A quel point la Suisse a-t-elle besoin de l’immigration et a-t-elle envie de l’encourager ? Ces questions donnent lieu à plusieurs perspectives : d’une part, on observe une pénurie de main-d’œuvre, qui continue de s’aggraver à cause du vieillissement de la population. Sans immigration, environ 800 000 postes resteraient inoccupés en 2030. D’autre part, il faut prendre en compte le débat sur la Suisse à 9 millions d’habitants et ses conséquences.

Au vu des gros titres de plus en plus sceptiques sur la migration, la décision des deux chambres d’assouplir légèrement la loi sur les étrangers est d’autant plus réjouissante. Concrètement, les obstacles actuels à l’entrée sur le marché du travail des diplômés étrangers doivent être supprimés.

Des étudiants à l’EPFL. (Victoria Prymak, Unsplash)

Aujourd’hui, environ 4000 étudiants de pays tiers (pays hors UE/AELE) terminent chaque année leurs études dans une haute école suisse – plus de la moitié d’entre eux dans les Mint (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique). Parmi eux se trouvent de nombreux talents indispensables pour le marché du travail. Toutefois, les citoyens de pays tiers qui souhaitent travailler dans notre pays après leurs études doivent franchir de nombreux obstacles. Un permis de travail n’est accordé que si l’activité lucrative présente un intérêt scientifique ou économique avéré. De plus, des contingents libres doivent être disponibles, car les diplômés des hautes écoles sont également soumis au contingent de la main-d’œuvre des pays tiers.

Cette pratique d’admission extrêmement coûteuse et marquée par l’incertitude a pour conséquence que les start-up et les PME n’essaient même pas de recruter des talents issus de pays tiers. Cette pratique semble encore plus douteuse si l’on considère que la Suisse investit chaque année environ 200 millions de francs dans la formation d’étudiants d’Etats tiers.

Exceptions ou contingents spéciaux ?

Une modification de la législation devrait permettre d’atténuer cette problématique. En effet, les titulaires d’un diplôme universitaire suisse devraient à l’avenir être exemptés des contingents dans les domaines où la main-d’œuvre qualifiée fait défaut. Le Conseil des Etats, en tant que second conseil, est entré en matière récemment sur un projet allant dans ce sens. L’objet retourne toutefois à la commission consultative pour une discussion plus approfondie.

Une réglementation spéciale semble justifiée, car il s’agit de personnes qualifiées qui disposent d’une formation suisse financée par des fonds publics, qui vivent déjà depuis un certain temps en Suisse et qui sont généralement bien intégrées. On estime que 400 à 500 diplômés devraient en bénéficier chaque année.

Néanmoins, des préoccupations d’ordre constitutionnel ne peuvent être totalement écartées. La Constitution fédérale exige de limiter l’immigration par des plafonds et des contingents annuels . Toutefois, la loi prévoit déjà diverses exceptions (par exemple pour les conjoints). Une voie éventuellement plus élégante (et conforme à la Constitution) serait de créer des contingents spéciaux séparés pour les diplômés des hautes écoles, qui seraient administrés de manière non bureaucratique grâce à des processus simplifiés.

Redéfinir l’immigration d’Etats tiers

Le projet parlementaire devrait toutefois être considéré comme un premier pas vers une réflexion à long terme sur le rôle de l’immigration en provenance des Etats tiers. Non pas dans le sens d’une augmentation du nombre d’immigrés, mais pour remplacer les sources actuelles de main-d’œuvre qualifiée qui se tarissent. En effet, la Suisse n’est pas la seule à être confrontée à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, de nombreux autres pays (européens) le sont également.

Cette tendance sera encore renforcée par la diminution du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur. On estime que la Chine et l’Inde représenteront en 2030 la moitié de tous les diplômés de l’enseignement supérieur âgés de 25 à 34 ans, alors que la part des Etats-Unis et de l’UE réunis ne sera que de 15 % environ. Dans les Mint, la Chine et l’Inde devraient même représenter 60 % de tous les talents.

Sur le plan politique, il semble actuellement judicieux de n’optimiser «que» ponctuellement le régime d’immigration – comme on l’envisage pour les diplômés universitaires. Mais les changements démographiques devraient nous obliger à long terme à miser davantage sur la main-d’œuvre des Etats tiers. Mieux vaut donc que la Suisse réfléchisse tôt que tard à la manière dont elle souhaite – et doit – réagir concrètement à la baisse des chiffres de la migration en provenance d’Europe.