Lise Girardin_C_DR

Quand elle s’est éteinte le 16 octobre 2010, à 89 ans, les hommages ont été unanimes, à gauche comme à droite. Pourtant, elle avait quitté la vie politique depuis plus de vingt ans. Mais on n’oublie pas les pionnières. La genevoise Lise Girardin l’aura été sans en tirer vanité. Elle savait qu’elle allait dans le sens de l’histoire, qu’elle était une ouvreuse, comme on le dit de ces skieurs qui testent la piste pour faciliter la course des suivants.

C’est un des plus savoureux paradoxes de l’histoire suisse. En 1968, les femmes n’ont pas encore le droit de vote et d’éligibilité, mais Genève – qui l’a octroyé pour le canton en 1960 – a déjà sa «Madame le maire», Lise Girardin. Elue au Conseil administratif de la ville de Genève (1967-1979), à la charge de la culture et des beaux-Arts, elle le sera même à trois reprises. C’est la première femme à occuper une telle fonction en Suisse. Bien sûr, au début, le ton est plutôt goguenard. L’époque parle encore de «sexe faible», de «beau sexe» et de «politique en jupon », tandis que la presse s’interroge sur la manière dont elle portera l’écharpe officielle, nouée, ornementée ou frangée, quand elle devra célébrer un mariage.

Mais cette pionnière en tout – elle fut aussi la première femme juge assesseur suppléant à la Chambre d’accusation et au Tribunal de police en 59, première à être à être élue au Grand Conseil en 61, puis au Conseil des Etats de 1971 à 1975 – n’a jamais forcé le destin. Comme elle le disait lors d’une interview télévisée en 1971, «elle a fait son avenir, jour après jour», sans préméditation. Radicale par tradition familiale, oratrice capable de rendre compréhensibles des dossiers complexes, à l’écoute des remous de son époque et soucieuse de l’intérêt général, cette licenciée en lettres aura opéré une révolution tranquille sans rallumer la guerre des sexes. Son féminisme est pragmatique. Elle appelle les femmes à s’affranchir en leur disant que « si elles ne s’occupent pas de politique, la politique en revanche s’occupe d’elles ». Sur le plan cantonal, elle se mobilise pour la démocratisation des études et de la formation, et, sur le plan fédéral, pour la décriminalisation de l’avortement et l’égalité entre hommes et femmes.

Comment cette enseignante de français auprès d’élèves étrangers, mariée et mère d’un enfant, s’est-elle retrouvée en première ligne? En étant la bonne personne, au bon moment. Le parti radical avait en effet besoin d’améliorer son une image après avoir appelé à voter «non» au suffrage féminin tandis que le «oui» l’emportait à Genève. Le parti découvre alors Lise Girardin, et en fera sa «locomotive». Femme alibi dans un premier temps, elle acquiert rapidement popularité et crédibilité. Au gré de ses mandats législatifs et exécutifs, elle prend goût à la chose publique. Son secret : aimer ce qu’elle fait, «me plaire dans le moment que je vis».

Pour beaucoup, Lise Girardin aurait pu être aussi la première conseillère fédérale. Mais une méchante polémique la discrédite. En 1971, on lui reproche d’avoir accepté de siéger au Conseil d’administration de la Société de Banque Suisse. Une manière pour elle d’affirmer une autre de ses convictions : l’intérêt des femmes pour l’économie. Victime d’une campagne de dénigrement, elle démissionne de la SBS mais le mal est fait. Ses adversaires réactiveront sans cesse cet épisode pour lui barrer la route. «Dans les années 60, les partis avaient besoin des femmes. Ensuite, plus elles s’intégraient, plus cela devenait difficile ». Elle n’est pas réélue au Conseil des Etats en 1975.

De 1984 à 1991, elle préside la Commission fédérale des étrangers et plaide pour l’entrée de la Suisse dans l’EEE. Parmi ses derniers combats politiques figure son appui au congé maternité. Lucide, elle dira au moment de prendre sa retraite en 1979: «J’ai le sentiment d’avoir passé ma vie à ouvrir des portes, à les passer, à essayer d’aller plus loin.» Pionnière, et éclaireuse.

L’ensemble des portraits des pionnières de la Suisse moderne feront l’objet d’une publication dans un livre qui paraîtra à l’automne 2014, édité par Avenir Suisse, les Editions Slatkine et Le Temps. A précommander ici.