Au Mont-Pèlerin, Dieter Freiburghaus, professeur émérite de l’IDHEAP, a choisi faire le portrait de son père, représentant de la classe moyenne classique en Suisse («bürgerlicher Mittelstand») – qui n’existe plus.

Si la classe moyenne ne se porte pas trop mal aujourd’hui, le risque de la voir réduite et même être considérée comme une classe inférieure après redistribution, ne saurait être exclu. Dans cette perspective, le déclin du statut des petits indépendants, à la tête de petites entreprises se révèle être un élément important.

Rien à voir avec la Suisse d’après-guerre où, par exemple, un indépendant, exerçant la profession de quincailler, propriétaire d’un magasin dans une bourgade de 1200 âmes proche de Berne, était par son seul choix professionnel déjà, amené à faire preuve d’un grand esprit d’indépendance. Il était assez ouvert d’esprit pour l’époque. Ainsi n’avait-il pas hésité à confier son magasin à son fils, âgé de 17 ans, le temps de faire un tour en Japon et en Chine avec sa femme. Officier à l’armée, il avait toutefois renoncé à une carrière militaire. Dans le même ordre d’idée, il avait refusé de s’associer à un architecte de la région pour diriger une entreprise de construction ou de prendre des responsabilités politiques, bien que membre actif du parti radical. Il recevait bien les clients dans son magasin tant que ceux-ci restaient décents.

Il se tenait au courant, au fait de la politique mondiale, en fidèle auditeur de la radio. Un acte élémentaire relevant de la formation à la culture politique de l’époque. Cumuler la fonction de responsable des pompiers de sa cité et de chef de section militaire allait tout autant de soi. La nécessité de l’engagement personnel ne faisait pas de doute pour cet honorable citoyen qui manifestait un franc scepticisme envers l’État.

Aujourd’hui, il est devenu rare de trouver de tels petits indépendants hautement engagés, au point de devoir les chercher à la loupe! Ce changement à l’intérieur de la classe moyenne est devenu irréversible. L’entrepreneur doit consacrer toute son énergie à ses affaires et à l’innovation. Le salarié a lui tendance à défendre le statuquo et à se montrer conservateur.

À l’époque, le petit indépendant comme le rappelle l’histoire de ce quincailler était un libéral. Aujourd’hui on relève un éloignement de cet engagement de la part de tels milieux, souvent aussi victimes d’un certain dénigrement. L’idéal libéral de la défense de la liberté et du scepticisme envers l’État n’est plus très présent dans le peuple. C’est le problème rencontré par l’actuel Parti libéral-radical: le libéralisme devrait être un pôle et pas une voie médiane. Le système de milice souffre de cette carence. Le quincailler, tout en travaillant continuellement, s’est toujours engagé en faveur de l’école, des radicaux et des pompiers. Dans le même ordre d’idée, les administrations publiques sont de plus en plus professionnelles, conduisant à un éloignement de l’État de ses citoyens.