Gertrud Lutz-Fankhauser

Le canton de Berne, dont elle est originaire, lui est trop étroit. Elle doit absolument partir. En 1930, âgée d’à peine 18 ans et son diplôme de l’école de commerce en poche, Gertrud Fankhauser, fille de fromager, émigre aux Etats-Unis. Au Consulat suisse en Louisiane, elle trouve non seulement un emploi, mais aussi un mari, le diplomate Carl Lutz. C’est une association de deux personnes qui préfèrent entreprendre que parler ou détourner le regard. Carl et Gertrud Lutz-Fankhauser auraient sauvé la vie de 62’000 juifs à Budapest au cours des dernières années de la guerre. L’historienne et biographe Helena Kanyar Becker est convaincue que Carl n’y serait jamais parvenu sans sa femme.

Le consul Lutz et ses collaborateurs émettent des lettres de protection pour des milliers de Juifs et les sauvent ainsi de la déportation vers les camps d’extermination. La cave de la délégation suisse leur sert de cachette. Gertrud Lutz leur apporte de la nourriture, leur fait la cuisine, soigne les malades. Carl Lutz, photographe amateur, immortalise le moment où les réfugiés quittent enfin la cave. Sur la photo on voit aussi la Hongroise Magda Grausz, pour qui Carl Lutz quitte son épouse peu après.

Après le divorce, l’infatigable Gertrud peut prouver qu’elle n’est pas uniquement «la femme à ses côtés». Elle poursuit sa mission humanitaire sans relâche et avec beaucoup de courage. Elle s’engage pour l’organisation d’entraide Don Suisse, travaille en Yougoslavie, en Finlande et en Pologne et rejoint ensuite le Fonds des Nations Unies pour l’enfance UNICEF. A partir de 1951, elle s’occupe de programmes d’alimentation dans la région pauvre du nord-est du Brésil et établit des foyers pour jeunes mères. Lorsqu’elle part pour la Turquie 13 ans plus tard, le ‘Brazil Herald’ écrit: «L’ange s’envole pour la Turquie.» Gertrud Lutz termine sa carrière professionnelle en qualité de vice-présidente de l’Unicef à Paris.

Mais son engagement n’en prend pas fin pour autant. Elle fait le tour du monde pour donner des conférences et en 1972 devient la première conseillère municipale de Zollikofen, dans le canton de Berne, en tant que représentante de l’UDC. Elle est souvent la seule femme dans des comités d’hommes. Mais cela ne la dérange pas. De façon générale, elle n’a rien à faire des réflexions « par classes ». «Seul le caractère compte», écrit-elle. Gertrud Lutz se voit décerner, comme son ex-mari, la distinction de «Juste parmi les nations» du mémorial de l’holocauste Yad Vashem et est nommée citoyenne d’honneur de plusieurs Etats brésiliens ainsi que membre d’honneur de l’UNICEF. Le 29 juin 1995, elle décède à Zoug d’une crise cardiaque. Elle était justement en route pour Zurich afin de donner une interview télévisée à propos de Carl Lutz.

L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne fera l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse, les Editions Slatkine et Le Temps. A précommander ici