RKZ: M. Adler, vous avez publié à la demande d’Avenir Suisse un ouvrage proposant des mesures destinées à améliorer les conditions-cadres de l’engagement de milice en Suisse. Pour quelles raisons une organisation économique s’intéresse-t-elle à semblable sujet?
Tibère Adler: Le «système de milice» à la suisse consiste en l’engagement des citoyens dans la société, que ce soit au sein de l’armée, du monde de la politique, des Eglises ou d’associations. Cette participation à la vie de la collectivité est particulièrement développée chez nous où elle constitue un pilier de notre identité nationale aussi important que la démocratie directe ou le fédéralisme. Cet esprit citoyen représente aussi une sorte d’«avantage compétitif» par rapport à d’autre pays, un ancrage identitaire et une forme de «civilité sociale» qu’il faut encourager et préserver. Voici pourquoi Avenir Suisse, qui se définit comme un «think tank for economic and social issues», s’est intéressée au sujet. Notre fondation ne se limite donc pas au domaine économique.
Avenir Suisse soumet au débat public l’idée d’introduire un «service citoyen» en tant que mesure possible pour renforcer le système de milice. En quoi consisterait ce service? Est-il concevable qu’il revête la forme d’un engagement milicien au sein d’une Eglise reconnue?
Le service citoyen universel représenterait une nouvelle obligation de servir, dans un esprit de renforcement des liens avec la communauté que constitue la Suisse. Dans cette conception, tous les citoyens – hommes, femmes, Suisses ou étrangers résidents – devraient vouer une partie de leur temps (par exemple 200 jours, à répartir sur une durée à définir) à des activités faisant sens pour la collectivité. Bien entendu, le service citoyen pourrait se concrétiser dans les secteurs «traditionnels» comme l’armée ou le service civil, mais également dans d’autres domaines tels l’engagement dans une Eglise (reconnue) ou au sein d’une autorité politique communale.
Lors de la rencontre organisée par la Conférence centrale sur le système de milice, vous avez non seulement prononcé un exposé mais encore pu évaluer la manière dont les personnes actives dans l’Eglise considèrent ce type d’activité. Si vous faites la comparaison avec des débats tenus dans d’autres milieux, notamment au sein de cercles politiques ou économiques, avez-vous constaté des différences d’accents ou de problématiques?
Ce qui m’a frappé, c’est que les problèmes engendrés par le manque d’engagement milicien se présentent pour l’Eglise exactement dans les mêmes termes que pour les autres secteurs, qu’il s’agisse de politique, de communes ou d’associations. Les problèmes évoqués sont semblables (manque de temps, dispersion des lieux de domicile et de travail, conciliation entre vie privée et vie professionnelle). Les dimensions structurelles, institutionnelles ou formelles rebutent partout, surtout les jeunes. Pourquoi faire partie d’un comité avec des séances physiques interminables alors qu’il est si simple et rapide de créer un groupe Facebook?
En matière d’engagement milicien, nourrissez-vous des attentes à l’égard des Eglises? A vos yeux, quelle pourrait être leur contribution spécifique au renforcement du système de milice dans notre pays?
Les Eglises sont susceptibles d’être des moteurs de l’esprit de milice en Suisse, au-delà de leur mission de base. Elles peuvent être peu attrayantes pour de nouveaux miliciens si elles ont pour seul but leurs propres activités religieuses, limitées à leurs fidèles. A contrario, en s’engageant dans des activités visant le bien commun et dépourvues de connotation religieuse, les Eglises jouissent d’une présomption de crédibilité et de sérieux qui peut se révéler très stimulante. Ce paradoxe (les Eglises comme moteurs d’activités de milice à caractère non religieux) n’est qu’apparent. L’engagement de milice est un cercle vertueux: plus il est pratiqué, plus nombreux sont les miliciens et plus les activités de milice vont fleurir.
Si vous deviez proposer aux responsables ecclésiaux trois mesures concrètes pour promouvoir l’engagement milicien au sein des Eglises, quelles seraient-elles?
Je ferais trois recommandations:
- Favoriser le mode «projet»: les tâches de milice qui nécessitent un engagement institutionnel sont moins attrayantes et réservées à des personnes douées de compétences particulières. Le mode «projet» est plus accessible aux miliciens. Les Eglises doivent apprendre à gérer de nombreux projets, constamment renouvelés, plutôt que favoriser des structures apparemment immuables.
- Eviter le formalisme: la bureaucratie, même bien intentionnée, décourage l’esprit de milice.
- Mettre en avant la dimension de contribution au bien commun de l’engagement de milice, en évitant le prosélytisme religieux: la foi est une affaire privée. Les Eglises sont crédibles pour stimuler de nombreux miliciens potentiels qui ne sont pas forcément croyants ou pratiquants.
Cette interview est parue sur le site web de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ). Avec l'aimable autorisation de la rédaction.