Le choix du lieu n’avait rien d’anodin. Quel autre lieu que le Campus Biotech se prêterait-il mieux pour symboliser la politique de coopération des hautes écoles suisses? Le Campus Biotech, dirigé par Benoît Dubuis, est un projet conjoint de mécènes, d’entrepreneurs, de hautes écoles et des autorités cantonales. Quelques années après la vente du groupe Serono à Merck, cette dernière a décidé de renoncer à exercer des activités opérationnelles sur l’ancien site de Serono. Rebondissant sur cette opportunité, les mécènes Hansjörg Wyss et Ernesto Bertarelli ont racheté le bâtiment, finalement mis à disposition pour créer le Campus Biotech, un vaste rassemblement de compétences, projets, laboratoires et entreprises réunis par le thème des neurosciences. Avec l’appui du canton de Genève, l’EPFL et l’Université de Genève ont commencé à y installer de nombreuses équipes de recherche. Le Campus accueillera entre autres les équipes actives en Suisse pour le projet Human Brain, ou encore le CISA – Centre interfacultaire en sciences affectives. L’institut récemment fondé du Wyss Center for Bio- and NeuroEngineering y prend également ses quartiers, rejoint par des entreprises privées spécialisées. Près de 600 personnes travaillent déjà sur le Campus Biotech, avant même son inauguration officielle agendée au 22 mai 2015.

Aebischer et Vassalli ont ensuite impressionné les participants par leurs connaissances et leur engagement sur le thème des coopérations des hautes écoles.

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Au niveau international, la Suisse est l’une des nations les mieux cotées du monde, avec cinq hautes écoles (EPF et Universités) classées parmi les 100 meilleures du monde. Un étudiant fréquentant une haute école suisse a donc près de 50 % de chances de poursuivre ses études dans une Top 100, alors que cette proportion est inférieure à 0,1 % dans tous les grands pays de la planète. Ce résultat exceptionnel est bien entendu largement dû à la forte ouverture des hautes écoles suisses envers l’international, qu’il s’agisse de professeurs, de doctorants ou d’étudiants. L’attraction et la rétention des meilleurs talents, d’où qu’ils viennent, est la condition indispensable du succès. Et la stimulation provoquée par la présence de personnalités de très haut niveau enseignant ou étudiant dans le pays rejaillit sur le niveau et les possibilités offertes aux résidents en Suisse eux-mêmes.

P1020859Le maintien de ce niveau d’excellence mondiale n’est pas une sinécure, ni un acquis. À court terme, l’inquiétude des deux orateurs est palpable quant aux conséquences négatives de l’initiative «contre l’immigration de masse», acceptée en votation populaire le 9 février 2014. Malgré quelques promesses de précampagne soutenant que la recherche ne serait pas affectée par l’initiative, le réveil fut brutal: dès le 10 février 2014, la Suisse était considérée comme «pays tiers», et non plus comme partenaire de plein droit, dans de très nombreux projets de recherche internationaux, notamment conjoints avec l’UE. Conséquence concrètes immédiates: gel des fonds et suspension des échanges. Après des mois de négociations, des accords temporaires avec l’UE ont permis de sauvegarder l’essentiel pour une période provisoire et temporaire, dans l’attente de la concrétisation définitive de l’initiative. Le danger de provincialisation plane donc sur la recherche dans les hautes écoles suisses: limiter excessivement le recrutement de professeurs ou étudiants étrangers, ou contraindre à la préférence nationale, aura pour conséquence immanquable la baisse du niveau de qualité de nos Écoles polytechniques et de nos Universités. «Imagine-t-on Roger Federer ne jouant qu’aux tournois de Gstaad ou de Bâle, privée de Grand Chelems?» demande rhétoriquement Patrick Aebischer.

Au niveau national, la coopération entre hautes écoles se traduit par une complicité forte entre elles, avec une touche de fédéralisme compétitif. Par exemple, l’autonomie dont disposent les deux Écoles polytechniques permet à celle de Lausanne (suivie de près par l’Université de Genève) de se lancer comme l’un des pionniers mondial des MOOCs (Massive Online Open Courses), alors que celle de Zurich y est réticente. La formule permet de tester un concept, sans imposer une décision centralisatrice. Les MOOCs sont des cours de niveau universitaire en ligne, réunissant plus de 10 000 étudiants (par cours!) à distance à travers le monde. La «marque» des hautes écoles est ainsi véhiculée et portée auprès d’un public infiniment plus large que son bassin d’étudiants «ordinaire», tout en autorisant des partenariats digitaux avec d’autres Universités. Et les progrès des MOOCs sont rapides en matière de technique pédagogique, scénarisation de l’éducation, techniques de correction par le réseau, contrôle des connaissances ou encore certification finale du cursus suivi en ligne.

Cela dit, la dépendance des Universités aux cantons de leur siège (alors que les EPF sont réglementées au niveau fédéral) – tant financièrement que politiquement – pourrait constituer une limite objective pour le futur. Combien d’Universités suisses pourront-elles maintenir un standard de niveau international dans les 10-20 prochaines années, notamment en matière de recherche? Internationalement, certains décrivent la masse critique de l’Université de pointe du futur (combinant la recherche et l’enseignement) par le triangle magique «10 000 étudiants – 500 labos – $ 1 milliard de budget». Ne se créera-t-il donc pas en Suisse une segmentation entre instituts complets, capables de soutenir et financer toutes ces activités au plus haut niveau, et «teaching colleges», «seulement» dédiés à la formation et à l’apprentissage au meilleur niveau?

En sus de la spectaculaire réalisation du Campus Biotech à Genève, tant l’EPFL que l’Univesité de Genève se distinguent également par leurs coopérations au niveau régional. La présence de l’EPFL dans d’autres cantons est déjà bien connue: Microcity à Neuchâtel (microtechnique); smart living lab au sein de BlueFactory à Fribourg; Energypolis, entre autres, en Valais. Le développement hors des frontières cantonales est plus récent pour l’Université de Genève, désormais active en Valais par l’installation du CIDE – Centre interfacultaire des droits de l’enfant, au sein de l’Institut Kurt-Boesch.

Le temps a manqué pour évoquer encore les partenariats entre hautes écoles et secteur privé, dont le Campus Biotech est une bonne illustration. La part de financement des cantons dans les Universités tendant à diminuer, celles-ci devront faire preuve d’imagination, tant dans leur offre d’enseignement et de recherche que dans leurs sources de financement alternatifs. Quant à l’EPFL, elle pratique depuis de nombreuses années d’efficaces partenariats avec le privé, par création de chaires sponsorisées ou financement de projets dédiés. Bien entendu, ces partenariats avec le secteur privé doivent reposer sur des règles claires et transparentes, garantissant notamment l’indépendance absolue des hautes écoles quant à la conduite de la recherche et les possibilités d’utilisation des résultats. La Suisse pourrait encore considérablement renforcer l’innovation et la recherche dans le pays en facilitant le financement privé de tâches de recherche ou d’enseignement dans les hautes écoles ; en comparaison des pays anglo-saxons notamment, le système d’ «endowment» (fourniture de capital aux hautes écoles, soit par l’État, soit par des privés tels que fondations spécialisées ou anciens élèves «alumni») est encore sous-développé.

En conclusion, un dialogue passionnant avec deux grands professionnels de la gestion des hautes écoles. Les participants ont pu mesurer la formidable contribution de ce secteur à la prospérité de la Suisse, y compris en matière économique, et partager en première main les préoccupations actuelles de ceux qui souhaitent que ce succès soit durable.