. Cette démarche rappelle plutôt une citation du prix Nobel de littérature britannique Harold Pinter : «L’avenir est l’excuse de tous ceux qui ne veulent rien faire dans le présent».

Ce texte a été publié dans la NZZ am Sonntag du 25 février 2024.