Les algorithmes nous gouvernent
Aujourd’hui, on sait que des algorithmes de trading aussi appelés les «robots» par les financiers sont à l’origine de ce «flash» krach. Seule une interruption momentanée de Wall Street a permis aux ordinateurs de retrouver un peu de calme. Cet événement n’a toutefois pas changé le cours de l’histoire, les algorithmes sont toujours aux commandes à New York et représentent aujourd’hui entre 60 et 70% du volume des transactions. Cette situation est plus ou moins la même sur les autres grandes places financières du monde. Les algorithmes dictent les règles du jeu. Ce n’est d’ailleurs pas le seul domaine où la puissance des algorithmes s’exprime. Songeons en premier lieu à Internet, cet immense écosystème de données, d’informations interconnectées que, seuls les algorithmes parviennent à traiter, à manipuler et à produire au final des résultats qui deviennent à leur tour de nouvelles données et informations. Ainsi lorsque je fais une recherche sur Google, l’algorithme qui me prend en charge va offrir plusieurs solutions à ma requête présentée comme une liste de liens, mais, dans le même temps, va retenir ma requête comme une information qui va être intégrée comme une donnée pour ses propres recherches futures. Il en est de même par exemple sur Amazon ou Ebookers, chacune de mes recherches et chacun de mes achats seront intégrés à une base de données de «comportement clients» qui ira enrichir les recherches et offres futures non seulement me concernant, mais aussi pour ceux qui auront fait les mêmes choix. C’est une nouvelle réalité: les algorithmes nous prennent en charge. Il ne reste qu’à franchir un petit pas pour qu’ils nous gouvernent. Un pas qui pour l’instant n’est pas encore franchi. Mais jusqu’à quand? Il n’est pas question ici de se faire peur mais de bien comprendre le monde qui émerge.
Gestion des véhicules
Un autre exemple tout aussi important, mais plus dissimulé: celui de l’automobile. Des centaines d’algorithmes ont été introduits dans la gestion de nos véhicules. Le plus visible et marquant est l’algorithme pour garer sa voiture. La publicité maintes fois vue de la marque automobile Volkswagen est une nouvelle étape d’aide à la conduite dont l’algorithme utilisé introduit une véritable évolution voire une rupture. Ainsi à chaque visite chez votre garagiste, le diagnostic du véhicule s’opère grâce à un ordinateur pratiquement indépendant de l’humain. La facture souvent conséquente reste cependant aux frais du conducteur… Tout appareil électroménager, HiFi, TV, Radio, téléphone et bien sûr votre ordinateur sont bourrés d’algorithmes, mais, là, on s’en doutait un peu… Qu’en est-il de l’Etat? Si aujourd’hui de nombreuses procédures sont automatisées, il y a peu d’algorithmes qui utilisent l’interopérabilité des bases de données. C’est à la fois historique, à cause de l’étanchéité des départements et aussi philosophique car les administrations ne cherchent pas à interpréter les comportements des citoyens et se contentent de les servir. Sans doute, un jour les états vont faire leur (r)évolution vers l’anticipation des besoins, mais ce n’est pas le cas actuellement. Un citoyen reste un usager passif sauf si on lui demande sa voix pour des élections et des votations, mais on lui demande rarement de donner de la voix pour s’exprimer comme un citoyen «augmenté». La réalité du changement est plus lente que l’on ne le pense généralement, mais ses conséquences à long terme sont certainement sous estimées. Explorons quelques exemples.
Santé publique: comment combattre la grippe grâce à Google
Une application récente et frappante de l’apport des algorithmes est celle de la prévision de la grippe. Chaque année l’épidémie se propage et les services de santé publique suivent très attentivement l’avancement de son impact. Or, une équipe de Google a constaté que certains ternies recherchés par les internautes sur leur service sont de bons indicateurs de l’activité grippale. Google Flu Trends (http://www.google.org/flutrends/) utilise des données agrégées de recherche pour estimer l’activité actuelle de la grippe dans le monde entier en temps quasi-réel. En fait, on arrive à détecter une augmentation significative d’activité grippale avec deux semaines d’avance sur les statistiques épidémiologiques du Center for Disease Control américain. Voyons cela de plus près. Toutes les personnes malades ne cherchent pas le mot «grippe» ou les mots liés à ses symptômes sur Internet et tous ceux qui recherchent ces termes ne sont pas nécessairement malades, mais la corrélation est suffisamment forte pour que lorsque toutes les requêtes sont rassemblées, filtrées et comparées à la fréquence habituelle, la tendance ressort nettement. Ainsi, on arrive à estimer par un algorithme la progression de l’épidémie grippale saisonnière en utilisant de façon ingénieuse des données de recherche anonymisées afin de préserver la sphère privée des internautes. Pourquoi utiliser les données, un peu improbables à première vue, issues d’un moteur de recherche plutôt que de simplement faire confiance au système classique de surveillance de la grippe? Les deux ne sont pas concurrents mais finalement complémentaires: les épidémiologistes peuvent compléter les données plus fiables relevées conventionnellement par les médecins, les centres de soins et les hôpitaux par ces indicateurs avancés en temps réel. Plus une maladie est détectée rapidement, plus il est possible d’en réduire les effets sans avoir à recourir à des campagnes de vaccination lancées en catastrophe et des décisions coûteuses hâtives. Faut-il se méfier de l’effet de «buzz» qu’Internet sait si bien propager? Certainement. Mais si ces premiers résultats expérimentaux sont confirmés et que les algorithmes sont plus raffinés, l’impact sur la santé publique pourrait être majeur et sauver un nombre considérable de vies. Cette recherche appliquée prometteuse a fait l’objet d’une publication dans le très renommé journal Nature en 2009 (http://www.nature.com/nature/journal/v457/n7232/fuII/nature07634.html).
Les «smart cilles»:comment rendre le transport en ville plus intelligent à Singapour
Les villes et les métropoles se densifient de plus en plus: depuis 1950 la population mondiale urbaine est passée de 30 % à 50 % et on estime que d’ici 2050 plus de deux-tiers de la population mondiale vivra en ville. Les défis que cette tendance démographique amène sont énormes pour les pouvoirs publics. Voyons comment les algorithmes peuvent nous aider. Le concept de «smart cities» (ou de «villes intelligentes») ajoute aux infrastructures physiques de la ville une couche d’informations digitales qui permet d’imaginer des fonctions et des services aujourd’hui embryonnaires mais qui vont massivement se développer. La ville de Singapour, par exemple, possède déjà un excellent réseau routier. Elle continue à améliorer sa gestion du trafic en équipant ses taxis de capteurs permettant de mesurer l’état du trafic en collectant leur position et leur vitesse. Ces données sont traitées par un algorithme qui permet de détecter les embouteillages et les zones à forte densité de trafic. Ces informations sont ensuite utilisées par les pouvoirs publics pour leur planification et aussi, surtout, pour informer directement le public afin qu’il puisse mieux choisir son parcours, voire se reporter sur d’autres modes de transport. Ce type de système intelligent permet non seulement de mieux appréhender un problème complexe, mais aussi de rendre plus lisibles les politiques publiques favorisant les transports multimodaux croisant voitures, bus, métros, trams, taxis, vélos, piétons, etc.
Cet article a été publié dans «Affaires Publiques» N°3/2012, septembre 2012.