Elisabeth Feller

En fait, il aurait préféré avoir un fils. C’est du moins ce que glisse de temps en temps Adolf Feller, entrepreneur dans l’électronique à Horgen (ZH), à sa femme. Pourtant, il prépare consciencieusement sa fille Elisabeth à reprendre son entreprise.

Celle-ci a une belle enfance: elle apprend à faire de l’équitation, fait de la randonnée dans les montagnes et du ski avec son père, qu’elle accompagne aussi pendant des croisières et des voyages culturels de plusieurs semaines. Après des études de géographie et de géologie à l’Université de Zurich, elle enchaîne avec deux semestres à la London School of Economics. A son retour, lorsqu’elle rejoint ses parents à Paris, son père meurt subitement d’un infarctus. C’est donc pratiquement d’un jour à l’autre que la jeune étudiante reprend la direction de l’entreprise Feller.

À la tête de l’entreprise, elle se voit surtout comme représentante de la famille. Comme son père déjà, elle manque de connaissances techniques, et cela lui importe peu: «Je ne crois pas que le savoir spécialisé soit décisif pour la direction d’une entreprise. On peut embaucher du personnel spécialisé à cet effet. Ce qui est décisif, par contre, c’est le climat que l’on crée, les relations humaines, savoir susciter et prodiguer la confiance, choisir les bons collaborateurs et les suivre, déléguer la responsabilité.»

Ses employés la perçoivent comme «la mère de l’entreprise», autoritaire mais juste. Elle est respectée pour sa rigueur. Bien avant ses concurrents, son entreprise a sa propre caisse de pension et une cantine, et investit dans des programmes locaux de construction de logements. En outre, pour mieux intégrer les «travailleurs étrangers» italiens, comme on les appelait à l’époque, l’entreprise leur offre des cours d’allemand, et des cours d’italien pour les employés suisses.

Bien que cela puisse paraître évident, il ne va pas de soi qu’Elisabeth Feller lutte pour ses convictions. Elle s’engage pour le droit de vote des femmes, et demande au sein de l’Union patronale le même salaire pour les hommes et les femmes – sans succès. En 1959, c’est elle qui devient la première présidente non anglophone de l’International Federation of Business and Professional Women. Cette nouvelle fonction lui permet de découvrir le travail des organisations internationales, et d’effectuer de longs voyages d’affaires.

Souvent, elle fait des donations pour des causes sociales et demande parfois le soutien de son personnel par l’intermédiaire du journal de l’entreprise: pour une école de filles palestiniennes à Ramallah, l’Hôpital Albert Schweitzer à Lambaréné ou encore le Village Pestalozzi à Trogen (AR). La crèche de Berghalden, fondée en coopération avec l’Institut Marie Meierhofer et qui devient une des plus grandes institutions pour enfants de la région, est née de son initiative.

En 1970, l’entrepreneuse accueille 37 réfugiés du Tibet à Horgen et leur offre du travail dans son usine. Par contre, elle ne vivra pas la visite que rend le Dalaï-Lama en personne à son entreprise en 1974. Elle meurt l’année précédente, aussi subitement que son père.

L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne fera l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse, les Editions Slatkine et Le Temps. A précommander ici