«Influences cachées, intérêts croisés, accès privilégié» : le sous-titre d’un rapport rédigé par l’ONG Transparency International sur la représentation des intérêts dans le monde politique suisse résume bien le scepticisme généralisé dans notre pays à l’égard du lobbyisme et des supposés lobbyistes. C’est particulièrement marqué lorsque ces mêmes lobbyistes sont payés par le monde économique.

Les entreprises sont accusées d’essayer systématiquement d’influencer la population, et ce de façon abusive. Selon le rapport mentionné plus haut, elles investiraient des «ressources financières considérables» afin d’exercer une influence, et ce sur le système de démocratie directe lui-même. Aucune votation ne se déroule sans que le camp des perdants ne mentionne cette idée reçue.

Il est cependant rare de trouver des données précises sur le financement de la politique par l’économie. Jusqu’à présent, notre pays a toujours accordé une très grande importance à la vie privée des donateurs, ce qui a permis une plus grande souplesse sur les règles de divulgation des financements des partis par rapport à d’autres pays européens ou aux Etats-Unis.

Peu de preuves de financements généreux des politiques par les entreprises. (Alexander Naglestad, Unsplash)

Les données, même si elles sont limitées, nous permettent tout de même de tirer certaines conclusions sur l’ampleur réelle de ces activités. En 2017 par exemple, une enquête menée par l’association Actares a montré que les entreprises suisses cotées en bourse ont versé un total de 5,5 millions de francs à des partis politiques, à des candidats ou à des campagnes politiques.

À première vue, cette somme semble considérable. Cependant, mise en perspective face aux autres budgets publicitaires des entreprises, elle n’est pas si élevée. En effet, rien que la Migros et la Coop, avec leurs budgets de 250 millions de francs chacune, dépensent beaucoup plus pour la publicité. Au total, les dépenses publicitaires des entreprises suisses s’élèvent à 5 milliards de francs par an.

Même si nous ne connaissons pas le montant exact des sommes allouées par l’économie au lobbyisme et aux campagnes politiques, nous pouvons affirmer avec certitude que ces budgets ne représentent qu’une fraction des dépenses publicitaires totales. Et ce, bien que la loi suisse permette déjà de dépenser des fonds presque illimités pour le lobbyisme sans exiger une obligation de documentation.

En résumé : si les entreprises exerçaient réellement une influence considérable sur la politique suisse, comment expliquer qu’elles ne dépensent que quelques millions de francs pour le lobbyisme ? Peut-être parce que – contrairement aux idées reçues – l’économie n’exerce pas de contrôle sur la politique. Les entreprises, en effet, trouvent plus efficace et intéressant d’investir leurs ressources et leur temps pour convaincre les consommateurs et les clients, plutôt que les hommes et femmes politiques.

Ce texte a été lu le 28 septembre 2020 dans l’émission de radio «Pusvalore» sur la RSI.