Marco Salvi, pourquoi le temps partiel fait-il actuellement l’objet de tant de critiques?

Je le vois comme une sorte de panique de haute conjoncture. Tout le monde se plaint de la pénurie de main-d’oeuvre, mais il faut faire la part des choses. Nous pourrions aussi saluer la pénurie, car elle démontre que notre économie est capable de créer plus d’emplois qu’il n’y a de chômeurs. Ce phénomène, dont on parle depuis longtemps, est d’ailleurs aussi structurel et d’autres pays sont également touchés. Le vieillissement de la population, qui explique aussi en partie cette pénurie, est quasiment global. Vouloir à tout prix relever le taux d’activité professionnelle pour lutter contre la pénurie de personnel est une mauvaise idée, qui ne fonctionnera pas.

Pourquoi?

Obliger les actives et actifs à travailler davantage – ou moins, cela serait pareil – c’est aller à l’encontre de décisions personnelles. Mieux vaut agir sur les conditions-cadres, par exemple baisser les barrières à l’emploi ou former suffisamment la relève.

Le temps partiel n’est-il pas un danger pour les caisses de l’Etat, car les personnes paient moins d’impôts que si elles travaillaient à plein temps?

Depuis les années 1970, le temps partiel a fortement progressé dans la population féminine, qui est passée du non-travail au temps partiel. Cela a eu plutôt un effet positif sur les caisses étatiques et les assurances sociales, puisqu’il y a plus de gens sur le marché du travail, qui paient des impôts et des cotisations sociales. Aujourd’hui, on voit de plus en plus d’hommes réduire leur taux de travail et les taux d’occupation entre hommes et femmes sont en train de converger, lentement.

D’après les statistiques, les hommes restent majoritairement actifs à plein temps.

C’est vrai. Entre 35 et 50 ans, la norme veut que les hommes travaillent à plein temps. Ce sont les hommes plus jeunes qui réduisent leur activité professionnelle. Cette tendance péjorera-t-elle un jour les caisses de l’Etat en raison de rentrées fiscales moindres? Peut-être, mais, pour l’heure, le nombre d’heures travaillées continue à augmenter, tout comme la productivité, et donc, en fin de compte, les rentrées fiscales, indépendamment du taux d’emploi.

Entre 35 et 50 ans, la norme veut que les hommes travaillent à plein temps. Ce sont les hommes plus jeunes qui réduisent leur activité professionnelle. (Marten Bjork, Unsplash)

Mais que faire avec l’effet fiscal qui décourage le travail à temps partiel, en tout cas pour les couples mariés?

Oui, c’est juste, l’imposition commune des revenus du couple décourage le travail des femmes mariées. A partir d’un certain seuil, la progression fiscale «mange» une bonne partie des revenus supplémentaires du deuxième salaire – généralement, celui de la femme. Dans certaines situations, cela peut atteindre le double de ce que serait la facture fiscale avec une imposition individuelle. C’est un problème qu’il faut corriger par un passage à l’imposition individuelle.

Lorsque des personnes aisées travaillent à temps partiel et touchent des subsides d’assurance maladie, c’est choquant, non?

Cela pose certainement des questions, mais il ne faut pas mélanger les problèmes. C’est contre des subventions peu ou mal ciblées qu’il faut lutter, pas contre le temps partiel en soi.

Comment le temps de travail a-t-il évolué en Suisse ces dernières décennies?

La semaine de travail à six jours a été la règle jusque dans les années 1950, on a tendance à l’oublier. Après avoir diminué continuellement, la durée légale du travail a stagné dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les diminutions de temps de travail se sont surtout faites par le biais des vacances et des congés. Mais, depuis peu, nous assistons à un nouveau recul du temps de travail. La semaine de quatre jours et demi est en train de se généraliser.

En conclusion, vous ne voyez pas de problème avec le temps partiel?

Il ne faut pas décourager le temps partiel, ni les personnes qui veulent travailler davantage. Nous devrions faire des réformes sur certains aspects fiscaux, sur les coûts des crèches, ou œuvrer pour que carrière ne soit pas systématiquement synonyme de plein temps. Mais tout cela est en train de changer, il n’y a donc, à mes yeux, aucune nécessité de remettre en cause le temps partiel.

Cet entretien a été publié dans le Migros Magazine (p.10) le 5.6.2023.