Bien qu’elle leur ait accordé (trop) tardivement le droit de vote, la Suisse a été l’un des premiers et rares pays à être gouverné par une majorité de femmes. Tôt ou tard, la participation des deux sexes au marché du travail sera équivalente. Dans quelques domaines – à commencer par l’éducation – la domination des femmes est aujourd’hui évidente. Elles occupent aussi des positions clés dans l’art, la culture et les médias. En revanche, leur présence à la tête des entreprises reste clairsemée, une pénurie que rien ne permet d’expliquer de manière concluante. Les arguments évoluent entre deux extrêmes: pour certains, on ne laisse pas les femmes accéder au pouvoir; pour d’autres, ce sont elles qui ne veulent pas.
Les hautes sphères des sociétés multinationales restent un bastion masculin. À première vue, la statistique semble pourtant le démentir. Selon l’Enquête suisse sur la population active, la proportion de femmes dans les directions d’entreprises atteignait 30 % en 2013. Autrement dit, 4,2 % des salariées occupaient des positions dirigeantes. Chez les hommes, la proportion était de 8,4 %. Cependant, ces chiffres donnent une image déformée de la situation. En fait, ils englobent également les employés qui assument des fonctions dirigeantes, mais ne font pas partie de la direction de l’entreprise, une situation fréquente dans les PME. D’autres sources situent à 10 % la part des femmes dans les instances dirigeantes des grandes sociétés. Schématiquement, plus le niveau hiérarchique est élevé, plus la part des femmes est faible. C’est d’autant plus étonnant que ces dernières ont depuis longtemps dépassé les hommes sur le plan de la formation, du moins en nombre de diplômes décernés. Les femmes représentent près de 60 % des bacheliers. Elles sont nettement plus nombreuses à entrer dans les universités et les hautes écoles spécialisées, et rattrapent également leur retard dans la formation professionnelle supérieure. Malgré tout, elles restent rares à la tête des entreprises.
La discrimination ouverte appartient au passé
La discrimination directe des femmes à l’embauche ou lors de nominations internes n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Au contraire, les grandes entreprises cherchent depuis longtemps et de manière intensive à accroître leur personnel dirigeant féminin. Cependant, les programmes de promotion des femmes ont donné jusqu’ici des résultats plutôt maigres. Cela soulève la question du «plafond de verre». On entend par là le fait que les femmes parviennent rarement à se hisser au-dessus du statut de cadre inférieur ou moyen. Cela s’expliquerait par l’existence de stéréotypes et de préjugés sur leur capacité de commandement, mais aussi par d’autres inconvénients, comme leur absence de réseaux ou une culture d’entreprise conçue pour les hommes. Les mécanismes de sélection en font partie. De toute évidence, les femmes ressentent une aversion pour le système des «tournois», autrement dit les concours qui opposent des contractants en quête d’avancement. On peut d’ailleurs se demander pourquoi la compétition pour attirer de rares talents et la pression de la concurrence sur le marché n’ont pas fait disparaître ou au moins assoupli de telles structures. Les entreprises pourraient renforcer leur position – notamment en matière de coûts – si elles misaient sur des dirigeantes qualifiées. Cela aussi ne fait aucun doute: la part non justifiée des disparités salariales entre les sexes est plus faible dans les pays où la concurrence est forte.
Le choix des études est-il en cause?
Malgré la progression des femmes en matière de formation, le choix des filières d’études repose toujours sur des modèles sexués. Au sein des universités et des hautes écoles spécialisées, les femmes sont fortement surreprésentées dans les sciences humaines et sociales ainsi que dans les professions de la santé. Leur domination est évidente dans les hautes écoles pédagogiques. Toutes ces branches conduisent plutôt vers des carrières spécialisées, et non vers des fonctions dirigeantes. Les femmes acquièrent donc peut-être des qualifications qui ne leur permettent pas d’accéder à de hautes responsabilités. Cette thèse est toutefois contredite par la majorité de femmes dans les études de droit, une discipline considérée comme un tremplin de carrière.
Et si, au fond, elles ne voulaient pas?
Souvent, cette question est jugée politiquement incorrecte, ce qui empêche une discussion ouverte. Il est parfaitement légitime que les préférences et les projets de vie varient d’une personne à l’autre. Peut-être que de nombreuses femmes compétentes ne sont pas prêtes à consacrer une grande partie de leur temps et de leur énergie à une carrière professionnelle. Il faut noter également que de telles différences n’apparaissent pas seulement entre les genres, mais également en leur sein. Enfin, on ne peut pas séparer les préférences spécifiques au sexe et les rapports sociaux qui les produisent.
Cet article est paru dans «La Vie économique» (06/2014).