Le recul record du nombre de logements vacants dans les grandes villes suisses est alarmant. La construction de logements ralentit et les loyers augmentent. La propriété du logement est devenue inatteignable pour beaucoup, même pour ceux qui gagnent bien leur vie. La Suisse est-elle à l’aube d’une crise du logement ? Et si oui, que peut-on faire ?
Marco Salvi, responsable de recherche, a analysé le marché du logement en Suisse et s’est interrogé sur les raisons derrière l’offre qui s’avère de plus en plus limitée. Est-ce la faute de l’immigration ou du manque de densification ? Les exigences croissantes des ménages en matière d’espace et de confort font-elles grimper les prix des loyers ? La spéculation immobilière et foncière est-elle à l’origine de cette misère ou la hausse des prix est-elle la conséquence d’années de taux d’intérêt bas ? La surréglementation du marché est-elle en cause, par exemple en matière de protection des nuisances sonores ? Pourquoi les coopératives d’habitation peuvent-elles proposer leurs logements environ 30 % moins chers que les particuliers ?
Dans une analyse économique minutieuse, Marco Salvi décrypte les mythes les plus courants sur les loyers et présente les mécanismes qui aggravent la pénurie de logements ainsi que les mesures qui permettraient de détendre la situation sur le marché immobilier. L’auteur constate que ce dernier continue de fonctionner : pendant des années, la part du logement dans le budget des ménages n’a pas augmenté de manière disproportionnée, mais parallèlement aux revenus, tout comme la surface et la qualité des logements.
Faible taux de vacance
Le faible taux de vacance de 0,38 % dans le canton de Genève et dans d’autres centres urbains n’est qu’un indicateur parmi tant d’autres. Il s’explique notamment par le fait que la population genevoise reste très longtemps dans ses logements. La raison principale de ce phénomène : la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR). Cette loi limite fortement le loyer des logements rénovés. Quel locataire voudrait alors déménager ? Ce sont alors ceux qui sont à la recherche d’un appartement qui en supportent les coûts.
De plus, on observe peu d’investissements dans la rénovation des logements à cause de cette réglementation. Malheureusement, Genève est ainsi connue pour son parc immobilier mal entretenu. Par ailleurs, c’est là-bas que l’on trouve l’écart le plus important entre les loyers existants et les nouveaux loyers. Pourtant, proportionnellement à leur revenu, les Genevois ne dépensent globalement pas moins pour le logement. La LDTR entraîne donc davantage une redistribution entre les nouveaux et les anciens locataires qu’une réduction générale des coûts du logement.
Appartements abordables et propriétaires privés
En outre, le mythe selon lequel les investisseurs privés ne fournissent pas suffisamment de logements abordables en raison de leur intérêt pour le rendement n’est en fait qu’un malentendu. Un processus de dépréciation (le filtering) constitue l’un des principes de base du fonctionnement du marché du logement. Les biens immobiliers deviennent relativement moins chers au cours de leur cycle de vie. Chaque année, environ 13 400 logements nets viennent ainsi s’ajouter au pool de biens abordables en Suisse, qui constitue la plus grande source de loyers modérés.
Les coopératives d’habitation proposent également des logements abordables. C’est essentiellement le renoncement à la rente foncière qui explique la différence entre les loyers basés sur les coûts et ceux basés sur le marché. En l’absence de taux préférentiels sur les droits de construction, de dons de terrains ou de contributions d’amortissement des pouvoirs publics, elles sont aujourd’hui rarement compétitives sur le marché foncier, ce qui se traduit en fin de compte par une faible part de marché (2,8 % des ménages).
La densité et les coopératives
L’utilisation durable des sols – la densité – n’est pas non plus une vertu des coopératives. Certes, la surface habitable par personne dans le segment d’utilité publique (36,5 m2) était inférieure d’environ 13 % à la moyenne suisse de tous les logements locatifs (42,4 m2). En revanche, la densité de construction des immeubles d’habitation des investisseurs privés est en moyenne plus élevée. Par exemple, si toutes les parcelles des coopératives de construction zurichoises étaient construites avec la même densité que celles des particuliers, il serait possible de créer environ 5000 logements de 3 pièces supplémentaires. Pour les immeubles de la ville de Zurich, le potentiel de densification est même encore plus important.
En guise de conclusion, l’auteur souligne que les loyers sont élevés parce que les revenus sont élevés dans notre pays. La subvention des immeubles, c’est-à-dire la mise à disposition de logements à un prix inférieur à leur valeur, entraîne, elle, une redistribution peu transparente et souvent injuste. Il existe des instruments plus ciblés et efficaces qui peuvent servir de vecteur à la politique sociale tels que les allocations pour le logement.