Par deux fois en deux semaines la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a récemment dénoncé les discriminations envers les femmes dans les entreprises. A chaque fois, elle avait de la peine à masquer son exaspération. Elle n’est pas la seule : beaucoup s’interrogent sur le fait que, dans le secteur privé, les femmes gagnent en moyenne toujours environ 15% de moins et qu’elles n’occupent que rarement des positions dirigeantes.
Mais quelle est la cause profonde de ces différences salariales subsistantes ? Est-ce qu’elles sont la conséquence d’une discrimination systématique de la part des entreprises, comme le Conseil fédéral le laisse entendre ? Seule une défaillance claire du marché du travail justifierait des interventions réglementaires, telles que celles envisagées par la Confédération avec les projets de contrôle systématique des salaires et de quotas pour les grandes entreprises.
L’erreur d’incriminer le marché du travail
La nouvelle étude d’Avenir Suisse* tente de répondre à ces questions. Elle aboutit à la conclusion qu’il serait faux d’incriminer le marché du travail pour les disparités salariales actuelles. A cela, l’étude avance plusieurs raisons. La première naît d’un constat qui va de soi : sur un marché du travail flexible comme le connaît la Suisse, une discrimination salariale systématique des femmes ne pourrait perdurer, car les entreprises, toujours à l’affût de mesures d’économie, s’arracheraient ce personnel féminin soi-disant sous-payé.
Au-delà de ces arguments d’ordre fondamental, l’étude met en évidence les mécanismes pratiques à l’origine des différences salariales entre les sexes. Les causes immédiates sont à rechercher dans le recours plus fréquent des femmes au temps partiel (qui peut être un frein à leur carrière) et leur absence relative au sein de professions exigeant une forte flexibilité temporelle ou géographique – et qui sont pour cette raison mieux rétribuées. Ces deux entraves à la parité salariale sont à rapporter à la difficulté de concilier carrière et famille. Ainsi, ce n’est pas un hasard si les différences salariales s’observent moins entre femmes et hommes qu’entre mères et pères.
La difficulté à concilier travail et famille influence le choix professionnel des jeunes femmes et plus tard la répartition des tâches familiales. S’il était plus facile de concilier vie professionnelle et vie familiale, de nombreuses femmes augmenteraient leur taux d’activité, ce qui accroîtrait leurs chances de progression professionnelle. Du point de vue d’Avenir Suisse, la meilleure manière de soutenir les ambitions professionnelles des femmes consiste non pas à punir les entreprises pour des choix pris par les couples eux-mêmes, mais plutôt à supprimer tous les obstacles qui se dressent face à un engagement plus important des femmes dans leur métier.
Les mesures suivantes semblent, entre autres, pertinentes pour y parvenir:
– Le passage à l’imposition individuelle optionnelle : dans le système en vigueur, le deuxième revenu d’un ménage (principalement apporté par les femmes) est particulièrement désavantagé par l’imposition commune des revenus.
– La déréglementation de l’accueil extra-familial pour les enfants : de nombreuses obligations réglementaires pour les crèches devraient être supprimées, et les différentes formes de garde d’enfants (garderie, mamans de jour, baby-sitters) devraient être traitées sur un pied d’égalité. L’introduction de bons pour l’accueil des enfants directement versés aux parents (en lieu et place de subventions allouées aux crèches) irait dans ce sens.
– Un congé parental flexible: il devrait compléter le congé maternité et correspondrait mieux aux besoins des jeunes familles. Aussi il permettrait de diversifier à l’intérieur du couple les risques à la carrière inhérents à une interruption du travail.
En s’attaquant aux entreprises et à la flexibilité du marché du travail, le Conseil fédéral avoue son impuissance à poursuivre de vraies réformes. En effet, comment l’obligation d’un quota féminin de 30% dans les conseils d’administration ferait-elle avancer la cause féminine? Le seul effet concret – avéré dans les pays qui ont adopté cette mesure – serait celui d’augmenter les revenus d’une petite élite d’administratrices spécialisées. Pire encore, l’introduction d’un contrôle statistique obligatoire des salaires dans les entreprises risquerait de se retourner contre les femmes. Pour éviter d’être (faussement) accusées de discrimination, les entreprises éviteront à l’avenir d’engager du personnel féminin. Partant d’un faux diagnostic, la politique a concocté une bien dangereuse thérapie.
*«Parité salariale: Pourquoi le marché du travail n’est pas défaillant», Avenir Suisse, 2015
Cet article est paru dans Le Temps du 21 décembre 2015. Avec l'aimable autorisation du journal Le Temps.