Isabelle Eberhardt

Isabelle Eberhardt

La première image qui surgit, à voir la vie d’Isabelle Eberhardt, née à Genève en 1877, est celle d’un Rimbaud au féminin. Certes, elle n’est pas poète, journaliste plutôt, mais ses phrases s’envolent avec lyrisme et elle partage, avec l’auteur des Illuminations, la passion de l’écriture. Comme celui qui inventa la mer dans «Le Bateau ivre» sans l’avoir jamais vue, Isabelle Eberhardt est fascinée par les lointains: en 1895, – à 17 ans – elle écrit un texte intitulé Vision du Maghreb, où elle évoque l’Algérie sans avoir jamais passé la Méditerranée. Comme Rimbaud, Isabelle Eberhardt possède un imaginaire puissant, un goût pour l’absolu, les terres brûlées de soleil, l’aventure; un anticonformisme radical qui scandalise, et surtout, un amour sans concession pour la liberté. Elle est femme mais joue sans cesse de son identité, empruntant habits et pseudonymes aux hommes, se sentant, partout et toujours, leur égale. Parmi ses premiers biographes, certains ont été si frappés par les points communs avec Rimbaud – dont le père, Frédéric participa d’ailleurs, en militaire, à la conquête de l’Algérie – qu’ils firent d’Isabelle, une fille secrète d’Arthur.

Née dans le quartier des Grottes à Genève où une rue porte son nom, c’est en Russie qu’Isabelle Eberhardt a ses racines. Sa mère, née Eberhardt, a épousé un général russe resté en Russie. Son père n’est pas Rimbaud, mais il n’est pas très certain non plus: il aurait été le précepteur, russe, savant et socialiste, des enfants du général de Moerder et de sa femme. D’où ce nom de jeune fille qui échoit à Isabelle.

L’Algérie s’invite dans l’imaginaire de cette famille peu fortunée, proche des milieux russes, arméniens et turcs de Genève, par le biais des frères qui s’engagent l’un après l’autre dans la Légion. Nicolas part en premier, puis Augustin, le frère bien-aimé né cinq ans avant Isabelle, s’embarque pour l’Algérie en 1888. Isabelle étudie l’arabe, le turc, commence à écrire, correspond avec un officier français en Algérie. En 1897, elle passe enfin la Méditerranée avec sa mère et s’installe à Bône (Annaba). Elle se convertit à l’Islam et prend le prénom de Mahmoud, nom masculin qu’elle adoptera pour voyager.

C’est le début d’une vie «dans l’ombre chaude de l’islam» (pour reprendre le titre d’un de ses textes), un islam de marabouts, de confréries soufies, un islam populaire auquel elle s’attache en découvrant l’Algérie et ses peuples. Elle voyage donc, et tente de vivre de ses écrits. Vêtue comme les hommes du lieu, elle part et repart sans cesse, en train, à cheval, à dos d’âne, de mule, de chameau, vers le désert algérien. Ni ses démêlés avec l’administration française qui se scandalise de sa conduite et tente de l’expulser, ni son amour et son mariage avec un Spahi musulman, Slimène Ehnni, ni la pauvreté qui la pousse lors d’un séjour à Marseille à se faire docker, ni même l’agression dont elle est victime, ne lui feront renoncer à sillonner l’Algérie dès qu’elle le peut. En 1902, enfin, un journal, l’Akhbar dirigé par Victor Barrucand, – qui, plus tard, recueillera et éditera ses textes – réalise son rêve et la nomme envoyée spéciale. C’est en journaliste, belle plume et fine observatrice, qu’elle repart vers le pays des sables.

En octobre 1904, alors qu’elle se remet d’un accès de malaria à Aïn Sefra, le brusque débordement d’un oued envahit la ville basse où elle séjourne avec son mari. Elle meurt, à 27 ans, écrasée par les pierres et la boue. Comme Rimbaud, elle disparaît tôt, non sans avoir indiqué une voie d’écriture, de liberté et de vagabondage aux femmes qui la suivront, comme Ella Maillard ou Annemarie Schwarzenbach.

L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne fera l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse, les Editions Slatkine et Le Temps. A précommander ici