Notre système de santé compte parmi les plus chers du monde, mais l’offre à disposition est aussi une des plus denses. 99,8% des habitants de la Suisse avaient en 2013 un hôpital de soins généraux à moins de trente minutes de voiture de chez eux. Trois quarts d’entre eux pouvaient se rendre dans le même laps de temps dans huit hôpitaux à choix au moins. En Suisse romande, seuls 70 km séparent l’hôpital universitaire de Genève (HUG) de celui du canton de Vaud (CHUV). L’hôpital universitaire bernois de l’Île n’est, lui, qu’à 100 km de Lausanne.

Une concurrence accrue

Ces nombreux hôpitaux sont toutefois sous pression. Grâce au progrès de la médecine, des interventions autrefois lourdes et nécessitant une longue convalescence peuvent s’effectuer aujourd’hui de façon bien moins invasive. Les séjours à l’hôpital sont plus courts, ce qui est positif pour les patients, mais le nombre de lits nécessaires moindre, créant ainsi des surcapacités dans les hôpitaux.

En raison des progrès de la médecine et du nombre croissant d’opérations ambulatoires, les hôpitaux souffrent de surcapacités en lits. (Martha Dominguez de-Gouveia, unsplash)

A cette tendance technologique s’ajoute une pression politique. Le nouveau financement hospitalier fédéral introduit en 2012 a renforcé la concurrence. Aujourd’hui, même un patient n’ayant qu’une assurance maladie de base peut choisir librement entre clinique privée, hôpital public régional ou universitaire. De plus, suite à une décision de l’Office fédéral de la santé publique, certaines opérations doivent être effectuées dès 2019 sans nuit passée à l’hôpital. Ce virage ambulatoire forcé plombe les finances des hôpitaux – les opérations ambulatoires étant moins bien rémunérées que celles avec nuitée – et renforce les surcapacités en lits. De plus, puisque dormir sur place n’est plus nécessaire, les hôpitaux (publics ou privés) font face à une nouvelle concurrence : celle des médecins établis en cabinets en dehors des centres hospitaliers.

Une approche pluridisciplinaire et indépendante

Les dirigeants des hôpitaux doivent ainsi relever des défis complexes, demandant des expertises variées. En plus des dimensions purement médicales, les organes dirigeants doivent parfaitement comprendre tant les enjeux de la branche en Suisse que la situation de concurrence régionale. A terme, une concentration des forces sera nécessaire. Quelles interventions doivent être garanties sur site et lesquelles organisées en coopération avec d’autres institutions ? Quelle politique du personnel et quels investissements doivent accompagner ces transformations ?

Ces décisions classiques de stratégies d’entreprise doivent toutefois être prises dans un contexte surpolitisé. Les échecs aux urnes des projets hospitaliers dans le canton de Neuchâtel en 2017 ou de la fusion entre l’hôpital universitaire de Bâle-Ville et de l’hôpital cantonal de Bâle-Campagne en février dernier l’ont parfaitement illustré. Une gouvernance d’entreprise forte et transparente, garantissant une indépendance du politique et une approche pluridisciplinaire est donc essentielle.

Certaines formes juridiques tendent à mieux garantir cet objectif. Ainsi, les sociétés anonymes (avec ou sans but lucratif), les hôpitaux organisés sous forme de fondation (comme celui de l’Île à Berne), ou les sociétés de droit public dotées d’une personnalité juridique indépendante sont à saluer. Par contre, les hôpitaux qui font partie intégrante de l’administration publique disposent de peu d’autonomie et sont soumis aux aléas de la politique locale. En Suisse, cette forme juridique a quasiment disparu. Sur près de 170 hôpitaux de soins aigus, il n’existe plus que trois «dinosaures» qui l’ont gardé. Il s’agit de l’hôpital de la ville de Zurich, de l’hôpital cantonal d’Obwald, et du CHUV.

Ainsi, le CHUV n’a pas de conseil d’administration. Son directeur est directement subordonné au-à la Conseiller-ère d’Etat en charge de la santé. Certes, un tel conseil à lui seul ne suffit pas pour garantir le succès d’une institution. D’ailleurs, le CHUV a récemment été mis à l’honneur pour ses capacités médicales et de recherche par le magazine américain Newsweek qui l’a classé parmi les dix meilleurs établissements au monde. Cette performance remarquable est le fruit des efforts de ses onze mille collaborateurs et de ses dirigeants,

Mais la présence d’un tel conseil ne serait pas un obstacle non plus. Presque tous les autres hôpitaux primés par Newsweek ont un organe de surveillance stratégique (conseil d’administration ou de fondation) rassemblant dix membres ou plus. Au vu des défis prévalant dans le monde hospitalier suisse, la taille gigantesque du CHUV (plus de 1,7 milliards de francs de chiffre d’affaires), la conduite d’un tel superpétrolier de la santé doit s’appuyer sur l’intelligence conjointe d’experts médicaux, financiers et de politique sanitaire qui tiennent ensemble la barre de l’institution. A terme, l’avenir du CHUV ne peut plus dépendre de la bienveillance que d’un seul ou d’une seule capitaine.

Cet article est paru dans «Le Temps» le 6 mai 2019.