Comparé aux autres pays, la Suisse bénéficie d’une très forte densité d’hôpitaux, avec environ 180 hôpitaux de soins aigus et 100 cliniques psychiatriques et de réadaptation dans tout le pays. En comparaison, la ville de Londres, qui compte 8,5 millions d’habitants – soit à peu près autant que l’ensemble de la Suisse – ne dispose que de 39 hôpitaux de soins aigus. Bien sûr, le niveau de prestations des hôpitaux londoniens est difficilement comparable à celui dans notre pays et les distances dans la capitale britannique sont plus courtes. Mais en matière d’accessibilité, la population suisse ne peut pas se plaindre : 99,8% de la population peut se rendre en voiture dans un hôpital de soins généraux en 30 minutes (voir figure), et les trois quarts de la population peuvent choisir entre huit hôpitaux différents.

Le secteur hospitalier sous pression

Mais les nombreux hôpitaux suisses sont sous pression. Le progrès technique nécessite des équipements toujours plus chers, ce qui implique des investissements coûteux. De plus, les séjours à l’hôpital se raccourcissent grâce aux avancées technologiques. En outre, des pressions politiques s’exercent pour que davantage de traitements soient effectués en ambulatoire, c’est-à-dire sans nuit d’hospitalisation. C’est une bonne chose pour les patients, mais avec des séjours plus courts, les hôpitaux ont besoin de moins de lits et des surcapacités apparaissent.

Une défaillance de l’Etat plutôt que du marché

Le financement des hôpitaux a été profondément modifié en 2012 avec l’introduction de SwissDRG et des forfaits par cas. Ainsi, l’argent suit le patient et les hôpitaux ne sont plus directement subventionnés, ce qui a entraîné une concurrence accrue. Par conséquent, un ajustement structurel est inévitable. Les hôpitaux doivent soit mieux coopérer entre eux, soit devenir plus efficaces par le biais de fusions ou de spécialisations.

Plutôt que ces consolidations, la volonté est plutôt à la préservation des structures. De nombreux cantons tentent de protéger leurs hôpitaux de la concurrence en finançant des investissements (trop) coûteux à coups de milliards en tant que propriétaires ou en faussant la concurrence au moyen de subventions (dites prestations d’intérêt général, particulièrement développées dans les cantons romands), de quotas ou de restrictions tarifaires qui réduisent les possibilités de traitements en dehors du canton. Ainsi, les cantons de Fribourg, de Neuchâtel et du Valais en Suisse romande, ainsi que le canton d’Argovie outre Sarine ne reconnaissent que les tarifs hospitaliers les plus bas de leur territoire pour des interventions effectuées en dehors du canton.

Ces interventions sont souvent présentées comme des mesures visant à réduire une soi-disant défaillance du marché. Mais ce faisant, on accepte politiquement une défaillance de l’Etat. Dans le canton de Neuchâtel (fusion des hôpitaux de la Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel), mais aussi dans les cantons de Zurich, Bâle-Ville et Bâle-Campagne, par exemple, des projets de restructuration ou de fusion qui auraient été importants et corrects d’un point de vue entrepreneurial ont été rejetés en votation populaire au cours de ces dernières années.

Des centres avec des satellites comme solution privilégiée

Il est difficile de se protéger contre la défaillance de l’Etat. En tant que payeurs de primes, les citoyens aimeraient avoir moins d’hôpitaux, car cela freinerait l’augmentation des coûts de la santé. Mais en tant que malades, ils aimeraient avoir un hôpital à proximité. Ce dilemme ne peut être résolu tant que proximité est assimilée à «qualité». Or, pour les opérations les plus complexes, les gens devraient être prêts à se rendre dans un hôpital un peu plus éloigné, où les chirurgiens et leurs équipes effectuent non quelques dizaines, mais bien des centaines d’opérations du même type chaque année.

Il est par contre important de garder un service d’urgence à proximité, pour que les patients puissent être rapidement stabilisés en cas d’accident ou d’insuffisance cardiaque. Ils peuvent ensuite être transférés dans un centre spécialisé ou rentrer chez eux avec l’aide des services de soins à domicile.

Le projet de concentration des hôpitaux neuchâtelois, rejeté par le peuple en février 2017, suivait cette logique. Le projet actuellement en discussion dans le canton de Saint-Gall, qui vise à recentrer sur quatre sites (au lieu de neuf) les activités hospitalières stationnaires, avec le maintien sur les cinq sites restant de services d’urgences, va dans le même sens et doit être soutenu.

C’est avant tout une question de qualité, et non de coûts

Les discussions publiques à Neuchâtel ou Saint-Gall illustrent le même malaise. Alors que le nombre de cas dans les hôpitaux périphériques suisses diminue, il devient de plus en plus difficile de maintenir la qualité. Lorsqu’une telle nouvelle se répand, encore moins de patients choisissent les hôpitaux concernés, et une dangereuse et coûteuse spirale descendante s’amorce.

Cela rend également le recrutement de personnel qualifié encore plus difficile. En raison de la pénurie prononcée de personnel qualifié, les médecins et les infirmières peuvent choisir leur lieu de travail selon leurs préférences. Réaliser une étape de sa carrière dans une institution où le nombre de cas est faible implique une période de formation plus longue jusqu’à ce que le nombre nécessaire de procédures puisse être effectué – par exemple pour obtenir un titre FMH. De même, personne ne veut d’un poste dans un hôpital avec une qualité inférieure à la moyenne dans son CV.

Une stratégie hospitalière tournée vers l’avenir tient donc compte de cette évolution du marché du travail. Concentrer les hôpitaux spécialisés sur quelques sites tout en maintenant des centres d’urgence décentralisés est donc moins une question financière qu’une nécessité afin d’assurer la qualité et donc l’accès à un personnel qualifié.

Le désir de nombreux citoyens de disposer d’un hôpital spécialisé à proximité immédiate, même en périphérie, est compréhensible. Mais la lutte pour recruter des spécialistes ramènera rapidement la population sur terre. Ne rien faire, le statu quo, n’est pas une solution durable. Plus la double stratégie actuellement poursuivie par le canton de Saint-Gall – des centres spécialisés avec des satellites d’urgence décentralisés – sera mise en œuvre rapidement et de manière proactive, plus les chances d’avoir des soins de qualité, abordables et proches du citoyen seront grandes.

Cet article a été publié dans le numéro de février 2020 du magazine IHK Facts de la Chambre de commerce et d’industrie de Saint-Gall et d’Appenzell.