L’introduction de la nouvelle norme téléphonique 5G fait beaucoup de bruit en Suisse. Différents mouvements citoyens craignent que cette nouvelle technologie impacte négativement l’être humain et l’environnement. Outre des restrictions drastiques de la technologie de téléphonie mobile, un moratoire général sur la 5G est également envisagé. Dans cette analyse, Avenir Suisse étudie les conséquences potentielles de telles mesures.

Nous replaçons la technologie mobile dans un contexte plus large et nous nous demandons : que se serait-il passé si la Suisse avait interdit la 3G ? Ce regard sur le passé montre clairement à quel point une infrastructure de télécommunication moderne est centrale pour l’innovation et le progrès. La même conclusion peut être tirée de l’analyse des bouleversements récents entre les blocs de pouvoir géopolitique : les Etats-Unis, la Chine et l’Union européenne se battent pour la prééminence technologique en matière de téléphonie mobile.

Qu’une course mondiale à la 5G ait démarré n’est pas étonnant au vu des possibilités offertes par cette nouvelle technologie. En revanche, la situation en Suisse a de quoi surprendre, car le verdict scientifique est clair : en près de 40 ans, il n’a pas été possible de prouver de manière cohérente que l’exposition en-deçà des valeurs limites ait des effets nocifs sur la santé. Néanmoins, les opposants à la communication mobile rencontrent un franc succès dans le pays. Par voie de conséquence, la modernisation de l’infrastructure de télécommunication est déjà aujourd’hui massivement freinée – parfois même par des mesures anticonstitutionnelles.

Introduction

La pandémie actuelle de coronavirus signifie pour beaucoup rester à la maison. En conséquence, les services de vidéoconférence, de livraison à domicile, ou encore les offres de streaming sont très demandés. Cependant, le bon fonctionnement de ces services est dépendant d’une infrastructure de télécommunications efficace. Or, pour rester à la pointe, cette infrastructure doit être développée en continu. C’est présisément ce développement qui a récemment fait l’objet de critiques en Suisse. Divers mouvements de citoyens veulent empêcher le déploiement de la nouvelle norme technologique 5G. Pas moins de cinq comités travaillent parallèlement sur diverses initiatives populaires sur le thème de la 5G. Le pays n’avait encore jamais vu autant d’initiatives en compétition pour faire obstacle à une nouvelle technologie.

La lutte contre la modernisation de l’infrastructure des télécommunications est acharnée. Pour beaucoup, l’exposition massive et contrainte au rayonnement justifie une résistance courageuse ; selon les initiants, il ne s’agit de rien de moins que de la survie des hommes, des animaux et de la nature. Afin d’aider ce narratif à percer, des «infox» comme celles des oiseaux qui tombent du ciel à La Haye à cause de la 5G sont diffusées (Antennenbureau 2020 ; Nowotny 2018).

Il n’est pas étonnant que les scientifiques et les politiciens modérés se fassent discrets ; les faits se noient dans une tempête émotionnelle. Tandis que le large consensus scientifique est utilisé comme argument dans le débat sur le climat, les résultats de la recherche dans le secteur des télécommunications sont ignorés ou discrédités en tant qu’instrument de lobbying de l’industrie.

Le renforcement de ce récit hostile à la science et à la technologie laisse songeur. Comme nous le montrons dans cette analyse, interdire des technologies données aurait de graves conséquences, notamment dans le secteur des infrastructures. Celles-ci servent de base aux innovations. Si une infrastructure centrale n’est plus modernisée, cela entravera à long terme le développement de la société. Les demandes radicales formulées dans le secteur des communications mobiles ne doivent donc en aucun cas être prises à la légère – d’autant plus qu’elles ont déjà un impact aujourd’hui.

Typologie de l’infrastructure de téléphonie mobile

Une nouvelle norme technologique pour la téléphonie mobile relève de l’abstrait. Il n’est pas possible d’en saisir intuitivement les effets, car les risques futurs et les opportunités restent diffus. Cela peut expliquer en partie l’incertitude actuelle. Malgré cette incertitude, la virulence des réactions contre l’introduction de la 5G a surpris la plupart des observateurs. Et cela d’autant plus que la téléphonie mobile se développe depuis des décennies et qu’elle est largement utilisée et appréciée par la population.

La technologie des communications mobiles se développe à pas de géant

92 % des Suisses possèdent aujourd’hui un smartphone (Deloitte 2018) et l’utilisent tous les jours avec un réseau de téléphonie mobile toujours plus rapide. L’abréviation 5G – pour «cinquième génération de téléphone mobile» – est à elle seule un indicateur que la téléphonie mobile s’est développée plus d’une fois par le passé. En outre, le chiffre indique que ce processus n’est pas continu, mais qu’il se déroule par étapes (voir figure 1).

Le développement rapide de la téléphonie mobile est dû au fait que l’industrie des télécommunications est un système mondialisé et intrinséquement dépendant de la technologie. Un tel système ne peut fonctionner efficacement que si la poursuite du développement est coordonnée au niveau international : la technologie de transmission sans fil nécessite des normes transnationales qui garantissent la compatibilité des composants des différents fabricants.

En règle générale, une phase de normalisation dure plusieurs années, bien qu’il y ait également des développements ultérieurs inhérents aux normes de communications mobiles – comme c’est le cas de la 4G (Long Term Evolution, LTE), qui domine actuellement en Suisse. Cependant, les améliorations majeures ne se produisent que ponctuellement. La 5G représente aujourd’hui le plus récent de ces sauts technologiques.

Dans le cas des infrastructures, les effets secondaires et même tertiaires comptent

A première vue, la 5G semble tout sauf révolutionnaire. Comme ses prédécesseurs, la nouvelle norme est censée permettre une connexion sans fil plus rapide et plus efficace. Jusque-là, rien de nouveau. Mais cette amélioration n’est qu’un début.

La modernisation de l’infrastructure permet des innovations auxquelles personne n’avait pensé auparavant – par exemple le smartphone. Ces «effets secondaires» ne sont même pas les plus fascinants. Ce qui est vraiment impressionnant, ce sont les effets «tertiaires», qui permettent d’aller encore plus loin dans les innovations basées sur les nouvelles infrastructures – par exemple, les applications et les services qui pourraient être développés grâce aux smartphones, ou les nouveaux appareils tels que les drones, les chauffages ou les éclairages contrôlés par les smartphones.

A cet égard, une nouvelle norme pour la téléphonie mobile ne consiste pas simplement à faire mieux ou plus vite – comme dans le cas d’une vidéo populaire de chatons, qui peut ainsi être téléchargée encore plus rapidement. Au contraire, elle ouvre des possibilités d’action totalement nouvelles. Une infrastructure améliorée est toujours la base de l’innovation. Le passé en est la meilleure démonstration.

Et si… la Suisse avait interdit la 3G ?

Les effets secondaires et tertiaires d’un saut technologique particulier ne peuvent être compris dans leur intégralité qu’avec le recul. Afin de pouvoir comprendre les effets d’un éventuel moratoire sur la 5G en Suisse, recourons donc à une expérience de pensée. Quittons un instant l’année 2020, et retournons vingt ans en arrière : et si la Suisse avait interdit la 3G ? Ce qui suit comprend un scénario fictif. Pour plus de clarté, ce qui a trait à la fiction est typographiquement placé en retrait et surligné en gris.

Scénario

Un verdict populaire lourd de conséquences

Le 3 mars 2002, l’«initiative populaire pour des espaces de vie à faible rayonnement et une téléphonie mobile durable sans 3G (initiative pour la qualité de vie)» a été votée par le peuple. Les commentateurs attendent avec impatience le résultat de ce vote. Tard dans la soirée, le verdict tombe : l’initiative a été acceptée par une courte majorité de 50,3 % des votants. Cette décision implique l’entrée immédiate en vigueur d’un moratoire de vingt ans sur la 3G, interdisant toute mise à niveau du réseau mobile avec les nouvelles technologies de téléphonie.

Le verdict de la population a été précédé par une campagne lourde en émotions. Les opérateurs de télécommunications en particulier faisaient campagne pour le «non», puisqu’ils avaient déjà dépensé 205 millions de francs suisses pour acquérir les fréquences nécessaires à la 3G un an et demi auparavant. Les associations économiques avaient également mené une campagne vigoureuse et se sont unies contre cette initiative – en vain.

Dans les mois qui suivent l’adoption de l’initiative, aucun changement notable n’est perceptible. Seul le litige initié par les entreprises de télécommunications a fait son chemin dans les médias : Swisscom, Orange, Sunrise et Telefónica demandent à la Confédération de rembourser tant le prix payé pour les fréquences que les frais de la vente aux enchères. Cela concerne toutefois surtout les personnes intéressées par les questions juridiques ; pour la plupart des habitants, le vote dominical est vite oublié. Après tout, de nombreux téléphones portables en circulation, comme le Nokia 3310, se sont pas encore conçus pour l’internet mobile – et la téléphonie et les SMS fonctionnent parfaitement bien sans la 3G.

Un an après le vote, le Temps publie une brève sur l’évolution de la vie professionnelle au Japon. Selon l’article, les cadres de ces entreprises lisent et répondent aux courriels pendant leurs déplacements. Un haut dirigeant d’une grande banque suisse se plaint que cela n’est malheureusement pas possible dans son pays. Les opposants à la téléphonie mobile répliquent immédiatement à cette déclaration en la dénonçant comme une coercition des gros bonnets et des capitalistes – presque personne ne reconnaît encore le réel potentiel de l’internet mobile.

La réinvention du téléphone

Tout bascule le 9 janvier 2007, lorsqu’un certain Steve Jobs, sur une scène de San Francisco, souligne à plusieurs reprises : «Aujourd’hui, nous allons réinventer le téléphone». Il voit juste – et grâce à l’iPhone, il fera de sa société Apple l’entreprise la plus valorisée au monde en l’espace d’une décennie. En Suisse, les articles critiques sur le moratoire sur la 3G s’accumulent soudainement après le lancement de l’iPhone. Les jeunes et les passionnés de technologie en particulier veulent pouvoir utiliser toutes les fonctions des nouveaux smartphones.

Avec l’avènement de l’ère du smartphone, l’utilisation de l’internet mobile augmente rapidement dans le monde entier. Les effets négatifs du moratoire sur la 3G se multiplient de manière exponentielle. Alors que les habitants des pays voisins commencent à apprécier les nouvelles possibilités, les Suisses continuent à imprimer leurs itinéraires sur du papier, à acheter leurs billets au distributeurs et et à consulter les horaires de train dans des dépliants.

Les applications pour smartphones telles que Google Maps ou WhatsApp sont peu utiles sans un réseau mobile étendu. En Suisse, elles ne sont introduites qu’avec un certain retard. Certaines applications ne sont même pas développées ou lancées sur le marché. Dès 2010, il est de plus en plus évident que l’obsolescence du réseau de téléphonie mobile a un impact notable sur la qualité de vie en Suisse.

Sans une infrastructure d’internet mobile efficace, la transmission numérique de l’information est lourde. Travailler en déplacement est beaucoup plus difficile qu’à l’étranger, où la technologie a depuis longtemps conquis la vie quotidienne. Accéder brièvement au réseau de l’entreprise pendant un voyage en train, écouter les derniers tubes à l’occasion d’un barbecue en forêt ou envoyer une photo souvenir de sa journée de ski à ses proches, tout cela est parfaitement normal dans le monde entier, sauf en Suisse.

Le tourisme, qui est important pour le pays, souffre tout particulièrement du moratoire. Dans les forums dédiés, les commentaires furieux de touristes qui se plaignent d’un pays technologiquement arriéré s’accumulent : rien ne peut être organisé en déplacement avec un smartphone ou une tablette, tout a besoin d’une imprimante ou de brochures en papier – sans parler, dans un tout autre registre, du service et des prix des taxis locaux, qui sont des plus contraignants. Sur Instagram, Pinterest et Youtube, la Suisse est presque inexistante – les influenceurs évitent «l’angle mort de l’Europe numérique», formule consacrée par un article de The Economist.

Pendant ce temps, l’opinion publique est toujours divisée. Les opposants au moratoire déplorent l’isolement et le retard technologique de la Suisse, tandis que les partisans soulignent les conséquences négatives de l’internet mobile. Ils mettent en garde contre la société du 24/7, l’épuisement numérique et la perte d’emplois. Mais ils ne parviennent pas à étayer ce dernier point – au contraire.

Préserver artificiellement les structures favorise les entreprises établies

Le moratoire nuit avant tout aux secteurs économiques innovants et en pleine croissance, comme l’industrie pharmaceutique ou le secteur technologique. Les rapports sur les suppressions d’emplois font régulièrement le tour de la question. De plus en plus de jeunes entreprises sont créées à l’étranger ou émigrent. Les universités se plaignent d’un manque d’inscriptions. Qui veut mener des recherches sur les technologies de demain dans un pays dont l’infrastructure est celle d’hier ? La Suisse perd de plus en plus de connaissances précieuses et d’emplois qualifiés. Quinze ans après l’adoption de «l’initiative pour la qualité de vie», les histoires de réussite des entreprises informatiques suisses se font rares.

Cependant, certaines industries établies ont assez bien supporté le moratoire sur la 3G. Alors que l’industrie étrangère des médias et des télécommunications a été durement touchée par le changement structurel, le marché suisse se trouve sous une cloche de verre qui le préserve des nombreuses innovations technologiques. Certains éditeurs de journaux se prononcent même soudainement en faveur du moratoire sur la 3G, car avec la lenteur du réseau mobile suisse, il n’est pratiquement pas possible de consommer des informations sur les appareils mobiles. La Suisse gagne la palme de l’utilisation la plus faible de Twitter et des autres réseaux sociaux en comparaison avec l’Europe occidentale ; dans les trains, l’image du voyageur qui lit le journal domine toujours.

En coulisses, de nombreux patrons de sociétés de télécommunication se réjouissent également des derniers développements. Après des années de litige sur l’acquisition inutile de fréquences 3G, les opérateurs de téléphonie mobile sont heureux de constater qu’il est toujours possible de gagner de l’argent facile en Suisse grâce aux SMS et aux minutes d’appel. Le moratoire sur la 3G les protège largement de la concurrence mondiale de WhatsApp, Skype et d’autres services de messagerie instantanée.

Les consommateurs suisses paient la facture de cette préservation des structures obsolètes. Qu’il s’agisse de messages en déplacement ou de simples services de télécommunications, ils doivent puiser dans leur portefeuille par rapport à l’étranger. C’est le prix à payer pour avoir manqué le train de la numérisation. Les entreprises et la société civile, surtout les jeunes, réclament donc avec toujours plus de véhémence la levée du moratoire sur la 3G. Cependant, la modification nécessaire de la Constitution ne peut pas être réalisée aussi facilement. Ainsi, en 2020, la Suisse continue d’écrire des SMS à vingt centimes chacun, alors que d’autres pays s’orientent déjà vers la norme 5G.

Ce qui ne peut pas être capturé par le scénario

Prendre du recul permet de se rendre compte de ce qu’a apporté l’introduction de la 3G. En tant qu’infrastructure de base, la téléphonie mobile, tout comme l’électricité, a complètement pénétré notre vie quotidienne. Cependant, tout ne peut être représenté de manière adéquate dans le scénario. Celui-ci montre uniquement la partie émergée de l’iceberg, sans rendre compte de tout ce qui n’existerait pas dans le cadre d’un moratoire sur les communications 3G. Plus haut, nous mentionnons que : «certaines applications ne sont même pas développées ou mises sur le marché». Dans ce qui suit, nous montrons ce qui se cache derrière cette phrase.

Exemple 1 : l’application mobile des CFF

Trouver rapidement la meilleure correspondance en cours de route ou se procurer un billet dégriffé pour un week-end prolongé. L’application mobile des Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) a rendu l’utilisation des transports publics plus facile et plus conviviale. En 2018, les CFF ont vendu presque autant de billets et d’abonnements par le biais des canaux numériques que via les distributeurs automatiques – et la tendance est à la hausse. La majorité des ventes via les canaux numériques des CFF se font désormais sur l’application mobile des CFF. L’application, lancée en 2008, a depuis été téléchargée plus de treize millions de fois. Elle compte maintenant 3,4 millions d’utilisateurs actifs qui l’utilisent au moins une fois par mois (SBB 2020).

Exemple 2 : Météo Suisse

La météo nous suit partout, et avec un smartphone, il est possible de se préparer à la pro-chaine averse en cours de route. Depuis sa sortie en 2013, l’application de Météo Suisse a été téléchargée environ dix millions de fois. Aujourd’hui, 0,5 à 1,2 million de personnes utilisent chaque jour le radar de précipitations et d’autres prévisions météorologiques. Avec l’évolution technologique, les anciens formats ont perdu de leur importance. Par exemple, presque personne n’utilise encore le service téléphonique d’information météo-rologique (Meteo Schweiz 2020).

Ces applications n’auraient probablement pas été développées sous cette forme sous la contrainte d’un moratoire sur la 3G. Leur utilité aurait été en tout cas sensiblement réduite sans l’internet mobile. Ce ne sont pas des applications conviviales mais des places de travail qui sont l’enjeu de ce qui se cache derrière la phrase : «Les succès des entreprises informatiques suisses se font rares quinze ans après l’adoption de l’initiative sur la qualité de vie».

Exemple 1 : Beekeeper

Beekeeper a été fondée en 2012 par quatre diplômés universitaires. Le produit : une application d’équipe pour permettre la communication avec les employés via une plateforme numérique «mobile first». Celle-ci vise à rendre les employés, en particulier ceux du service externe plus facilement accessibles et à leur permettre de se tenir informés. Aujourd’hui, Beekeeper emploie une centaine de personnes en Suisse et 75 à l’étranger. La société compte plus de 500 entreprises clientes dans le monde entier (Beekeeper 2020).

Exemple 2 : Fairtiq

L’idée derrière Fairtiq est simple : pourquoi le smartphone ne peut-il pas automatiquement acheter un billet en arrière-plan lorsque son propriétaire utilise le train, le bus ou le tramway ? Le premier concept de billetterie automatique de Fairtiq a été développé en 2014. Depuis 2018, l’application est utilisable dans toute la Suisse pour l’ensemble du système de transport public, et Fairtiq est désormais également impliqué dans des projets similaires aux Pays-Bas, en Autriche, au Liechtenstein et en Allemagne. Aujourd’hui, 50 employés de Fairtiq travaillent en Suisse et 4 à l’étranger. L’application a été téléchargée 370 000 fois en Suisse. En 2019, Fairtiq a été utilisée sur un total de 6,3 millions de voyages (Fairtiq 2020).

Exemple 3 : Bestmile

Cette start-up romande a été fondée en 2014. Aujourd’hui, environ 45 employés travaillent à Lausanne et 15 autres à San Francisco, Londres et Dubaï. Bestmile est une plateforme de surveillance et de gestion des parcs de véhicules visant à garantir que le bon véhicule est au bon endroit au bon moment. Actuellement, deux flottes contrôlées par des personnes et quinze flottes de véhicules autonomes sont organisées par Bestmile (Bestmile 2020).

Les start-up actives dans la branche de la technologie créent déjà aujourd’hui des emplois dans le pays. Il est bien sûr difficile de savoir si toutes ces jeunes entreprises réussiront à long terme. Mais il est très probable qu’elles n’auraient jamais été fondées dans une Suisse où le moratoire sur les communications 3G aurait été en vigueur. Un argument similaire est susceptible de s’appliquer aux entreprises technologiques internationales. Certaines d’entre elles ont récemment choisi la Suisse comme un lieu important pour la recherche et le développement.

Exemple 1 : Google

En 2004, Google s’est installé dans un petit bureau à Zurich. Aujourd’hui, le groupe technologique emploie environ 4 000 personnes dans l’Europaallee et l’Hürlimann-Areal. Comme la majorité d’entre eux sont des travailleurs hautement qualifiés, il est probable que des impôts directs et indirects de l’ordre de plusieurs dizaines voire même de la centaine de millions soient perçus. Pour Google, Zurich est le plus grand site de recherche et développement en dehors des Etats-Unis. Les équipes y travaillent entre autre sur Google Maps, Gmail et YouTube (Handelszeitung 2019) – tous des produits qui sont aujourd’hui fortement orientés vers une utilisation mobile.

Exemple 2 : Facebook

Si la présence de Google à Zurich est de notoriété publique, seuls quelques-uns sont au courant de la présence de Facebook. Le groupe a annoncé en 2019 son intention d’augmenter à 200 employés ses effectifs sur le site de Zurich (Torcasso 2019). Genève est également le siège de l’Association Libra, fondée par Facebook. Tant le projet de monnaie Libra, actuellement controversé, que de nombreux produits Facebook tels que WhatsApp sont inconcevables sans un réseau mobile qui permette une transmission de données efficace.

Ce ne sont là que quelques exemples aux noms bien connus. Il y en a d’autres, comme IBM, qui exploite depuis longtemps un laboratoire de recherche à Rüschlikon. Il est difficile d’imaginer que ces entreprises se seraient installées ou auraient développé leur site dans une Suisse sans la 3G – au contraire, la présence de ces entreprises résulte probablement de la position de pointe qu’occupe actuellement la Suisse dans le domaine de la technologie.

Enfin, il existe aujourd’hui en Suisse différents fournisseurs pour l’industrie des smartphones et des technologies. Parmi eux, on trouve de grandes entreprises familiales comme Bühler ou des entreprises traditionnelles comme Georg Fischer, mais aussi d’anciens spin-offs de l’Ecole polytechnique de Zurich comme Sensirion (Fischer 2016). La manière dont ces entreprises se seraient développées dans le cadre d’un moratoire sur la 3G reste également une zone d’ombre du scénario. Il est tout à fait possible que nombre de ces entreprises suisses établies de longue date aient manqué le train du «mobile first» et se soient lancées trop tard dans l’exploitation de ces nouveaux domaines d’activité.

Face à cette liste, on pourrait objecter que ce sont tous des exemples issus de la sphère économique. Cela est principalement dû au fait que ceux-ci sont relativement faciles à identifier et à quantifier. Cela ne signifie pas pour autant qu’une infrastructure de communication moderne n’aurait pas aussi d’autres effets positifs. Par exemple, une application comme CFF Mobile et Fairtiq augmente l’attractivité des transports publics, et une start-up comme Bestmile contribue à une utilisation plus efficace des flottes de véhicules, ce qui, selon le type de moteur utilisé, peut entraîner des économies de CO2. En général, les smartphones ont remplacé un certain nombre d’appareils électroniques, et l’internet mobile rapide a donné un nouvel élan à la dématérialisation de la consommation des médias (texte, son, images) – ces deux évolutions laissent entrevoir des effets écologiques positifs.

Un moratoire sur la 5G serait une rupture

Se pencher sur l’introduction de la 3G met trois points en lumière. Premièrement, personne n’aurait pu imaginer à l’époque les bouleversements qu’allait entraîner cette nouvelle norme. Deuxièmement, les effets d’un moratoire motivé par des raisons politiques auraient été de plus en plus douloureux pour l’économie et la société au fil du temps. Troisièmement, les effets négatifs les plus graves seraient restés méconnus : les nombreux développements qui simplifient notre quotidien n’auraient jamais vu le jour, et certaines entreprises n’auraient jamais connu le succès qui est le leur. Ce n’est qu’avec le recul que l’on comprend à quel point une interdiction de la 3G aurait freiné le développement du pays.

Ces trois constatations peuvent être généralisées : elles s’appliquent à toute interdiction de technologie dans le secteur des infrastructures, qu’il s’agisse d’un hypothétique moratoire sur les chemins de fer, sur l’électrification au XIXe siècle ou sur la 5G. Examinons à présent plus en détail cette nouvelle technologie afin de montrer les répercussions d’une éventuelle interdiction dans ce cas particulier.

Les luttes géopolitiques étayent l’importance de la 5G

Lorsqu’on parle des avantages de la 5G par rapport aux normes de téléphonie mobile précédentes, trois aspects sont généralement mentionnés, en plus de la bande passante plus élevée (téléchargements et téléversements plus rapides) (Arbeitsgruppe Mobilfunk und Strahlung 2019 ; Frenger et Tano 2019) :

  • Premièrement, la 5G est plus efficace sur le plan énergétique que les normes précédentes. Cela permet la mise en réseau de nombreux capteurs à moindre coût, même dans les zones rurales, encore peu développées sur le plan structurel, puisque des batteries ou des cellules solaires plus petites peuvent être utilisées, par exemple. Un terme qui revient sans cesse dans ce contexte est celui de l’«Internet des objets» (IdO).
  • Deuxièmement, la 5G permet une plus grande densité de dispositifs connectés par cellule mobile. Cela est particulièrement important pour les applications de l’IdO dans les zones urbaines.
  • Troisièmement, la 5G a un temps de réaction nettement plus faible que les technologies de transmission précédentes – la communication entre deux appareils est donc plus rapide. Grâce à la 5G, il devrait être possible de transmettre des données sans fil en temps quasi réel, ce qui explique que certains la qualifient de «fibre optique par voie aérienne».

Comme pour les technologies précédentes, il est difficile d’estimer ex ante ce que ces améliorations permettront réellement de réaliser. Une étude commandée par l’Association suisse des télécommunications (Asut) s’y aventure néanmoins. Elle conclut qu’un déploiement rapide de la 5G permettrait de créer plus de 130 000 emplois supplémentaires d’ici 2030 (asut 2019). Bien sûr, ces prévisions détaillées des associations de branche doivent être traitées avec prudence. Cependant, il faut peu d’imagination pour comprendre que la nouvelle norme de téléphonie mobile ouvre des perspectives totalement nouvelles, notamment pour l’industrie manufacturière et donc pour de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) (voir également Arbeitsgruppe Mobilfunk und Strahlung 2019).

Comme pour les normes de téléphonie mobile précédentes, la 5G devrait avoir des effets écologiques et sociaux positifs en plus des effets économiques. Cependant, tout comme les effets économiques, ceux-ci sont actuellement difficiles à estimer, et encore moins à quantifier. Certains experts espèrent parvenir à une utilisation plus durable des pesticides dans l’agriculture et à une meilleure gestion des sols grâce à l’utilisation de capteurs en réseau (Agroscope 2020 ; Pollmann 2017). D’autres voient un grand potentiel pour de nouvelles applications médicales (Merkel 2019). Les récents développements autour de la pandémie de coronavirus soulignent l’importance de réseaux de télécommunication efficaces dans ce domaine : un meilleur diagnostic à distance et l’utilisation de robots en réseau pourraient soulager le système de soins de santé et mieux protéger le personnel et les patients.

En raison de son impact attendu sur l’économie, l’environnement et la société, la 5G est considérée comme une technologie clé dans le contexte mondial. L’Union européenne (UE), qui accusait un fort retard en matière de 4G par rapport aux Etats-Unis et aux leaders asiatiques, a fait de gros efforts pour introduire la nouvelle norme de téléphonie mobile de manière rapide et complète (European Commission 2016). Les Etats-Unis et la Chine poussent également le rythme du déploiement de la 5G ; chaque bloc géopolitique veut être à la pointe de cette technologie d’avenir.

Sur le plan mondial, le débat sur la 5G est donc fortement influencé par une perspective stratégique. Cela se reflète, par exemple, dans la controverse actuelle autour des fournisseurs chinois de télécommunications tels que Huawei et ZTE. Les Etats-Unis ont commencé il y a quelque temps à faire part de leurs préoccupations en matière de politique de sécurité (Rogers et Ruppersberger 2012). La question de savoir si celles-ci sont justifiées ou si elles relèvent davantage de la politique industrielle ne sera pas examinée plus avant ici. Ce qu’il faut souligner pour cette analyse, c’est le fait que la nouvelle norme de téléphonie mobile 5G est d’une importance stratégique centrale pour les trois grands blocs géopolitiques.

La Suisse a pris un bon départ

Dans le contexte de la course internationale à la construction du réseau 5G le plus rapide, la position actuelle de la Suisse est très satisfaisante – d’autant plus que le pays a récemment perdu du terrain dans divers autres domaines tels que la compétitivité (Schwab 2019). Une étude du fournisseur d’équipements de réseau Ericsson, actif au niveau mondial, confirme que la Suisse joue un rôle de pionnier en matière de 5G (Ericsson 2019), et un classement du concurrent d’Ericsson, Huawei, qui tient compte de l’infrastructure numérique et de la performance économique numérique, place la Suisse à la deuxième place (Huawei 2019).

Pour le déploiement de la 5G, le fournisseur de tests de vitesse Ookla dispose d’une carte du monde montrant les endroits qui sont déjà couverts par la nouvelle norme de téléphonie mobile. En Europe, la Suisse est seule en tête, bien que ces résultats doivent être interprétés avec prudence en raison des données sur lesquelles ils se fondent (Ookla 2020). Les pays qui ont progressé à un rythme similaire dans la modernisation de leurs infrastructures se trouvent tous sur d’autres continents. Les Etats-Unis et la Corée du Sud, entre autres, ont également investi très tôt dans l’expansion de la 5G (Blackman et Forge 2019). En Chine également, 50 villes étaient déjà couvertes par la nouvelle norme de communication mobile fin 2019 (BBC 2019).

Il est bien sûr réjouissant que la Suisse ait pu s’établir dans le groupe de tête au niveau mondial. Surtout si l’on considère que l’UE et sa locomotive économique, l’Allemagne, essaient désespérément de ne pas rater le coche (Bünder 2019 ; Eisenring 2019). Mais cela ne devrait pas inciter les politiciens suisses à être excessivement confiants. Certains pays, comme par exemple la France, vont vraisemblablement rattraper très rapidement leur retard dans un avenir proche. De plus, la situation actuelle correspond à une phase extrêmement précoce. Il reste beaucoup à investir dans la modernisation de l’infrastructure des télécommunications, et les réseaux 5G sont encore loin d’être construits.

Il est tout sauf certain que la dynamique de la phase de démarrage pourra être maintenue à moyen terme. Plutôt que de débattre sur l’avenir qui attend la Suisse en tant que pionnière de la 5G, on célèbre actuellement une image nostalgique du passé. En politique intérieure, par exemple, les cercles critiques vis-à-vis de la technologie donnent clairement le ton. Comme mentionné au début, cinq comités d’initiatives populaires ont déjà été formés, et visent tous à arrêter la roue du temps, voire à la faire repartir en sens inverse (voir encadré 1).

Encadré 1

Cinq initiatives populaires pour réduire fortement le réseau mobile

Pour une téléphonie mobile respectueuse de la santé et économe en énergie

Cette initiative est un mélange de demandes autour du thème des rayonnements non ionisants – selon l’interprétation, elle comprend également une interdiction de facto des routeurs Wlan privés. En deux mots, elle stipule que les radiations mobiles ne doivent plus pouvoir pénétrer dans les espaces privés. En outre, elle souhaite interdire l’utilisation d’appareils électroniques dans certaines zones de places assises des transports publics. Des signatures sont déjà recueillies pour cette initiative (Mobilfunk-Initiative 2019).

Responsabilité en matière de téléphonie mobile

Cette initiative veut que les concessionnaires et les propriétaires de stations émettrices soient responsables des dommages corporels et matériels causés par la téléphone mobile. Les initiants demandent également un renversement de la charge de la preuve : les exploitants devraient prouver que les dommages éventuels n’ont pas été causés par leur émetteur. Cette initiative est également en phase de collecte de signatures (Mobilfunkhaftungs-Initiative 2019).

Pour un développement raisonnable de la téléphonie mobile

L’initiative demande que les limites de protection contre les rayonnements en Suisse soient fortement abaissées. Le texte appelle également à un moratoire de cinq ans sur une très large gamme d’ondes millimétriques (Association Stop 5G 2020).

Pour des espaces de vie faiblement irradiés et l’abaissement des valeurs limites de la téléphonie mobile

Frequencia veut lancer une initiative populaire au printemps 2020 pour réduire l’exposition de la population aux rayonnements. Comme pour la première initiative mentionnée ici, l’objectif est d’éviter que les gens ne soient involontairement exposés à des radiations mobiles dans leur propre maison. En outre, Frequencia appelle à un moratoire national sur la technologie 5G et à une réduction massive des limites existantes (Frequencia 2019).

Pour l’autonomie des communes en matière de couverture de téléphonie mobile

Le mouvement «Freiheitliche Bewegung Schweiz» prépare également une initiative populaire. Les initiants demandent que les compétences en matière de téléphonie mobile soient transférées de la Confédération aux communes et que chacune d’entre elles puisse décider elle-même si et combien de radiations elle autorise dans l’espace public (Freiheitliche Bewegung Schweiz 2020).

Si certaines initiatives préconisent des restrictions plus strictes en matière de communications mobiles, d’autres veulent interdire complètement la nouvelle norme de téléphonie mobile. Comme nous l’avons expliqué, une telle interdiction de la technologie aurait de graves conséquences pour le développement de l’économie et de la société en Suisse. Ces effets négatifs seraient encore intensifiés par le signal qu’enverrait un moratoire national unique au monde sur la 5G. Toutefois, le débat sur une future interdiction nationale ne doit pas faire oublier que la modernisation de l’infrastructure de téléphonie mobile est déjà massivement entravée au niveau cantonal et local.

Une interdiction de facto de la technologie 5G existe déjà dans certains endroits

Le dernier rapport du gouvernement fédéral indique :

«Il est ainsi peu probable que les conditions-cadre actuelles permettent de trouver suffisamment d’emplacements pour un déploiement de la 5G à des conditions économiquement supportables. Par ailleurs, en raison de la densité de la réglementation actuelle […] et des oppositions exercées dans les communes et les villes, il est difficile d’acquérir et d’autoriser rapidement les emplacements de téléphonie mobile supplémentaires nécessaires pour un déploiement de la 5G dans les meilleurs délais.» (Groupe de travail Téléphonie mobile et rayonnement 2019).

Malgré son caractère explosif, cette déclaration n’a pas reçu beaucoup d’attention dans les médias ou en politique. Apparemment, les experts des domaines de l’administration, de l’économie et des sciences s’accordent à dire que la Suisse ne pourra pas maintenir sa position de pointe dans l’infrastructure des télécommunications, qui est au cœur de la numérisation. Cela mérite certainement d’être pris en considération et de retenir davantage l’attention du public. D’autant plus que ce constat contraste fortement avec l’engagement politique en faveur du progrès et de la numérisation.

Cet extrait montre l’existence de frictions autour du droit constitutionnel. L’article 92, alinéa 1 de la Constitution fédérale stipule : «Les services postaux et les télécommunications relèvent de la compétence de la Confédération.» (Constitution fédérale de la Confédération suisse 1999). Cette répartition des tâches dans le domaine des réseaux de communication mobile est justifiée dans une perspective libérale et fédérale – le principe de subsidiarité n’est pas remis en cause. Une organisation et une réglementation cantonales du réseau de téléphonie mobile n’ont aucun sens, car les avantages de l’infrastructure des télécommunications découlent précisément de sa fonctionnalité transcantonale, et même principalement transnationale.

Or, bien que l’infrastructure des télécommunications soit clairement une affaire fédérale, le dernier rapport atteste que la résistance au niveau cantonal et communal empêche la poursuite du développement. La raison en est simple : les communes et les cantons édictent des règlements de construction et de zonage pour les installations de téléphonie mobile. Dans la plupart des cas, les résidents ont le droit de s’opposer et peuvent donc retarder ou empêcher le projet de construction (Arbeitsgruppe Mobilfunk und Strahlung 2019).

Ce droit est exercé de manière extensive. Par exemple, l’association «Schutz vor Strahlung» («Protection contre le rayonnement») parle d’un «moratoire de facto sur la 5G» et affirme que l’implantation de 320 nouvelles antennes 5G a été contestée entre juin et septembre 2019. Selon l’association, cela représente environ 98 % de toutes les demandes d’antennes 5G pour cette période (Verein Schutz vor Strahlung, 2019). Les fournisseurs de télécommunications ont cependant contredit cette affirmation et ont cité des chiffres bien plus bas (Sunrise 2020 ; Swisscom 2020). Il n’en demeure pas moins une tendance : dans le secteur des télécommunications, les lois locales sur la construction dégénèrent en un instrument de politique nationale.

Le fait que les parlements cantonaux de Genève, du Jura et de Vaud ignorent la répartition des compétences prévue par la Constitution fédérale est encore plus contestable en termes de droit constitutionnel. Ces cantons se sont en effet prononcés en faveur de moratoires temporaires sur la 5G sur leurs territoires. De telles mesures ont également été discutées dans les cantons de Suisse alémanique (SRF 2020). Seul le canton de Neuchâtel a emprunté la voie constitutionnellement correcte : le parlement cantonal a demandé un moratoire partiel sur la 5G en Suisse avec une initiative selon l’article 160 de la Constitution fédérale (Tribune de Genève 2020).

Risques et incertitude

L’approche de certains parlements cantonaux consistant à ne pas tenir compte des compétences prévues par la Constitution fédérale, ainsi que le tumulte émotionnel qui se cache derrière pas moins de cinq initiatives populaires, doivent interpeller. En Suisse, un changement de paradigme dans la manière dont les développements technologiques sont traités semble se produire. Jusqu’à présent, le pays s’est efforcé par conviction de se maintenir à la pointe dans le domaine de la science et de la technologie.

Par exemple, la Suisse a joué un rôle aux débuts de l’électricité. Jusqu’en 1910 environ, elle avait la plus forte production d’électricité par habitant. En 1939, 77 % du réseau ferroviaire suisse était déjà électrifié, contre une moyenne européenne de 5 % (Paquier 2010). En apparence, cette situation ressemble au déploiement actuel de la 5G. Mais en coulisses, la situation est différente.

A la fin du XIXe siècle, l’arrivée de l’électricité en Suisse a suscité une véritable vague d’enthousiasme. Des conférences et des démonstrations publiques des nouvelles technologies ont captivé les foules de passionnés, par exemple à l’Exposition nationale suisse de 1883 à Zurich (Gugerli 1995). Pendant longtemps, l’électricité était considérée en Suisse comme un symbole de progrès et de modernité (Boss 2018).

Aujourd’hui, la compréhension de la technologie semble différente. Il y a certes eu une résistance aux antennes de téléphonie mobile dans le passé, mais avec la 5G, le rejet est de plus en plus mêlé à une critique générale du système. Cette critique, avec sa nostalgie inhérente, est visiblement dans l’air du temps – en Suisse romande notamment, la peur des nouvelles technologies occupe une place importante dans le discours public.

Nous en savons déjà beaucoup…

Les critiques portent toujours sur des questions de santé. Celles-ci n’ont délibérément pas fait l’objet de cette analyse jusqu’à présent, car les données scientifiques sont claires : l’hypothèse selon laquelle le rayonnement des antennes de téléphonie mobile est nocif pour la santé aux limites en vigueur a été rejetée à maintes reprises (voir encadré 2).

Encadré 2

Résultats scientifiques dans le domaine des rayonnements mobiles

Aujourd’hui, l’homme et l’environnement sont exposés à diverses sources de rayonnements non ionisants (RNI), par exemple par le biais des téléphones portables, des émetteurs de radio et de télévision, des routeurs Wlan, des lignes électriques ou des examens médicaux. La proximité du corps est d’une importance capitale pour l’exposition. Dans le cadre d’une utilisation moyenne, environ 90 % du RNI de haute fréquence auquel nous sommes exposés provient d’appareils personnels (par exemple, les smartphones, les tablettes, etc.), étant entendu que plus la connexion à l’antenne est mauvaise, plus l’appareil personnel rayonne fortement. Seule une petite partie de l’exposition aux rayonnements est causée par les antennes de téléphonie mobile elles-mêmes. La technologie des antennes, d’une part, et la technologie de transmission, d’autre part, jouent un rôle à cet égard – les nouvelles normes de radio mobile telles que la 5G sont nettement plus efficaces en matière de rayonnement que les technologies plus anciennes comme la 2G (voir Arbeitsgruppe Mobilfunk und Strahlung 2019 ; Matalatala et al. 2019).

En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer a classé l’exposition au RNI due à l’utilisation d’appareils personnels tels que les téléphones portables comme potentiellement cancérogène pour l’homme sur la base de preuves limitées – l’exposition environnementale au RNI due aux antennes de téléphones portables, par exemple, a été décrite comme une preuve insuffisante (WHO 2011). Une méta-analyse plus récente, menée entre autres par l’épidémiologiste suisse Martin Röösli, ne trouve aucune corrélation entre l’utilisation de téléphones portables et divers types de tumeurs (Röösli et al. 2019).

L’exposition possible au RNI est limitée en Suisse par des réglementations. Par exemple, l’ordonnance du Conseil fédéral sur la protection contre les rayonnements non ionisants (ordonnance sur le RNI) fixe différentes valeurs limites. Le rapport du groupe de travail Téléphonie mobile et rayonnement nommé par le Conseil fédéral indique que «[…] jusqu’à présent, aucun effet sanitaire n’a été prouvé de manière cohérente en dessous des valeurs limites d’immission […]» (Groupe de travail Téléphonie mobile et rayonnement 2019, p. 8). Cette formulation un peu lourde est due à la méthode scientifique – ou, selon les termes d’une étude antérieure commandée par l’Office fédéral de l’environnement : «Il convient de noter que l’inexistence d’un effet n’est formellement pas prouvable scientifiquement.» (Hug et al. 2014).

En tant que groupe de réflexion à vocation économique, Avenir Suisse ne peut pas commenter davantage les résultats des recherches des épidémiologistes, des physiciens et des médecins. D’un point de vue scientifique, cependant, ce verdict doit être accepté. Dans le cadre de la réglementation existante, des risques sanitaires pratiquement inexistants se heurtent aux avantages de la technologie de la téléphonie mobile. D’un point de vue économique, il faut ajouter que le risque zéro est une condition suffisante mais non nécessaire pour l’introduction d’une technologie bénéfique. Donc, s’il n’y a pas de risques, une technologie doit être autorisée. Toutefois, même si certains risques étaient avérés, les avantages pour la société pourraient toujours l’emporter sur les risques.

… mais l’incertitude demeure.

Dans le débat sur les rayonnements mobiles, cependant, on ne parle pas seulement de risques calculables, mais aussi d’incertitude quant aux dommages futurs. C’est parfaitement légitime. Toute action humaine est exposée à la fois à des risques et à une incertitude fondamentale. Cela s’applique aux décisions individuelles, comme un voyage de vacances, et aux décisions de société, comme l’électrification ou l’exploitation d’un réseau de téléphonie mobile.

Toutefois, il faut noter que le législateur suisse a également prévu cette incertitude fondamentale dans le secteur de la téléphonie mobile. En Suisse, afin de protéger contre des dommages actuellement inconnus, des limites d’installation strictes sont appliquées en plus des limites d’immission comparables à celles qui prévalent à l’international (voir encadré 3) (Arbeitsgruppe Mobilfunk und Strahlung 2019). Les valeurs limites d’installation s’appliquent aux endroits où les gens passent régulièrement pendant de longues périodes. Dans la réglementation de la téléphonie mobile, le principe de précaution de la loi sur la protection de l’environnement entre en jeu : «La précaution n’est donc pas une décision fondée sur les évaluations scientifiques actuelles, mais une limitation préventive.» (Missling et al. 2016).

Cette déclaration indique clairement où se situe le problème. Comme l’incertitude, contrairement aux risques, ne peut être calculée scientifiquement, la manière de l’aborder correspond plutôt à une posture qu’à une logique rationnelle. Ce que le brouillard de l’incertitude cache n’est jamais compréhensible ex ante. Ce n’est pas là que la science peut aider, mais seulement l’imagination, qui peut peindre l’incertitude dans les couleurs et formes les plus diverses– cela peut être observé dans le débat actuel sur la 5G.

Aussi universelle que soit l’incertitude, ses représentations effrayantes sont interchangeables. Par exemple, lorsque l’émetteur national de Sottens a été mise en service au printemps 1931, on aurait pu faire remarquer que ces nouveaux types de signaux radio entraîneraient des dommages sur le patrimoine génétique au cours des 70 prochaines années et conduiraient à l’extinction de l’humanité. A l’époque, on ne savait tout simplement pas ce qui pourrait advenir ; la science ne pouvait calculer les risques individuels que dans le cadre d’expériences isolées – comme elle le fait pour la téléphonie mobile depuis une quarantaine d’années. Cependant, cela n’a pas éliminé l’incertitude fondamentale du fonctionnement d’une station de radio nationale.

Aujourd’hui, nous savons que nous avons eu raison de persévérer, malgré l’incertitude. Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de démontrer que l’exposition aux ondes radios ait un impact sur la santé. Nous avons très bien survécu à une centaine d’années de radio. Nous avons d’ailleurs non seulement survécu à cette technologie, mais aussi tiré de nombreux avantages. Et dans certains cas, les ondes radio ont même sauvé des vies – par exemple, pour prévénir la population lors de dangers sur la route ou liés à des orages violents. Comme si souvent dans l’histoire de la technologie, le brouillard de l’incertitude cache plus les aspects positifs que négatifs. Dans l’état actuel de la recherche scientifique, peu d’éléments laissent entendre qu’il en aille autrement pour la téléphonie mobile.

Quelle Suisse voulons-nous ?

Diverses nations s’efforcent actuellement d’être à la pointe de la technologie dans les infrastructures clés des années 2020. Alors qu’au niveau mondial, une sorte de course à la 5G a été déclarée, en Suisse, certains milieux veulent arrêter le temps et empêcher à tout prix la modernisation des réseaux mobiles. Avec pas moins de cinq initiatives populaires prévues, l’électorat suisse pourrait bientôt être confronté à la question fatidique suivante : le pays doit-il passer d’une attitude progressiste à une attitude conservatrice à l’égard des nouvelles technologies ?

L’enjeu est de taille

La technologie de téléphonie mobile touche une infrastructure centrale du pays. C’est pourquoi un moratoire sur la 5G aurait un impact énorme non seulement sur la science mais aussi sur la société. Une infrastructure se définit précisément par le fait qu’elle constitue la base de l’activité économique et de la cohésion. C’est pour cette raison que le législateur constitutionnel a placé les télécommunications dans les mains de la Confédération. L’infrastructure des télécommunications est essentielle au fonctionnement du pays – comme le démontre la pandémie de coronavirus. Si elle devait ne plus être développée pour des raisons politiques, les conséquences se feraient sentir de Romanshorn à Genève, du secteur hospitalier à l’horlogerie.

L’enjeu est donc de taille. Une Suisse disposant d’une infrastructure de télécommunications condamnée, selon une disposition constitutionnelle, à rester obsolète, manquera le coche. Comme le suggère le processus de réflexion au sujet d’un moratoire sur la 3G, les entreprises fondent également leurs décisions d’implantation sur l’infrastructure technologique disponible. Des institutions scientifiques comme les Ecoles polytechniques de Zurich et de Lausanne, tout comme les Hautes écoles spécialisées, risquent de prendre du retard dans la course internationale à la recherche de haut niveau avec une telle interdiction. Et avec une recherche de pointe affaiblie et un manque de start-up innovantes, il deviendra également plus difficile de maîtriser les défis à venir dans les domaines écologique et sanitaire.

Un moratoire sur la 5G n’entraînerait donc pas simplement une préservation des structures. Parce qu’il touche une infrastructure, il risque plutôt de déboucher sur un démantèlement structurel. Dans une démocratie, bien sûr, une majorité peut très bien initier un tel processus. Mais il est important d’être conscient des conséquences d’une telle décision. Même si certains opposants à la 5G soulignent qu’ils ne sont pas contre l’innovation et la technologie, l’interdiction d’une technologie reste l’interdiction d’une technologie. Il est évident qu’un moratoire sur la 5G empêcherait l’innovation, puisque le développement de l’infrastructure des télécommunications serait freiné par l’Etat.

Que faire ?

Dans certains endroits en Suisse, il existe déjà une interdiction de facto de la technologie 5G. Le fait que cela soit accepté presque sans résistance est étonnant, car les conséquences sont graves. Du point de vue d’Avenir Suisse, il est donc nécessaire d’agir dans trois domaines.

Premièrement, le monde scientifique et les entreprises devraient exprimer publiquement leur point de vue, car la modernisation de l’infrastructure des télécommunications est d’une importance capitale pour l’avenir du pays. Il n’est pas acceptable que les moratoires locaux sur la 5G et le fait de ne pas adapter les dispositions d’éxécution crée des situations sans légitimité juridique. Il faut s’opposer plus fermement au récit hostile à la science qui sous-tend ces développements.

Deuxièmement, la Confédération ne doit plus fuir ses responsabilités comme elle le fait actuellement en convoquant commission d’experts après commission d’experts et en renvoyant le dossier d’un bureau à l’autre. Les fréquences de la 5G ont déjà été mises aux enchères, et cette vente a rapporté plus de 300 millions de francs au gouvernement fédéral. On sait depuis des années que cette nouvelle technologie permet de concentrer le signal et donc de le transmettre plus efficacement. On sait aussi depuis tout aussi longtemps que les dispositions d’exécution des procédures de mesure devaient être adaptées. Il est difficile de comprendre pourquoi le Conseil fédéral n’a rien décidé dans ce domaine pendant toutes ces années.

Troisièmement, le respect de la Constitution fédérale doit être rétabli. Les moratoires régionaux sur la 5G ne respecte pas ce pilier central du système juridique de la Suisse ; la responsabilité de l’infrastructure de téléphonie mobile incombe clairement au gouvernement fédéral. Cette répartition des tâches ne peut être ignorée par les cantons et les communes. Dans le même temps, pour autant qu’elles obtiennent les signatures nécessaires, il serait important de soumettre au peuple le plus rapidement possible toute initiative des opposants à la téléphonie mobile.

Mais un tel vote au sujet d’un moratoire sur la 5G reste de la musique d’avenir. La simple annonce d’une initiative populaire ne doit pas servir de prétexte pour ignorer les lois existantes. Les autorités publiques sont donc tenues de remplir leurs tâches respectives conformément à la loi. C’est une demande qui semble simple. Mais dans le débat émotionnel sur la 5G, maintenir les processus inhérents à l’Etat de droit semble plus nécessaire que jamais.